Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
I

immigration (suite)

Un discours hostile serpente cependant dans la grande presse, et de l'extrême droite aux radicaux : il présente les étrangers comme véhiculant des maladies, alors qu'ils les contractent plutôt en France, du fait de leurs conditions de vie, et que, s'ils sont plus souvent hospitalisés que les autochtones, c'est faute de famille pour s'occuper d'eux. Il insiste sur le taux de délinquance dont les étrangers sont responsables, même si, hormis les délits spécifiques (infractions aux arrêtés d'expulsion, etc.), ceux-ci ne contreviennent guère plus aux lois que les Français de même âge et de même condition. Il monte en épingle quelques rixes ou règlements de compte politiques, bien qu'en dehors des exilés proprement dits les étrangers soient très faiblement politisés, et que tous soient tenus à la prudence par la menace de l'expulsion. Ce discours est puissamment relancé par la crise économique, quand 16 % de la population active connaît un chômage total ou partiel. La gauche même, d'Édouard Herriot à Roger Salengro en passant par la CGT, demande des mesures restrictives, et le PCF s'inquiète de la montée de la xénophobie jusque parmi ses militants. Des faits-divers tragiques, les assassinats du président Doumer en 1932 ou du ministre Barthou et du roi de Yougoslavie en 1934 exacerbent la tension.

Cette fois, l'État intervient. En 1932, une loi permet de fixer des quotas d'étrangers par branche industrielle et par région. Si le patronat est réservé, car il tient à une main-d'œuvre irremplaçable et docile, et si socialistes et communistes s'abstiennent, aucun député ne vote contre. Seulement 74 décrets sont pris en 1934, mais, la crise continuant, on en dénombre 627 en 1936, plus d'autres adoptés sous le Front populaire. L'État pousse aux rapatriements, y compris de familles dont les enfants sont français. L'administration freine arbitrairement les délivrances de cartes d'identité et de permis de travail, refuse d'autoriser les passages de l'agriculture à l'industrie, et on cite même le cas d'un éleveur de poissons exotiques refoulé « à cause du chômage qui sévit dans sa profession ». Les professions libérales entendent également se protéger ; ainsi, en juillet 1934, les avocats, bien représentés au Parlement, obtiennent que les naturalisés soient tenus d'attendre dix ans avant de pouvoir s'inscrire au barreau.

Du fait des départs et des naturalisations, les étrangers passent de 2,89 millions en 1931 à 2,45 millions en 1936, en comptant les réfugiés fuyant l'Allemagne nazie, accueillis d'abord avec compassion, mais dont le drame est rapidement oublié. Le Front populaire suscite des espoirs, d'autant que depuis 1934 la CGT s'est démarquée des positions les plus chauvines. Mais aucune loi spécifique n'est votée, même si consigne est donnée d'appliquer avec humanité les textes en vigueur. La droite ne s'en persuade pas moins que le gouvernement favorise les étrangers, et le slogan maurrassien « La France aux Français » fait florès. Sous le gouvernement Daladier, des décrets empêchent les immigrés de changer de département pour trouver un autre emploi, renforcent la surveillance policière et la répression contre les clandestins, privent les nouveaux naturalisés du droit de vote pour cinq ans, etc. Avec la marche à la guerre, la tension augmente. Les réfugiés politiques sont accusés de faire le jeu de l'Allemagne et, en même temps, de vouloir une guerre pour se venger d'elle ; les 500 000 réfugiés espagnols supposés « rouges » qui fuient Franco en 1939 inquiètent les conservateurs et sont parqués dans des camps dans des conditions inhumaines ; enfin, pendant la « drôle de guerre », on hésite à accepter les étrangers dans l'armée, par crainte de voir les Allemands trahir, ou pour ne pas heurter Mussolini, resté « non belligérant », tandis qu'on interne pêle-mêle agents de l'ennemi et opposants exilés.

Inquiétude, xénophobie et vexations sous la IIIe République finissante préludent à la politique de la dictature vichyste : réfugiés livrés à Hitler, exclusion de la fonction publique, du barreau et du corps médical des Français nés de père étranger, dénaturalisation de 15 000 personnes, rafles frappant au premier chef les juifs étrangers. L'opinion publique finit par s'indigner, à mesure qu'elle se détache du « maréchalisme », et la participation de nombre d'étrangers tant à la Résistance qu'à la France libre aurait pu modifier leur image, mais, dans la grande communion patriotique de la Libération, ils sont vite oubliés. Les spécialistes officiels de l'immigration tiennent même un discours de sélection ethnique, le géographe Georges Mauco demandant par exemple que la moitié des futurs arrivants vienne du nord de l'Europe. Néanmoins, par l'ordonnance de novembre 1945, le Conseil d'État annule tout quota par nationalité et définit juridiquement l'immigré comme un étranger s'installant pour plus de trois mois de façon continue et pour une durée indéterminée.

Des « Trente Glorieuses » à la crise économique

De 1945 à 1955, malgré les pertes dues à la guerre, l'immigration stagne, après avoir chuté durant le conflit : la France accueille 1,74 million d'étrangers en 1946, et 1,76 million en 1954, soit 4,4 % et 4,1 % de la population. L'Office national d'immigration (ONI), structure publique remplaçant la SGI, peine à attirer les travailleurs, qu'économistes et démographes jugent pourtant indispensables. Les difficultés du pays le rendent peu attractif, le ministère des Finances bloque l'envoi de devises aux familles restées dans le pays d'origine, l'opinion est hostile aux Italiens, ennemis d'hier - or ils représentent 67 % des arrivants jusqu'en 1949 - ; enfin, les syndicats craignent le chômage et la concurrence. S'y ajoute la lourdeur des démarches administratives, qui explique par ailleurs le recours croissant à des clandestins, régularisés ensuite, et aux musulmans d'Algérie, réputés « étrangers » mais citoyens français depuis 1947, donc libres de circuler en métropole. Leurs effectifs décuplent entre 1946 et 1954, compensant un tassement du nombre d'Européens, surtout lié aux retours volontaires de Polonais dans leur pays.