Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

colonisation. (suite)

Malgré les revendications des planteurs dépossédés, l'État renonce à reconquérir Saint-Domingue, et il reconnaît, en 1825, l'indépendance de la partie de l'île où avait été proclamée en 1803 une République d'Haïti, moyennant une promesse d'indemnisation. En revanche, les relations entre la France et la régence turque d'Alger - renouées en 1814 - se détériorent. En 1827, le coup d'éventail donné par le dey Hussein au consul de France Deval entraîne la rupture. Après trois ans de blocus - inefficace - imposé par la flotte française, le gouvernement de Charles X, afin de consolider son prestige, décide une opération militaire. La prise d'Alger, en 1830, inaugure, de façon non préméditée, la conquête de l'Algérie et la création d'un véritable empire colonial. La monarchie de Juillet, issue de l'opposition libérale à l'expédition d'Alger, ajourne l'évacuation de l'Algérie, puis se résigne, en 1834, à annexer les régions côtières occupées, avant de se résoudre à coloniser toute l'Algérie à partir de 1840. Dans le même temps, elle envoie sa flotte occuper des « points d'appui » sur les côtes du golfe de Guinée (Côte-d'Ivoire, Dahomey, Gabon), dans l'océan Indien (Nossi-Bé, Mayotte, côtes de Madagascar) et dans le Pacifique (îles Marquises, Tahiti).

La IIe République s'illustre en abolissant l'esclavage dans les colonies et en rétablissant la représentation de ces dernières à l'Assemblée nationale, mais elle n'a pas le temps d'étendre sensiblement le domaine colonial français. C'est sous le Second Empire que reprend l'expansion : achèvement de la conquête de l'Algérie jusqu'en 1857 ; remontée du fleuve Sénégal par le gouverneur général Faidherbe ; intervention militaire au Liban et en Syrie, pour secourir les chrétiens menacés ; percement du canal de Suez par Ferdinand de Lesseps, et achat d'Obock, sur la corne de l'Afrique ; interventions en Chine et en Annam, suivies de l'annexion de la Cochinchine et de l'instauration du protectorat sur le Cambodge ; établissement d'une colonie pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie. Cette expansion dote la France d'un empire colonial deux fois plus étendu que la métropole, mais toujours beaucoup moins peuplé (5 ou 6 millions d'habitants). Enfin, sous la IIIe République, après une pause due à la défaite de 1871, les expéditions outre-mer sont relancées, dès la consolidation du pouvoir des républicains en 1879 : occupation de la Tunisie (1881) ; expansions du Sénégal au Niger, du Gabon au Congo, à Madagascar (annexée en 1896) ; soumission du Tonkin et de l'Annam, au prix d'une guerre contre la Chine (1883-1885) ; jonction des colonies d'Afrique à travers le Sahara en 1900 ; pénétration au Maroc malgré les menaces d'intervention allemande de 1905 et de 1911 ; conquête et partage des colonies allemandes (Cameroun et Togo) et des provinces arabes de l'Empire ottoman (Syrie et Liban) pendant et après la Première Guerre mondiale.

L'empire colonial français connaît sa plus grande extension dès 1920, mais son occupation effective ne s'achève qu'en 1934 avec la « pacification » du sud du Maroc et du Sahara mauritanien. Il s'étend à toutes les parties du monde, en un ensemble disparate de terres et d'îles, parmi lesquelles on distingue encore les « vieilles colonies », recouvrées en 1815 (Saint-Pierre-et-Miquelon, Guadeloupe, Martinique, Guyane, communes du Sénégal, île de la Réunion, comptoirs de l'Inde) et les « nouvelles colonies », beaucoup plus vastes et plus peuplées, acquises à partir de 1830 : Algérie, protectorats de Tunisie et du Maroc, mandats du Levant (Syrie et Liban), Afrique-Occidentale française (A-OF), Afrique-Équatoriale française (A-ÉF), mandats du Togo et du Cameroun, Côte française des Somalis, îles Comores, Madagascar, Indochine française (colonie de Cochinchine ; protectorats d'Annam, du Tonkin, du Cambodge et du Laos), possessions françaises en Chine (territoire à bail de Guangzhouan ; concessions de Canton, Shanghai, Hankéou et Tianjin) ; Nouvelle-Calédonie, condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides ; Wallis-et-Futuna, Tahiti et la Polynésie française. Sa population dépasse en nombre celle de la métropole à partir du début du XXe siècle.

Les facteurs de l'expansion coloniale

Les causes et les buts de cette expansion coloniale ont été longuement discutés. Du XVIIe au XIXe siècle, la « colonisation » signifie, selon les dictionnaires - conformément à l'étymologie latine du verbe colere (« cultiver », « habiter un lieu ») -, l'installation d'une population sur une terre. Mais, dans l'esprit des hommes d'État et des philosophes du milieu du XVIIIe siècle (Montesquieu, Choiseul, les Encyclopédistes), son objectif véritable est de bénéficier au commerce de la métropole. Enfin, en 1885, Jules Ferry la justifie d'un triple point de vue : économique, humanitaire et patriotique.

Le peuplement n'a jamais constitué un but prioritaire, et son importance tend à diminuer. Sous l'Ancien Régime, la France envoie beaucoup moins d'émigrants dans les colonies outre-mer que tout autre pays d'Europe. Le gouvernement royal organise parfois l'émigration de familles, mais il ferme les colonies à ses sujets protestants (dont bon nombre contribuent au développement des colonies anglaises et hollandaises). En 1763, l'Amérique du Nord ne compte que 60 000 Français au Canada, 12 000 en Louisiane, et 7 000 Acadiens (déportés par les Anglais en 1755). Dans les colonies de plantations tropicales, les travailleurs blancs sont vite remplacés par des esclaves africains : en 1789, la population des Antilles comprend 50 000 ou 60 000 Blancs (dont 32 000 à Saint-Domingue) pour 600 000 Noirs et hommes de couleur (esclaves ou affranchis) ; 13 000 Blancs, contre 50 000 Noirs, vivent aux îles Mascareignes (île Bourbon et île de France). Au XIXe siècle, la baisse de la natalité réduit le nombre d'émigrants français, dont rarement plus du tiers choisissent les colonies. La colonisation de l'Algérie, préconisée et organisée par le général Bugeaud, résulte d'impératifs politiques et stratégiques plutôt que démographiques. Dès 1830, Espagnols, Italiens, Maltais, voire Suisses ou Allemands, y sont plus nombreux que les Français, et la naturalisation individuelle ne diminue guère leur proportion avant la loi du 26 juin 1889 concernant l'octroi de la nationalité française aux enfants d'étrangers nés en territoire français. La population dite « européenne » (y compris les étrangers non naturalisés, et les juifs algériens, auxquels est donnée la nationalité française par le décret Crémieux en 1870) ne dépasse jamais 14 % de la population totale (recensement de 1926), soit moins de 1 million de personnes. Ailleurs, le peuplement français ou européen n'est notable qu'en Tunisie et au Maroc. À l'exception des trois pays nord-africains, de la Nouvelle-Calédonie et de Tahiti, sa part reste partout inférieure à 1 % de la population. Au total, sur 60 millions d'habitants, seulement un million et demi de Français d'origine métropolitaine ou européenne sont établis dans les colonies en 1939.