Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Saint-Germain-des-Prés, (suite)

Par une curieuse contamination, la présence de quelques étoiles montantes des lettres et de grottes jazziques qualifiées de caves « existentialistes » - abritant une jeunesse troglodyte, elle-même affublée du même qualificatif - a fait de tout le quartier le centre d'un existentialisme folklorique et touristique, incarné par quelques silhouettes reconnaissables, de Jean-Paul Sartre à Juliette Gréco. Pourtant, comme le précise Boris Vian dans son Manuel de Saint-Germain-des-Prés, il faut faire une distinction rigoureuse entre « les acceptions différentes du qualificatif «existentialiste» selon qu'il est accolé au mot «cave» ou qu'on le rencontre dans les ouvrages d'éminents philosophes dont Jean-Paul Sartre est l'exemple le plus connu. Ce dernier, d'habitudes relativement sédentaires, se cantonne en général sur les coteaux avoisinant la place de l'Église et fréquente fort peu les caves ».

La présence de nombreux éditeurs dans les environs, dont le prestigieux Gallimard, l'accueil chaleureux de quelques cafés - dont le poêle permit, pendant l'Occupation, à la main glacée de soutenir le stylo -, tout cela explique que Le Pont-Royal, Les Deux Magots, la brasserie Lipp - Léon-Paul Fargue dans un coin, Galtier-Boissière dans l'autre - ou le Café de Flore servent autant de débits de boissons que de salles de rédaction pour le comité des Temps modernes. Beauvoir, Sartre, Jean Cau, Merleau-Ponty, les frères Bost, font partie du décor et chaque café, fonctionnant comme un club anglais, possède ses rites et ses clans - le clan Sartre, le clan Confluences, le clan des ex-surréalistes...

La face nocturne et souterraine du quartier est tout aussi fameuse, et certaines « institutions » n'ont rien à envier aux cafés : le Club Saint-Germain, le Saint-Yves, Le Bar vert - où l'on voit Roger Blin, Pichette, Queneau, Roger Vailland -, mais surtout Le Tabou, rue Dauphine, où officient Boris Vian et son orchestre, ainsi que Juliette Gréco ; La Rose rouge aussi, qui accueille les fameux Frères Jacques et les mises en scène d'Yves Robert ou de la compagnie Grenier-Hussenot. À côté des spectacles de poésie (Anne-Marie Cazalis), des tours de chant (Mouloudji), des pochades, du théâtre (le Vieux-Colombier n'est pas loin), les caves de Saint-Germain ont contribué à populariser la musique de jazz en France ; elles ont participé à la révolution en marche en accueillant les ténors du be-bop, qui appréciaient à Paris la liberté d'allure et de ton et l'absence du racisme au quotidien : Charlie Parker, Buck Clayton, Kenny Clarke, Coleman Hawkins ou Miles Davies ont souvent joué dans la capitale et enchanté des nuits mémorables.

Ainsi, durant quelques années, il se fit une concentration intellectuelle et artistique exceptionnelle autour du vieux clocher de Saint-Germain, belle époque désormais mythique d'un après-guerre qui trouva des prolongements jusqu'à la fin des années 1950, mais ne résista pas à l'entrée dans une plus morne décennie de modernisation et de consommation.

Saint-Gobain (manufacture de),

fabrique réputée de verre plat, à l'origine de la plus ancienne société de France.

En dépit d'une tradition française de verrerie, c'est l'industrie vénitienne qui répond principalement, après 1630, à la demande nationale de glaces et miroirs. Avec l'aide de transfuges vénitiens, Colbert crée alors à Paris, faubourg Saint-Antoine, une manufacture royale (1665), privée mais pourvue d'un monopole de fabrication et de vente, qui réalise la Galerie des glaces du château de Versailles. En raison de la lourdeur des investissements et de la difficulté à maîtriser les techniques et le travail d'usine, cinq sociétés se succèdent jusqu'en 1702. La production se répartit sur trois sites, dont le principal est ouvert en 1688 dans l'ancien château fort de Saint-Gobain, niché au cœur d'une forêt du Soissonnais. Y est mis en place en 1692 un procédé de coulage sur table (le verre en fusion est laminé sur une table de cuivre), qui permet de doubler la hauteur des glaces - mais le soufflage n'est définitivement abandonné qu'en 1763. Son directeur Delaunay-Deslandes (1758-1789) crée de nouvelles halles et améliore l'organisation du travail des ouvriers, qui sont bien rémunérés, logés et bénéficient d'une « couverture sociale ». Sur les 2 500 personnes employées en 1780, 2 000 occupent la cité modèle du hameau-usine de Saint-Gobain ; les autres se partagent entre Tourlaville, près de Cherbourg, et l'usine de Reuilly qui, au faubourg Saint-Antoine, assure le finissage à proximité du principal marché (Paris).

La Révolution abolit ses privilèges, mais l'entreprise survit, se mécanise et, devenue société anonyme en 1830, elle grandit jusqu'à constituer, vers 1950, le premier groupe verrier d'Europe. Fusionnée avec Pont-à-Mousson en 1970, c'est aujourd'hui une firme multinationale qui exploite les technologies verrières dans les domaines de l'emballage, de l'automobile, du bâtiment et des travaux publics.

Saint-Jacques (chemins de),

chemins de pèlerinage aboutissant au « tombeau » de l'apôtre Jacques le Majeur, à Compostelle, en Galice (Espagne).

Tracés à l'intention du pèlerin dans un Guide composé au milieu du XIIe siècle par un moine resté anonyme, les chemins pour se rendre au « tombeau » de saint Jacques sont, en France, au nombre de quatre, chacun comportant des variantes. Selon ce guide, le premier chemin commence à Tours (où sont conservées les reliques de saint Martin), le second démarre de Vézelay et traverse le Limousin, le troisième débute au Puy pour atteindre Conques (qui abrite les reliques de sainte Foy), tandis que le quatrième part d'Arles, rassemblant ainsi les pèlerins venus d'Italie.

Bien balisés, ces chemins assurent au pèlerin des relais (églises, couvents, auberges) pour son repos et sa sécurité. Les confraternités de Saint-Jacques, apparues au milieu du XIIsiècle, puis celles de l'ordre hospitalier de Saint-Jacques, approuvé par le pape en 1175, dans le cadre de la Reconquête, concourent à l'édification et à la protection des pèlerins ainsi qu'à l'entretien des chemins. L'insigne du pèlerinage, la coquille Saint-Jacques, est le signe de reconnaissance de ces chrétiens qui effectuent les étapes d'un parcours spirituel définissant alors le maillage cultuel du royaume de France.