Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

Alsace, (suite)

Mais, en 1914, le comportement des armées à l'égard des civils dresse les Alsaciens contre le Reich et annule les effets de la dynamique intégratrice. Accueilli avec ferveur en 1918, le retour des Français ne débouche pas moins sur une incompréhension réciproque. Le culte de l'Alsace-Lorraine ayant constitué, pendant près d'un demi-siècle, le ciment de la IIIe République et du patriotisme, les Français n'ont cessé de percevoir les « provinces perdues » comme deux orphelines guettant le retour de leur mère. Mais les Alsaciens et les institutions qui régissent leur vie quotidienne ont changé dans l'intervalle. Paris évite donc de toucher au « droit local », mélange de textes d'avant 1871, souvent abrogés en France, et de textes votés après l'annexion. Reste que la substitution de fonctionnaires de l'« intérieur » aux autochtones, l'imposition de la langue française - désormais ignorée de presque tous - et diverses mesures pénalisantes provoquent un indéniable malaise, qui se transforme en rébellion des catholiques, lesquels veulent croire que le Concordat et le statut confessionnel de l'école sont menacés.

Des courants autonomistes de toutes nuances prennent le relais : traditionalisme catholique, communisme autonomiste, mouvements régionalistes attachés à la langue allemande, jusqu'à un extrémisme séparatiste et pronazi qui fournit le contingent des ralliés en 1940, au moment de l'annexion de facto de l'Alsace au IIIe Reich. Ayant promis de germaniser la population en l'espace de dix ans, le gauleiter de Bade-Alsace, Robert Wagner, fait régner la terreur. Ce n'est pas la simple collaboration qui est exigée, mais l'adhésion sous peine de sanction : d'où l'élimination de tous les signes qui rappellent la France, y compris les prénoms et patronymes, qui sont germanisés. Une résistance très précoce s'organise, que l'incorporation forcée dans les armées allemandes, à partir d'août 1942, ne fait qu'intensifier. Exécutions et emprisonnements dans les camps se multiplient. En additionnant les victimes de la Résistance et des combats de la Libération aux 25 000 à 30 000 morts ou disparus parmi les 105 000 enrôlés de force (les « malgré-nous »), on obtient un taux de victimes de guerre bien supérieur à celui des autres provinces françaises. La libération n'est définitive qu'en mars 1945. Les exactions nazies ont rendu plus facile la réintégration de l'Alsace dans l'ensemble français.

L'Alsace au carrefour de l'Europe.

• Après la Seconde Guerre mondiale, l'Alsace connaît un remarquable essor industriel lié à sa situation de carrefour : routes, réseau ferré et voies navigables assurent l'implantation des sites selon un axe européen qui va de Karlsruhe à Bâle. Malgré un déclin qui frappe aujourd'hui les vallées vosgiennes, la situation de l'emploi demeure moins dramatique que dans le reste du pays, du fait des travailleurs frontaliers qui exercent leur profession en Suisse ou en Allemagne. Région forte en dépit de la crise, l'Alsace actuelle est tiraillée entre une vocation européenne - Strasbourg est le siège du Parlement européen et Conseil de l'Europe - et un repli identitaire, dont témoigne, aux scrutins présidentiels de 1995 et de 2002, le taux élevé de suffrages en faveur du candidat du Front national. Crispations autoritaires et ouverture à des échanges transnationaux indiquent, sur des modes opposés, que l'Alsace continue de tracer sa voie en cherchant à dépasser le cadre français, voire à s'en détourner. L'Alsace demeure donc bien une région d'entre-deux.

Alsace-Lorraine (question d'),

ensemble des problèmes posés par l'annexion de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine à l'Empire allemand après la défaite militaire de 1870.

Du traité de Francfort (10 mai 1871) à novembre 1918, le territoire correspondant aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin (Territoire de Belfort excepté), de la Moselle (sauf le bassin de Briey) et à une partie de la Meurthe est une propriété commune des États allemands confédérés. Cette « terre d'Empire » (Reichsland) est d'abord administrée depuis Berlin, puis, à partir de 1879, passe sous l'autorité d'un gouverneur installé à Strasbourg et d'un secrétaire d'État responsable d'une administration dont la plupart des postes clés sont confiés à des fonctionnaires prussiens.

D'une annexion à l'autre.

• Le traité de Francfort est reconnu par les puissances européennes, mais la grande majorité des Alsaciens-Lorrains dénonce le principe de l'annexion : leurs élus protestent, à l'Assemblée nationale puis au Reichstag, contre la violation du droit imprescriptible des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le traité de Francfort autorisant les Alsaciens-Lorrains à se prononcer en faveur de la nationalité française avant le 1er novembre 1872, plus de 200 000 d'entre eux optent pour cette solution, et se réfugient en France ou en Algérie. Jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale, la politique allemande à l'égard de l'Alsace associe rigueurs et concessions : l'allemand devient la langue officielle, mais les lois françaises, notamment le Concordat de 1801, demeurent en vigueur. En 1911, l'octroi d'une Constitution dissimule mal l'échec relatif de la politique de germanisation. Considérée comme nulle et non avenue par l'opinion publique française, l'annexion de 1871 attise les ferveurs nationalistes et pèse sur les rapports entre la France et l'Allemagne. Cependant, l'esprit de revanche connaît bien des fluctuations : la nostalgie des provinces perdues, entretenue par la littérature (les Oberlé, de René Bazin, 1901 ; Colette Baudoche, de Maurice Barrès, 1908), les récits de voyage et les chansons (la Marche lorraine), s'exacerbe ou s'atténue en fonction des préoccupations dominantes. La politique des gouvernements français successifs est faite de prudence et de vigilance ; la question d'Alsace-Lorraine interdit toute réconciliation entre les deux pays ; il faut être prêt au cas où... L'Alsace-Lorraine n'est pas la cause directe de la Première Guerre mondiale.

Cependant, à peine celle-ci est-elle déclarée que le but premier de la France est la restitution des provinces perdues. À l'exception de l'angle sud-est de l'Alsace, conquis en août 1914 par l'armée française, l'Alsace-Lorraine reste allemande pendant toute la guerre et subit une dure dictature militaire. Au lendemain de l'armistice, l'Alsace-Lorraine redevient française sans qu'un plébiscite soit organisé. Clemenceau juge cependant impossible d'effacer quarante-huit années de présence allemande. Il faut conserver divers éléments de la législation allemande, le Concordat de 1801 toujours en vigueur, et coiffer le retour au système départemental par un commissariat général et un conseil consultatif. Ces deux organes sont dissous en 1925, et les services sont transférés à Paris pour former une direction d'Alsace-Lorraine. La réintégration est plus facile en Moselle qu'en Alsace où un courant autonomiste trouve une certaine audience. En juin 1940, Hitler annexe de facto l'Alsace et la Lorraine au IIIe Reich sans reconstituer l'Alsace-Lorraine antérieure à 1918. Pendant plus de quatre ans, les populations subissent un régime totalitaire : germanisation forcée, nazification, déportation et expulsion de nombreux habitants, incorporation de force des jeunes gens (les « malgré-nous ») dans le Wehrmacht.