Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (IIIe). (suite)

La mise en place de la République.

• Au cours des années 1876-1879, l'enjeu institutionnel demeure source de conflits entre conservateurs et républicains. Mac-Mahon, président de la République élu pour un mandat de sept ans en novembre 1873, se trouve confronté à une Chambre à majorité républicaine, issue des élections de 1876. Très vite, les présidents du Conseil modérés qu'il désigne - Jules Dufaure, puis Jules Simon - doivent faire face à une offensive de la majorité à propos de la question religieuse. Le 16 mai 1877, Mac-Mahon exige la démission de Jules Simon et désigne le duc de Broglie pour lui succéder, puis, après un vote de défiance des députés à l'encontre de ce nouveau gouvernement, dissout la Chambre le 25 juin : le désaccord, dont l'issue est capitale pour l'avenir des institutions, est tranché par les élections des 14 et 28 octobre 1877. La victoire de la majorité sortante, par 323 sièges contre 208 aux conservateurs, qui témoigne de la conquête de l'opinion par les républicains, aboutit à l'instauration d'un régime dans lequel les Chambres deviennent l'élément prépondérant. Le dernier acte du conflit se joue en janvier 1879 : les républicains, sortis vainqueurs des élections sénatoriales, obtiennent la démission du président Mac-Mahon, qui est remplacé par Jules Grévy. Désormais, le pouvoir est exercé par les républicains de gouvernement - ou « opportunistes » - tel Jules Ferry (président du Conseil en 1880-1881 et en 1883-1885) -, tandis que les « radicaux », favorables à l'application immédiate et intégrale du programme républicain, forment une opposition d'extrême gauche.

Dans la première partie des années 1880, d'importantes réformes sont mises en œuvre, qui vont modeler pour longtemps le visage de la nation. La victoire de cette République qui se proclame l'héritière de la Révolution est d'abord celle du libéralisme et de la démocratie. Ses lois garantissent la liberté de la presse (loi du 29 juillet 1881) et le droit de réunion (loi du 30 juin 1881), qui avaient été bafoués par le régime impérial et les hommes de l'« Ordre moral ». La démocratie communale reçoit une impulsion décisive par la loi du 5 avril 1884, selon laquelle le maire est élu par le conseil municipal. Si, contrairement au vœu des radicaux, le Sénat n'est pas supprimé, son mode d'élection est néanmoins modifié par la suppression des sénateurs inamovibles. Mais c'est la politique de laïcité qui est considérée comme la pièce essentielle de la politique républicaine. Mise en œuvre par des hommes professant une opinion positiviste, voire matérialiste - tels Jules Ferry ou Paul Bert -, elle a surtout pour but de libérer les esprits de l'emprise « cléricale » : la suppression de l'obligation légale du repos dominical et le rétablissement du divorce (1884) manifestent également un souci de sécularisation de l'État. Dans le domaine scolaire, plusieurs mesures sont prises en vue d'un même objectif : les ministres des cultes sont exclus du Conseil supérieur de l'Instruction publique ; l'octroi des grades universitaires relève du monopole de l'État ; des lycées de jeunes filles sont créés ; la neutralité des programmes de l'enseignement primaire est imposée par la loi de 1882 ; enfin, l'exercice de l'enseignement est interdit aux membres des congrégations non autorisées, dont certaines sont dispersées.

On souligne souvent les limites de la politique républicaine dans le domaine social. En fait, les républicains restent fidèles à l'inspiration individualiste de la Révolution française, hostile aux groupes et aux « corps intermédiaires » susceptibles de brimer la liberté des individus. La seule mesure sociale conséquente demeure donc la politique scolaire : l'instauration de l'obligation scolaire (1881) et de la gratuité de l'enseignement primaire (1882) permet à une minorité de « boursiers », issus de milieu modeste, d'accéder à l'enseignement des lycées, qui, lui, demeure payant. Seules les promotions sociales individuelles sont donc favorisées. La République naissante ne fait pas figurer la liberté d'association parmi les libertés fondamentales, par crainte de renforcer la puissance des congrégations religieuses. L'importance des mouvements collectifs dans la vie industrielle conduit toutefois les républicains à reconnaître la liberté de création des syndicats par la loi de 1884, tout en limitant le champ d'activité de ces organisations à la défense des intérêts professionnels.

Le régime trouve des appuis dans les milieux les plus variés : fractions des oligarchies économiques séduites par la politique libérale ; paysannerie soucieuse de stabilité, mais défiante à l'égard des notables traditionnels ; et, surtout, représentants des couches moyennes - petits producteurs, membres des professions libérales, fonctionnaires - avides de promotion sociale et politique, et qui peuplent, dans les années 1880, les assemblées locales, communales ou départementales. L'ampleur de ce soutien découle de son ambivalence fondamentale : la République défend l'ordre et la propriété, mais se montre aussi soucieuse de promotion et de mobilité.

La contestation boulangiste et la redistribution des forces politiques.

• Politiquement, le régime acquiert durant la première partie des années 1880 ses traits les plus caractéristiques. La crise de 1876-1877 a définitivement déséquilibré le système institutionnel en faveur des Assemblées, surtout de la Chambre, au détriment du président de la République (le droit de dissolution étant désormais entaché de conservatisme monarchiste). Comme il n'existe pas dans les Assemblées de majorités durables, l'instabilité ministérielle devient une caractéristique essentielle du régime. Mais elle est compensée par la permanence du personnel politique et de la haute fonction publique. Enfin, il n'existe pas dans le pays de forces organisées au plan national susceptibles de coordonner l'action des comités locaux. Les loges maçonniques y pourvoient en partie, sans que jamais la franc-maçonnerie joue le rôle de gouvernement occulte que lui attribueront ses adversaires.