Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

Antiquité, (suite)

Fascination et répulsion au Moyen Âge.

• Au Moyen Âge, la vision du passé romain a été ambigüe, mêlant surévaluation politique et culturelle de la romanité et rejet du paganisme antique. Fondamentalement, c'est la perception d'une continuité qui domine, notamment dans le domaine idéologique, avec la renovatio imperii carolingienne. Les rituels et l'imagerie politiques mis en place sont largement inspirés des usages de Constantinople, héritière directe de l'Empire de l'Antiquité tardive. Au-delà de la faillite du rêve impérial, relevé plus tard par la dynastie allemande des Staufen, l'Empire romain s'est imposé à la France comme la source unique et excellente du droit. Le droit romain, remis à l'honneur sous la protection de Frédéric Ier Barberousse à l'université de Bologne (milieu du XIIe siècle), se diffuse en France à partir du XIIIe siècle. Réinterprété par les légistes, il a servi de fondement à la construction de l'État monarchique et de l'idéologie du roi « empereur en son royaume ». Dans le domaine culturel, le Moyen Âge s'est fait le conservateur de l'héritage antique. Les textes anciens, recopiés dans les monastères, servent à l'apprentissage de la langue, de la grammaire et de la versification latines. Mais aux formes du passé sont assignées des fonctions nouvelles : ainsi, la mythologie véhiculée par les Métamorphoses d'Ovide est-elle « moralisée », c'est-à-dire interprétée en fonction d'un horizon culturel différent de celui de l'auteur. Les philosophes antiques (Aristote et Cicéron, les premiers) sont, pour les scolastiques, des auteurs dont l'autorité est égale à celle des Pères de l'Église.

D'une certaine manière, les hommes du Moyen Âge ont une perception ambivalente du passé : le sentiment d'appartenir à la même histoire que ceux de l'Antiquité se conjugue avec la conscience d'une « distance ». Les monuments antiques, témoins de l'ancien paganisme, sont souvent réemployés, tels le temple d'Auguste et de Livie à Vienne, devenu l'église Notre-Dame-de-la-Vie, ou l'amphithéâtre de Nîmes abritant un quartier d'habitation. Ils servent également de carrière pour les nouvelles constructions. Certaines ruines sont porteuses de légende et se voient prêter une aura magique, témoignage du mélange de crainte et d'admiration qu'elles inspirent.

L'Antiquité devient un concept historique autonome.

• L'Italie du quattrocento initie un retour à l'antique, tant dans l'architecture et la peinture qu'en découvrant la philologie. Les lettrés de l'époque ont la nette impression de rompre avec les siècles qui les ont directement précédés et ont la ferme volonté de remonter à la source gréco-latine. L'intérêt pour les monuments de l'Antiquité grandit aux XVIe et XVIIe siècles : apparaissent alors les antiquaires, hommes de lettres et de goût collectionnant objets antiques et gravures de monuments. Les érudits se penchent sur ces témoignages du passé, qui illustrent ou éclairent d'un jour nouveau les récits de Tite-Live. Ce goût de l'antique incite artistes et honnêtes hommes à entreprendre des voyages vers l'Italie et Rome. L'Antiquité est, à l'époque moderne, la référence en matière de règles du bon goût et de normes artistiques. L'idéologie mimétique du classicisme français trouve un fondement solide dans la Poétique d'Aristote et dans l'Art poétique d'Horace. Le XVIIIe siècle voit l'apparition d'une archéologie systématique -  à défaut d'être encore totalement scientifique - avec la mise au jour d'Herculanum (1713), de Pompéi (1746) et de Paestum (1748) ; ces découvertes rejaillissent par ailleurs sur la création artistique en donnant son impulsion au néoclassicisme franco-italien. L'Antiquité devient non seulement objet d'études, mais aussi patrimoine à protéger. Si François Ier a eu, selon la légende, le projet de réhabiliter l'amphithéâtre de Nîmes, si Colbert a dépêché Girardon puis Mignard dans cette même ville pour faire des relevés précis de la Maison carrée, il faut attendre le règne de Louis XVI pour que la restauration des monuments romains soit entreprise. Interrompus pendant la Révolution, les travaux reprennent en 1805 : le dégagement de l'amphithéâtre de Nîmes, commencé en 1811, est achevé une cinquantaine d'années plus tard. Politiquement, la légende troyenne continue au XVIIIe siècle de fonctionner comme un des mythes fondateurs de la royauté française. Mais ce sont les révolutionnaires qui redonnent aux figures des héros de la République romaine tout leur éclat - et, en premier lieu, à Brutus, à qui Jacques Louis David consacre un tableau (1789). Si l'Antiquité romaine a fourni les cadres de la construction de l'État royal, la Rome républicaine et Sparte sont revendiquées comme de prestigieux modèles par les révolutionnaires.

Après le Premier Empire, l'Antiquité perd de sa force structurante. Les batailles religieuses (or, l'Antiquité n'est pas chrétienne), la montée du nationalisme et l'honneur rendu aux « ancêtres » Gaulois, plutôt qu'aux Romains, rendent la lecture de l'histoire ancienne moins agissante dans le domaine politique. Si, esthétiquement, les formes antiques peuvent encore être une référence, elles sont concurrencées par d'autres, notamment le néogothique. En outre, l'idée d'une norme absolue du beau, qui serait à rechercher dans l'art classique, tend à laisser la place à la liberté créatrice issue du romantisme. L'Antiquité, qui survit cependant sous la forme des humanités, entre alors dans l'âge de raison - celui du passé définitivement révolu.

Antiquité tardive,

expression popularisée en France par l'historien Henri-Irénée Marrou dans son ouvrage Décadence romaine ou Antiquité tardive ? IIIe-VIe siècle (1977) pour désigner la période comprise entre la crise de l'empire romain au IIIe siècle (235-284) et l'installation des royaumes barbares au VIe siècle. Cette dénomination correspond à un nouveau regard historiographique.

Pendant longtemps, depuis les écrits des humanistes italiens Leonardo Bruni (1441) et Flavio Biondo (1453), cette période a été considérée comme une phase de dégénérescence. On évoque alors pour argument l'évolution de l'art vers le gigantisme et le hiératisme à partir de l'époque des Sévères, un style en rupture avec les canons de la beauté classique. Cette vision négative perdure au XVIIIe siècle, notamment dans l'ouvrage de l'Anglais Edward Gibbon, Decline and Fall of the Roman Empire (1776-1788), d'inspiration voltairienne, qui voit dans le triomphe du christianisme l'une des causes du déclin. Avec le romantisme au XIXe siècle, le Moyen Âge est « réhabilité », mais la vision qui en est proposée est largement poétique et mythique. Il faut donc attendre le XXe siècle pour que la créativité des IVe et Ve siècles soit considérée comme l'expression de la vitalité d'une société en mutation.