Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Napoléon III (Charles Louis Napoléon Bonaparte), (suite)

Le conspirateur (1830-1848).

• La révolution parisienne de 1830 pousse le jeune homme à l'action. Avec son frère, il s'engage imprudemment dans l'insurrection de la Romagne contre le pouvoir temporel du pape. L'aventure se termine piteusement, sa mère venant le sauver des Autrichiens et parvenant à fuir l'Italie avec lui, sous un déguisement. De passage à Paris en mai 1831, il assiste à une manifestation napoléonienne qui l'ancre dans sa conviction de la survie du bonapartisme. Il reprend ensuite une vie plus tranquille à Arenenberg, marquée par ses premières publications : dans Rêveries napoléoniennes (1832), il tente de concilier principe héréditaire et souveraineté populaire, et se montre favorable au suffrage universel.

Louis Napoléon n'a cependant pas renoncé à l'action. La mort de l'Aiglon (1832) a fait de lui l'héritier légitime du trône impérial après ses oncles - qui ne revendiquent d'ailleurs plus de droits à la succession. Le bonapartisme risque de disparaître définitivement au profit de la simple légende napoléonienne. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre les conspirations de Strasbourg (1836) et de Boulogne (1840), qui ont avorté rapidement et ont permis aux dirigeants français de ridiculiser Louis Napoléon en le présentant comme un maniaque brouillon de la conspiration. L'historiographie récente a permis de réviser cette conception : tout d'abord, il est vraisemblable que les complots ont été soigneusement préparés en s'appuyant sur des garnisons qui leur étaient favorables, dans l'Est et le Nord (mais on ne connaît pas l'étendue des soutiens mobilisés, Louis Napoléon ayant fait disparaître les dossiers après son élection à la présidence de la République afin de ne pas compromettre ses complices) ; en deuxième lieu, le conspirateur, jusque-là inconnu du grand public, a pu faire valoir ses droits, d'autant que la tentative de Strasbourg fut bien accueillie dans la presse ; enfin, la notion de ridicule n'a pas le même sens dans les sphères cultivées et dans les milieux populaires, lesquels pouvaient interpréter ces tentatives avortées comme des actes de courage s'inscrivant dans la tradition des complots de la Restauration. De ce fait, le souvenir des expéditions de Strasbourg et de Boulogne a pu être exploité positivement par la propagande bonapartiste en 1848.

Ces expéditions eurent des conséquences diverses sur les destinées du prince. Après la tentative de Strasbourg, le gouvernement français s'était montré clément, préférant étouffer l'affaire : Louis Napoléon fut exilé aux États-Unis mais revint un an plus tard en Suisse au chevet de sa mère mourante. Il en fut expulsé en 1838, à la suite des pressions de la France, et se réfugia en Angleterre. En 1839, il y publia les Idées napoléoniennes, relecture hardie du Mémorial de Sainte-Hélène qui présente le Premier Empire comme une synthèse de la Révolution et de la liberté. Le pouvoir fut moins clément après la tentative de Boulogne : traduit devant la Chambre des pairs, Louis Napoléon fut condamné à la détention perpétuelle sur le sol français et enfermé au fort de Ham (Somme). Il put mettre à profit une captivité peu contraignante pour établir des contacts avec des personnalités républicaines et démocrates et publier plusieurs ouvrages, dont la célèbre Extinction du paupérisme (1844). En 1846, il parvint à s'échapper, déguisé en ouvrier, et à regagner Londres, où la révolution de 1848 le surprit.

La conquête du pouvoir.

• La IIe République redonne à Louis Napoléon l'initiative. La propagande bonapartiste s'exerce en effet librement dans le contexte révolutionnaire. Le 4 juin 1848, il est élu représentant à l'Assemblée constituante dans quatre départements, à la faveur d'élections partielles. Craignant d'être débordé par l'agitation révolutionnaire, il déclare alors renoncer à son mandat tout en réservant ses droits de citoyen. Le 18 septembre, il est réélu dans les mêmes circonscriptions- et dans une cinquième : il occupe, cette fois-ci son siège. Le 26 octobre, il annonce sa candidature à l'élection présidentielle, qui doit se dérouler au suffrage universel. Tout en préservant pour l'essentiel sa liberté d'action, il rallie les principaux notables du parti de l'Ordre, parmi lesquels Thiers, qui voit en lui « un crétin qu'on mènera ». Au terme d'une campagne très bien organisée, exploitant les thèmes du bonapartisme populaire tout en rassurant les défenseurs de l'Ordre, il triomphe de ses concurrents par 74 % des suffrages exprimés.

Le prince-président laisse tout d'abord gouverner le parti de l'Ordre, faute de pouvoir s'appuyer sur un personnel politique constitué. Mais il tisse progressivement sa toile et prend ses distances à la fin de l'année 1849. En 1851, il se heurte à la majorité monarchiste. Désireux de solliciter du peuple un second mandat présidentiel, il engage une campagne pour la révision de la Constitution mais ne peut obtenir à l'Assemblée la majorité des trois quarts exigible. Il se résout dès lors à faire un coup d'État. Le 2 décembre 1851, il dissout l'Assemblée, rétablit le suffrage universel et annonce un plébiscite pour une nouvelle Constitution. Techniquement réussie, l'opération échoue politiquement dans la mesure où le président se heurte à la résistance des républicains, à Paris et dans 27 départements où ont lieu des troubles insurrectionnels. La répression est brutale : 27 000 arrestations, 10 000 déportations en Algérie. Les mesures ultérieures de grâce et d'amnistie ne suffiront pas à effacer ce traumatisme : le fossé est devenu infranchissable entre le chef de l'État et les républicains. La résistance de ces derniers a par ailleurs changé la signification du 2 Décembre qui, d'opération défensive contre une Assemblée monarchiste présentée comme factieuse, devient une mesure de sauvegarde de la société contre une jacquerie généralisée. Le bonapartisme s'en trouvera durablement déporté à droite en dépit d'un enracinement populaire indiscutable, dont témoigne le succès du plébiscite des 21 et 22 décembre 1851 (le « oui » rassemble 76 % des inscrits). Louis Napoléon peut alors promulguer la Constitution de 1852 - qui lui confère une présidence décennale dotée de l'essentiel des pouvoirs, tant exécutif que législatif - et procéder à l'installation des pouvoirs publics où dominent ses partisans. Il est poussé à rétablir l'Empire plus vite qu'il ne l'escomptait après un triomphal voyage dans les départements du Centre et du Midi et un nouveau triomphe au plébiscite du 21 novembre 1852.