Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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maîtresses du roi. (suite)

À l'âge classique, la théorie des « deux corps du roi » s'incarne dans le concubinage adultère, donc chrétiennement pécheur, du souverain. Son corps mystique (le principe royal) est transmis par le sacre, grâce à la descendance dynastique assurée par l'union avec l'épouse (la reine). Le corps charnel du roi, gouverné par des appétits et des sentiments chan-geants, fait choix de maîtresses dont la position sociale demeure donc instable : seules se maintiennent en grâce les talentueuses opiniâtres, habiles médiatrices des faveurs royales, élevées au rang de « favorites ». Aucune d'entre elles n'est cependant devenue l'épouse du roi, à l'exception de la marquise de Maintenon, avec laquelle Louis XIV se marie secrètement après la mort de Marie-Thérèse d'Autriche.

L'adultère royal peut se muer en une sorte de polygamie si la maîtresse reçoit, telle Gabrielle d'Estrées, les honneurs dus à la reine, et si sa progéniture est légitimée, voire, sous le règne de Louis XIV, unie aux héritiers de souche. Les bâtards mâles reconnus sont, au XVIIe siècle, un ferment de troubles, par leurs menées contre l'État (le comte de Clermont, fils de Marie Touchet et Charles IX ; les Vendôme, lignée issue des amours de Gabrielle d'Estrées et d'Henri IV), puis par le désordre que leur présence introduit dans le principe dynastique lorsque Louis XIV fait droit à sa succession aux deux fils de la marquise de Montespan. Cependant, très rares sont les maîtresses qui, telle Diane de Poitiers, distinguée par le roi Henri II, ou la Pompadour, réussissent à participer aux affaires politiques. Jeunes, séduisantes et gaies par définition, elles dominent en revanche les fêtes, inspirent et protègent les artistes, suscitent ou consacrent les modes. Si leurs dépenses personnelles coûtent peu au Trésor, leur éclat et la réputation de prodigalité qui les entoure font d'elles de commodes boucs émissaires. Les quatre derniers rois français, de Louis XVI à Louis-Philippe, n'ont, quant à eux, pas élu de maîtresse officielle.

Malebranche (Nicolas de),

philosophe et théologien (Paris 1638 - id. 1715).

Issu d'une famille de parlementaires, Malebranche entre en 1660 dans la congrégation de l'Oratoire. Ordonné prêtre en 1664, il découvre avec enthousiasme la philosophie de Descartes la même année. Cette rencontre décide de sa vocation. Dès ces années de formation, son dessein est de fonder une philosophie chrétienne où intelligence et foi puissent coïncider : il entend concilier cartésianisme et augustinisme. En 1674 et 1675, il publie De la recherche de la vérité, dont les deux volumes connaissent un vif succès. Mais ce n'est qu'en 1680 que la publication de son Traité de la nature et de la grâce fait apparaître le « malebranchisme » comme une doctrine dotée d'une unité systématique : cette philosophie, souvent nommée « occasionnalisme », développe l'idée que Dieu seul est cause efficiente des mouvements et que les phénomènes que nous percevons comme causes ne sont jamais que des occasions de son action ; cette dernière s'exerce selon des lois universelles qui donnent au projet scientifique sa légitimité et sa fécondité. L'occasionnalisme se prolonge dans la théorie de la vision en Dieu : entièrement dépendante de la puissance divine, l'âme voit « en Dieu » les idées que Descartes a qualifiées de « claires et distinctes ». En 1683 paraissent les Méditations chrétiennes et métaphysiques, suivies du Traité de morale et, en 1688, des Entretiens sur la métaphysique et la religion, que Malebranche considère comme le couronnement de sa réflexion philosophique.

Jusqu'à la fin de sa vie, Malebranche continuera d'écrire et surtout de répondre à ses contradicteurs. Sa doctrine, dont la renommée s'est rapidement étendue à toute l'Europe - « il y avait partout des malebranchistes fervents », dira Sainte-Beuve dans Port-Royal -, a en effet déchaîné des polémiques passionnées, et été la cible des feux conjugués des jésuites, d'Arnauld, de Bossuet et Fénelon. Si différentes qu'aient pu être ces attaques, elles témoignent toutes de la difficulté à accepter la synthèse du cartésianisme et de la théologie chrétienne. Théologien et métaphysicien, Malebranche s'est également passionné pour les sciences naturelles et les mathématiques. Entretenant des relations épistolaires avec Leibniz pendant plusieurs années, il entre comme membre honoraire à l'Académie des sciences en 1699, où il intervint fréquemment pour imposer - avec succès - le calcul infinitésimal.

Malesherbes (Chrétien Guillaume de Lamoignon de),

magistrat et ministre, (Paris 1721 - id. 1794).

Premier président de la Cour des aides, directeur de la Librairie (1750), membre de l'Académie française (1774), secrétaire d'État à la Maison du roi (juillet 1775), ministre d'État (1788), Malesherbes connaît toutefois une carrière fort discontinue, entrecoupée de deux disgrâces : entre 1771 et 1774 et entre 1776 et 1788.

Fils du chancelier Guillaume de Lamoignon, il est le dernier descendant d'une famille typique de grands robins parisiens, riches et cultivés et nobles depuis peu (1543). Très tôt, il s'impose comme un parlementaire fidèle à la tradition libérale de sa lignée : il adoucit la censure et favorise l'Encyclopédie. Mais, taxé d'avoir peut-être composé les remontrances du 17 février 1771 contre les nouveaux impôts et les mesures prises contre les parlements par Maupeou, il est éloigné de Paris jusqu'à la mort de Louis XV. Rentré en grâce sous Louis XVI (1775), il améliore le régime des prisons et limite l'usage des lettres de cachet. Mais les courtisans, mécontents des restrictions budgétaires de Turgot, obtiennent la démission des deux hommes (mai 1776). Malesherbes - dont l'ancêtre Potier d'Ocquerre était mort en assiégant La Rochelle (1628) et dont le grand-oncle Basville avait persécuté les camisards -, se met alors à rédiger un Mémoire sur le mariage des protestants (1785), et ouvre ainsi la voie au rétablissement de leur état civil (1787). Rappelé au pouvoir en 1788, il propose des réformes. En vain. Il goûte alors un véritable bonheur familial « au milieu de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants » chez lesquels Chateaubriand le voit souvent « jeter sa perruque, se coucher sur le tapis de la chambre et se laisser lutiner avec un tapage affreux par les enfants ameutés ». Mais la Révolution éclate. Il émigre mais rentre en juillet 1792. En décembre, avec Tronchet et de Sèze, il se porte volontaire pour assurer la défense du roi et publie même un Mémoire pour Louis XVI. Face à Louis XIV, son bisaïeul n'avait pu sauver Fouquet (1662) ; face à la Convention, il ne peut sauver Capet. Arrêté, il monte à l'échafaud à 73 ans, accompagné d'une partie des siens. Chateaubriand conclut au sujet du vieillard, jadis féru de botanique et de géographie, et naguère « tout échauffé de politique » : « Les flots de la Révolution le débordèrent, et sa mort a fait sa gloire. »