Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (IIe), (suite)

Les imprudences constitutionnelles.

• La nouvelle Constitution, votée le 4 novembre 1848, repose sur trois principes - régime représentatif, souveraineté du peuple et séparation des pouvoirs - et s'inspire de deux modèles : la Ire République et la Constitution américaine. Du premier, les constituants ont retenu le monocamérisme et le nombre élevé des représentants du peuple pour corriger les effets du système représentatif. Une Assemblée unique de 750 membres, élue pour trois ans, est investie du pouvoir législatif. La personnalisation du pouvoir exécutif, l'élection au suffrage universel du chef de l'État doté d'un mandat de quatre ans, s'inspirent en revanche de la démocratie américaine, comme le principe de la séparation des pouvoirs. Le président de la République ne peut dissoudre l'Assemblée mais garde le contrôle de ses ministres. De telles dispositions impliquent une confiance totale dans la sagesse du suffrage universel et dans la vertu des dirigeants politiques. Les garanties « républicaines » sont minces : pour le président, obligation de prêter serment de fidélité à la République démocratique devant l'Assemblée, et traduction éventuelle devant la Haute Cour de justice en cas de forfaiture. Mais rien n'est prévu en cas de conflit aigu entre les deux pouvoirs. Quant à la disposition interdisant la réélection immédiate, elle va se révéler plus dangereuse qu'utile.

La République sans républicains.

• Cinq candidats se présentent à l'élection présidentielle du 10 décembre. Cavaignac, auréolé de son succès de juin, apparaît comme le candidat des notables et de l'autorité, soutenu par les républicains modérés et de nombreux ralliés. Il a aussi pour lui l'administration et la plupart des journaux, au risque d'apparaître comme le candidat du pouvoir incarnant la gestion de la crise économique, l'« impôt des 45 centimes », la répression sociale. C'est pourquoi, les députés de la Montagne lui préfèrent Ledru-Rollin, ancien ministre de l'Intérieur, qui incarne le courant radical appuyé par un réseau de sociétés républicaines. Les socialistes soutiennent Raspail, le médecin des pauvres, tandis que Lamartine, s'illusionnant sur sa popularité, tente aussi le sort des urnes. Très vite, l'adversaire le plus dangereux pour Cavaignac est le prince Louis Napoléon Bonaparte, rentré récemment d'exil. Il a en sa faveur un nom illustre, la force de la légende napoléonienne, le ralliement de la plupart des dirigeants du parti de l'Ordre formé autour des principaux leaders monarchistes, légitimistes ou orléanistes, et des membres du parti catholique. Au terme d'une habile campagne, il remporte 74 % des suffrages exprimés, contre 19 % à Cavaignac. Le faible score de Ledru-Rollin (5 %) révèle le manque d'organisation de l'extrême gauche, Raspail et Lamartine ne recueillant que des scores confidentiels (0,5 % et 0,1 %).

En accord avec le parti de l'Ordre, le prince-président compose un gouvernement, qu'il confie à Odilon Barrot, lequel épure l'administration de ses cadres républicains et engage la lutte contre les hommes de février. Aux législatives du 13 mai 1849, les républicains modérés subissent une nouvelle défaite et, avec 11 % des suffrages, n'ont que 75 élus. Le parti de l'Ordre obtient 53 % des voix et 450 représentants sur 750. La surprise vient du succès relatif de l'extrême gauche - 35 % des suffrages -, qui comptabilise 200 parlementaires au terme d'une campagne axée sur les aspirations du monde rural. Mais la Montagne perd le bénéfice de cette poussée en provoquant une inutile manifestation à Paris, le 13 juin, contre l'expédition romaine en faveur du rétablissement du pouvoir temporel du pape. Ses leaders doivent prendre la fuite, et le parti de l'Ordre en profite pour durcir l'arsenal législatif répressif contre les clubs et la presse démocratique.

La fin de la République.

• Entre les mains de ses adversaires que leurs divisions neutralisent, la République va survivre encore deux ans et demi. Tout en s'émancipant de la tutelle du parti de l'Ordre par la formation, le 31 octobre 1849, d'un ministère extraparlementaire, Louis Napoléon laisse l'Assemblée légiférer et adopter la loi Falloux (15 mars 1850), qui règle le problème de la liberté de l'enseignement secondaire mais place l'Université sous la tutelle des autorités sociales et du clergé. Il la laisse resteindre le suffrage universel par la loi du 31 mai 1850, qui exclut les électeurs domiciliés depuis moins de trois ans dans leur commune. Pendant ce temps, le prince-président tisse sa toile dans l'administration et crée à l'Assemblée un parti élyséen. Les oppositions entre légitimistes et orléanistes s'étant accrues après l'échec du projet de fusion consécutif à la mort de Louis-Philippe, de nombreux parlementaires s'inquiètent de l'échéance de 1852. Les ultras du légitimisme et de l'orléanisme minent l'essai d'une République conservatrice.

Dans de telles conditions, le président se sent assez fort pour se débarrasser du général Changarnier, commandant des troupes de Paris et principal obstacle à un éventuel coup d'État (9 janvier 1851). Malgré ses protestations, l'Assemblée s'incline. La dernière chance de sauver la IIe République est de réviser la Constitution pour éviter, en mai 1852, la double vacance du pouvoir exécutif et législatif et pour permettre la réélection, selon ses vœux, de Louis Napoléon. La majorité du parti de l'Ordre s'y résigne mais n'obtient pas, le 19 juillet 1851, le minimum des trois quarts des votants exigé par la Constitution, en raison de l'opposition d'une fraction d'orléanistes irréductibles groupés autour de Thiers. Le coup d'État est devenu inévitable. Il est habilement préparé techniquement et politiquement, le prince-président proposant le rétablissement du suffrage universel repoussé par l'Assemblée le 13 novembre. La droite tente alors d'assurer la sécurité de l'Assemblée en prévoyant le droit, pour son président, de requérir la force armée. C'est au tour des républicains de s'unir aux bonapartistes pour repousser la proposition (17 novembre).