Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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famine.

Avec la peste et la guerre, la famine est l'un des trois fléaux, terriblement redoutés, qui sévissent périodiquement, quasi régulièrement, jusqu'au XIXe siècle.

L'angoisse de ne pas trouver son pain quotidien a longtemps été très forte : les mots mêmes de la prière Pater Noster ou le conte du Petit Poucet (paru en 1697) en témoignent. Dans une société où chaque adulte consommait deux à trois livres de pain par jour, et où peu de gens - même chez les paysans - disposaient de réserves suffisantes pour assurer la nourriture du lendemain, tout déséquilibre entre la population et les « subsistances » déclenchait une pénurie momentanée : la disette. Celle-ci venait-elle à se prolonger, on entrait alors dans une véritable crise : la famine.

Treize siècles de famines périodiques.

• L'on connaît, grâce aux sources historiques, les années de grandes famines depuis le haut Moyen Âge. En l'an 584, Grégoire de Tours rapporte qu'« une grande famine ravagea presque toutes les Gaules : bien des gens firent du pain avec des pépins de raisin, des fleurs de noisetier, quelques-uns même avec des racines de fougère ». Au cours des IXe et Xe siècles, la gravité de certaines famines est telle qu'elle entraîne des pratiques de cannibalisme. En 1032, Raoul Glaber signale qu'on vit quelqu'un apporter de la chair humaine cuite au marché de Tournus. Après quelques siècles de relative accalmie, le fléau frappe de nouveau : lors de la crise de 1315-1317 - d'ampleur européenne -, puis au cours de la guerre de Cent Ans. Au XVIe siècle, les années 1515, 1521, 1531, 1563 et les deux dernières décennies des guerres de Religion sont marquées par la famine. Hormis des crises localisées mais chroniques - ainsi en Bourgogne, en Lorraine et en Champagne, ravagées par la guerre de Trente Ans, entre 1636 et 1648 -, le XVIIe siècle connaît des famines aiguës en 1630-1631, 1649-1652, 1661-1662 (la famine dite « de l'Avènement ») et 1693-1694. Cette dernière est une véritable hécatombe : 2 836 000 morts (soit une surmortalité de 1,3 million), un déficit de plus de 1,5 million de naissances et de 83 000 mariages. Avec un recul de la population de 7,65 %, elle fait presque autant de morts que la Première Guerre mondiale, dans une France à moitié moins peuplée. En comparaison, la crise de 1709-1710, malgré le Grand Hiver, est moins sévère : il en coûte néanmoins au royaume environ 650 000 décès supplémentaires, 420 000 naissances « perdues » et une chute de 140 000 mariages ; au total, un déficit de 810 000 habitants, soit un peu plus de 3,5 % de la population.

Les crises s'atténuent ensuite, faisant place à des disettes (1725, 1737-1738, 1789, 1795 ; puis 1812, 1817, 1829-1832, 1846-1847). Après 1817, si les crises agricoles ne sont pas accompagnées d'un nombre de morts élevé, la malnutrition continue néanmoins de sévir : ainsi, au milieu du XIXe siècle, on compte encore, en Alsace par exemple, une forte proportion de réformés pour faiblesse de constitution lors de la conscription.

Face à la pénurie, les différentes catégories sociales ne sont évidemment pas sur un pied d'égalité. Les errants sont les premières victimes. Les témoignages ne manquent pas : en 1694, à Saint-Germain-de-Fly (Oise), des mendiants venus du Pays de Caux sont « tellement épuisés et abattus de la faim qu'ils ne pouvaient pas même desserrer les dents pour manger » ; en 1575, dans le Velay, « les pauvres mouraient de faim par les chemins, ne mangeant que de l'herbe qu'on leur trouvait à la gorge ». La vulnérabilité est aussi différente selon les lieux géographiques : une province telle que la Bretagne, grâce à la culture du sarrasin et à la proximité des ports d'importation de grains, a davantage été préservée que les plateaux céréaliers, voués à la monoculture, ou des régions isolées et surpeuplées, telles que le Craonnais, le Perche et la majeure partie du Massif central à la fin du XVIIe siècle. Quant aux villes closes, elles peuvent connaître des situations dramatiques. Qu'advienne un siège et les tabous alimentaires tombent : à Sancerre, assiégée par les catholiques en 1573, les habitants se replient successivement sur la viande de cheval - non consommée jusqu'à la fin du Second Empire - avant d'absorber chats, rats, taupes, cuir, parchemin bouilli, fiente, racines de ciguë ... et l'on surprend un couple de vignerons s'apprêtant à consommer de la chair humaine. Semblables scènes se retrouvent en Franche-Comté en 1637 et en Livradois en 1694.

Les racines du fléau.

• Une mauvaise récolte entraîne une élévation du cours des grains, et, par suite, du prix du pain, encore accentuée par la spéculation : les marchands qui disposent de stocks retardent les ventes pour profiter de la hausse qui culmine pendant la soudure, dans les mois qui précèdent la future récolte. Que celle-ci vienne à son tour à manquer et les prix flambent, l'accaparement s'accentue et les marchés se vident.

Concernant les céréales d'hiver, si essentielles, c'est l'excès d'humidité - qui empêche le mûrissement ou entraîne le pourrissement des grains - qui est le plus à craindre en dehors des régions méditerranéennes. Que deux étés trop pluvieux se succèdent et c'est le désastre : ainsi en 1315-1316, en 1660-1661 ou en 1693-1694. La vulnérabilité des récoltes aux aléas climatiques, alors que les rendements, déjà irréguliers, n'atteignent pas toujours les dix quintaux à l'hectare, est l'une des raisons des « chertés ». Mais, plus que la rareté des denrées, ce sont la rapidité et la soudaineté de la montée des prix - caractéristiques d'un marché trop étroit - qui entraînent des famines. La difficulté des communications, la multitude des péages intérieurs, la lenteur des arrivages extérieurs, la résistance des populations à tout départ de convois, entravent en effet la circulation des grains. Les épidémies elles-mêmes peuvent susciter les famines par la mort ou l'exode des travailleurs agricoles, le manque d'entretien du sol, la fermeture de certains marchés.

Les méfaits des gens de guerre, enfin, aggravent tout : les champs ne sont plus ensemencés, les jachères ne reçoivent plus aucun labour, le cheptel de trait est décimé. Même en période de paix, les réquisitions abusives des troupes, au moins jusqu'aux réorganisations des armées par Louis XIV, sont insupportables quand elles suivent une mauvaise récolte (comme en basse Bretagne entre 1591 et 1597, ou au sud de Paris, lors de la Fronde des princes en 1652).