Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
H

humanisme (suite)

Des prémices à la consolidation

Avant d'accueillir et d'intégrer à son propre fonds l'immense mutation intellectuelle et artistique du quattrocento, la France connaît indéniablement les prémices d'un renouveau dès le milieu du XVe siècle. Les campagnes d'Italie n'auraient sans doute pas joué le rôle de catalyseur, décrit en termes lyriques par Michelet, si des évolutions intrinsèques à notre culture ne leur avaient préparé le terrain. Durant les années 1450-1460, le sentiment d'un affaissement de la vitalité intellectuelle est très largement partagé. Paris ne fait plus figure, comme au siècle précédent, de centre incontesté de la théologie ; les disputes scolastiques dont l'Université est le théâtre sombrent dans l'inanité formaliste ; les clercs sont insuffisamment formés ; le latin n'est plus qu'un outil technicisé à l'extrême et éloigné de sa pureté originelle. C'est à partir de 1470 que se déploie le zèle réformateur de Robert Gaguin (vers 1430-1501), général de l'ordre des Trinitaires et doyen de l'Université de Paris. Considéré comme le « mieux-diseur » et le plus savant de son temps, il s'intéresse à la rhétorique, au droit canon, et contribue ainsi à desserrer l'emprise de la toute-puissante scolastique sur le cursus universitaire. Le jeune Érasme ne s'y trompe pas, et adresse à Gaguin, lors de son premier séjour à Paris, une lettre débordante de louanges.

Nombreuses sont les déclarations des contemporains qui attestent, dans le dernier tiers du XVe siècle, la conscience d'une rénovation intellectuelle. Appelée à une longue postérité, la métaphore de la lumière et des ténèbres - le présent, riche de potentialités culturelles, s'oppose à un passé récent assimilé à l'obscurantisme - devient récurrente dans la correspondance des humanistes parisiens. En 1471, Guillaume Fichet écrit à Robert Gaguin que « les dieux et les déesses font renaître chez nous la science du bien-dire », tandis que le juriste Christophe de Longueil s'insurge contre les « hiboux des ténèbres qui ont peur de la clarté du soleil ». Néanmoins, les antithèses polémiques ne sauraient masquer la continuité des temps. Le premier humanisme reste largement le fait des moines - comme le montre l'exemple de Robert Gaguin -, et l'horizon de ses préoccupations intellectuelles est encore dominé par la théologie. Il n'empêche que ces devanciers, en cherchant à appuyer l'éducation sur l'étude des textes classiques, posent des principes dont les générations suivantes élargiront le cercle d'application.

Ce n'est pas le moindre mérite de Gaguin que d'avoir vu en l'imprimerie le vecteur fondamental de la rénovation. Après l'installation des premières presses à Paris en 1470, les grands centres d'impression vont se multiplier rapidement. Si, dans un premier temps, la part des ouvrages religieux est prépondérante, les textes de l'antiquité gréco-latine et les productions des contemporains, en latin ou en langue vulgaire, ne tardent pas à abonder. L'imprimerie n'est pas seulement un atelier, elle est aussi un laboratoire d'idées où s'instaure un échange entre des humanistes qui surveillent l'impression de leurs livres. Il n'est pas rare que l'imprimeur soit lui-même un érudit remarquable, à l'instar de Josse Bade (1461-1535), installé d'abord à Lyon puis à Paris, célèbre pour ses éditions de textes classiques et de manuels pédagogiques. Au fil du siècle suivant, les générations d'imprimeurs - Wechel, Arnoullet, la famille Estienne - joueront un rôle essentiel dans la diffusion des idées nouvelles.

L'effort de restitution des textes classiques dans leur intégrité originelle s'épanouit pleinement avec la génération de Lefèvre d'Étaples (vers 1450-1537) et de Guillaume Budé (1467-1540). Très soucieux d'utiliser des manuscrits fiables, Lefèvre publie nombre d'ouvrages appartenant à des traditions et des courants idéologiques fort divers - Aristote, les auteurs hermétiques, les mystiques rhénans, Raymond Lulle, et surtout sa traduction française des Évangiles (1523). S'il a contribué à la promotion de la langue grecque, c'est néanmoins à Budé que revient le titre de premier grand helléniste français. Traducteur de Plutarque, auteur de volumineux Commentaires sur la langue grecque (1529), il est surtout connu de ses contemporains pour ses Annotations aux Pandectes (1508), qui renouvellent profondément la science juridique en instaurant, sur la base de critères philologiques, une méthode historique d'interprétation du droit. À la différence de celle d'un Gaguin, dont l'œuvre pédagogique et réformatrice ne s'est guère étendue au-delà du cercle de l'Université, la pratique érudite de Lefèvre et de Budé reste liée à une vita activa soucieuse d'agir dans le présent et d'y ouvrir les voies d'un renouvellement : tandis que le premier s'efforce, avec l'appui de l'évêque de Meaux Guillaume Briçonnet, de promouvoir une religion intériorisée, émancipée du commentaire dogmatique, le second mène une carrière au service de Charles VIII, Louis XII, et surtout François Ier, qu'il convainc de créer un établissement ouvert aux récentes conquêtes du savoir. L'année 1530, date de l'institution des premiers lecteurs royaux - ébauche du futur Collège de France -, peut être considérée comme l'apogée du vaste mouvement culturel engagé quelque soixante ans plus tôt : le savoir a plus qu'amorcé sa laïcisation, les lieux d'enseignement et les foyers de diffusion de la culture se sont disséminés au point de déposséder l'Université de son monopole. Comme l'a souligné l'historien Robert Mandrou, le groupe des clercs « a cessé de porter la vision du monde la plus riche et la plus élaborée ».

Tensions et contradictions d'un âge d'or

L'humanisme français des premières décennies du XVIe siècle n'aurait pas eu la même capacité de rayonnement s'il n'avait bénéficié de l'appui d'un souverain qualifié de « père des lettres » par les panégyristes. Politique de prestige ? Amour sincère des lettres ? La question importe peu au vu de l'effervescence culturelle qui caractérise le règne de François Ier, tout particulièrement les années 1520-1540. Favorisant les traductions de textes anciens, stimulant la création poétique, accordant aide et protection à des auteurs en difficulté avec une Sorbonne sourcilleuse, le roi fait de la cour - au prix évident de quelques servitudes - un lieu d'échanges culturels et de diffusion des nouveaux courants de pensée. D'une manière générale, les cours royales ou princières deviennent l'un des théâtres privilégiés d'une pensée préoccupée de rompre avec les carcans intellectuels et les dogmes religieux. Entre 1527 et 1549, Marguerite de Navarre, sœur du roi, rassemble quelques-uns des meilleurs humanistes du temps et fait de sa résidence un centre actif où le néoplatonisme croise les courants de la rénovation religieuse.