Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
G

Gaulle (suite)

« Résurrection » et « paix des braves »

Ce sont les terribles convulsions provoquées par le soulèvement de l'Algérie, à partir de novembre 1954, qui vont entraîner le rappel au pouvoir de l'homme du 18 juin. Le caractère inextricable du problème - sauf à user de mesures extrêmes -, combiné à l'impotence d'un pouvoir parisien flottant au gré de majorités instables, semble conduire le pays au chaos. Mais, à l'occasion d'une sédition politico-militaire à Alger, prolongée par une amorce de coup de force de l'armée (en exécution du plan « Résurrection », qu'il n'a pas clairement désapprouvé), le reclus de Colombey est désigné pour prendre la tête d'un gouvernement chargé de trouver une issue au tragique imbroglio d'Algérie.

De Gaulle a conscience que rien de grand ne pourra être entrepris sans que soit levée l'hypothèque algérienne. Mais cette opération vitale ne saurait être menée à bien sans un renforcement des institutions : en sept mois, de Gaulle réussit le double tour de force de faire approuver par référendum un projet de Constitution qui consacre le chef de l'État comme le maître du jeu, et d'amorcer simultanément un processus politique en Algérie, par l'offre de la « paix des braves ».

Il lui faudra encore près de quatre ans - non sans opérations sanglantes, répressions, assassinats politiques, terrorisme, chassés-croisés diplomatiques, tentatives de coups de force militaires, attentats contre sa personne - pour aboutir à une issue, d'ailleurs bâclée, les accords signés à Évian, en mars 1962. Ils ont le mérite, à ses yeux comme à ceux de la majorité des Français consultés par référendum, de « libérer la France de l'Algérie ». De Gaulle a su se débarrasser du fardeau sans pouvoir préserver les chances, déjà très minces, d'assurer le maintien d'une population européenne utile à l'Algérie, ni sauver les Algériens (harkis) engagés du côté de l'armée française. Mais ni la France ni l'Europe ni le monde ne sont prêts, en 1962, à une prolongation de l'effort de guerre français outre-Méditerranée.

Un président royal

Ayant fait appel à de Gaulle pour les tirer du « guêpier » algérien, et considérant les efforts et le talent déployés pour trancher ce nœud gordien, les Français ne sont pas disposés à lui marchander le pouvoir. Certes, la Constitution élaborée par lui et son garde des Sceaux, puis premier ministre, Michel Debré, revêt un aspect trop monarchique pour les uns, trop présidentiel (à l'américaine) pour d'autres. Mais, d'une consultation populaire à l'autre, le crédit accordé à de Gaulle par les électeurs avoisine les 80 % jusqu'à la fin du conflit, et ne s'effrite que lorsque s'éloigne l'urgence algérienne.

Les adversaires de ce système « fort » (encore renforcé par l'élection du président de la République au suffrage universel, instituée par référendum en 1962), tels Pierre Mendès France et François Mitterrand, ont beau jeu d'incriminer certaines outrances du pouvoir, « dictatorial » selon celui-ci, « consulaire » selon celui-là, le contrôle abusif des médias, les risques d'autoritarisme que fait courir à la République l'article 16 de la Constitution, prévoyant, en cas d'urgence, la restriction des libertés publiques. C'est faire peu de cas des contraintes inhérentes à la guerre d'Algérie jusqu'en avril 1962, et oublier qu'à quelques « bavures » près le régime gaullien ne cesse d'être une démocratie parlementaire, fût-elle dotée d'un président de stature monarchique.

Un rôle mondial

Une stature qui contribue à rendre à la France, sur le plan européen d'abord, mondial ensuite, une position excédant à coup sûr sa capacité productive et le poids de ses armes. Dès son retour au pouvoir, en 1958, de Gaulle a tout mis en œuvre pour que la France, fort avancée déjà sur le plan de la recherche nucléaire, grâce à des savants tels que Joliot-Curie ou Jean Perrin, puisse disposer de l'arme atomique - ce qui est acquis en 1960.

Longtemps méfiant à l'endroit de la construction européenne, dont il a dénoncé les tendances fédéralistes incompatibles avec les souverainetés nationales - surtout en matière militaire -, Charles de Gaulle constate, sitôt qu'il accède au pouvoir, que la France bénéficie du fonctionnement des institutions européennes. Il sait en tirer les conséquences et « corriger le tir » : bientôt s'opère son ralliement à une Europe « politique », capable de faire équilibre aux deux super puissances de l'Est et de l'Ouest. Le « plan Fouchet », élaboré en 1961 par l'un de ses fidèles, semble l'expression de ce projet grandiose ; mais, craignant des entraves à ses initiatives diplomatiques ou stratégiques - ne faudra-t-il pas en référer à Bruxelles ou à La Haye chaque fois qu'il prétendra tenir la dragée haute à Washington ? - de Gaulle y renonce et se contente de nouer des liens de plus en plus étroits avec son voisin de l'Est, ayant su très tôt (1948) prôner la réconciliation avec l'Allemagne, et faire jouer au mieux la francophilie du chancelier Adenauer.

Entre les États-Unis et l'Union soviétique, il ne prétend pas instaurer le « neutralisme ». Prêchant la « détente et la coopération » avec le « camp socialiste », il ne cesse de rappeler que la France fait partie du système d'alliance occidentale, et, lors de chacune des crises qui opposent les États-Unis à l'URSS, soit à propos de Cuba, où le gouvernement de Nikita Khrouchtchev a installé des missiles menaçant le territoire américain, soit à propos de Berlin, où les soviétiques « testent » périodiquement la solidité de la présence occidentale, de Gaulle manifeste la fidélité critique de la France à l'alliance américaine.

En 1966, sa décision de retirer la France des « organismes intégrés » du Pacte atlantique revêt un sens à la fois symbolique - rappeler aux Français que la défense est d'abord « nationale » - et politique - aucun automatisme ne saurait entraîner la France dans un conflit où des intérêts vitaux ne sont pas engagés. Reste que son réquisitoire contre l'intervention américaine au Viêt-nam (discours de Phnom Penh, 1er septembre 1966), la remise en question du dollar en tant que monnaie de compte, ou la condamnation de telle ou telle attitude d'Israël en lutte contre les pays arabes, vont altérer, plus que de raison, les relations entre Paris et Washington.