Pina BAUSCH, [B. Philippine, dite ] (née en 1940). (suite)
En 1971, les yeux exorbités, l'horreur sur le visage, P. Bausch danse Philipps 836 885 (mus. P. *Henry), se frappant le corps comme si ses mains pouvaient exorciser le mal qui l'habite. Elle transmet le malaise d'une conscience tourmentée, apeurée et en quête d'expiation. La peur exprimée dans ce solo restera la plus fidèle compagne de la chorégraphe ; elle l'avouera souvent : peur d'elle même, de ses limites, mais aussi des autres et constat de leurs propres peurs. De cette fragilité, elle va apprendre à faire un atout et finir par imposer son style dans une Allemagne des années 1970 qui renie son passé et n'ouvre ses théâtres qu'aux chorégraphes issus de grandes compagnies classiques, tels G. *Bohner ou H. *Kresnik : P. *Bausch est la première danseuse de formation moderne qui accède à l'institution théâtrale très fermée de l'Allemagne d'après-guerre. Soutenue par toute la finesse du style Jooss-*Leeder, elle donne à la *danse-théâtre une écriture des corps totalement contemporaine. Dans une Allemagne où le théâtre fait rage, et s'enrage, elle trouve la complicité de R. *Borzík, son scénographe et ami, qui participe à la conception de toutes ses œuvres de 1975 jusqu'à sa mort en 1980. C'est lui qui va donner une assise à son univers empreint de vertiges et dessiner, par les décors et les costumes, un « look Pina » reconnaissable au premier coup d'œil dès Die *sieben Todsünden [les Sept Péchés capitaux] (1976) et que P. *Pabst et M. *Cito perpétueront à partir de 1980.
De son passage au FTS, P. Bausch garde la conscience d'une danse s'appuyant avant tout sur l'honnêteté de la démarche créatrice. Ses premières pièces en sont l'éclatante démonstration. Ainsi, dans Wiegenlied [Berceuse] (1972) le spectateur assiste en silence aux viols répétés que perpétuent deux hommes habillés en soldat. D'une grande virtuosité chorégraphique, cette succession de duos violents, scandés par le bruit des bottes, se termine par une chanson suave, quelques mots d'une berceuse parlant de la guerre et du père absent. *Aktionen für Tänzer, présenté déjà à Wuppertal, mais créé avec le *FTS, est de la même veine. Ces tableaux macabres, ces scènes violentes, s'adoucissent dans *Fritz (1974), œuvre transitoire qui inaugure son installation à Wuppertal et où la vision du monde à travers les yeux de l'enfance semble ouvrir le chemin d'une innocence retrouvée. À partir de la Légende de la chasteté (1979), P. Bausch s'oriente vers plus de dérision, d'humour et même de légèreté. Son désespoir est toujours là, mais il s'ouvre à des problématiques plus larges liées à l'évolution économique et politique du monde, qu'elle observe toujours du point de vue de l'individu.
Dès 1976, P. Bausch abandonne définitivement la composition chorégraphique traditionnelle : accolant des séquences discontinues selon un procédé proche du montage cinématographique moderne, elle construit ses pièces « non pas d'un bout à l'autre, mais de l'intérieur vers l'extérieur ». Dans un processus basé sur l'*improvisation, elle aborde ses créations par des questions qu'elle se pose et pose à ses interprètes, notamment sur les thèmes de l'identité, du souvenir, du désir, du rapport homme-femme. De leurs réponses et propositions multiples qui allient actions, mots, chants ou séquences de mouvement, émerge peu à peu des oeuvres dont elle seule détient les clefs. Entourée de H. *Pop et R. *Hoghe, P. Bausch forge un style unique basé sur l'effet du nombre autant que sur des personnalités affirmées telles que M. *Airaudo, M. *Alt, J. A. *Endicott, L. *Forster, M. *Grossmann, A. *Martin, D. *Mercy, J. *Minarik, jouant sur les actions simultanées, la répétition de gestes par *accumulation, les formes processionnelles telles les défilés dans les diagonales, figures reprises par la suite par d'autres chorégraphes.
Entre Yvonne, la princesse muette qu'elle interprète dans l'opéra de B. *Blacher mis en scène par Witold Grombrowicz en 1974, et l'aveugle étrangement lucide qu'elle incarne dans le film E la nave va (1983) de Federico Fellini, P. Bausch est surtout une visionnaire de l'être qui trouve son expression au-delà des mots. Reconnue mondialement comme une des chorégraphes les plus marquantes de la fin du xxe s., elle renouvelle totalement le rapport entre danse et théâtre et construit une forme de tragique contemporain qui influence nombre de créateurs bien au-delà de la danse.
MIB, PLM
Autres chorégraphies. Le *Sacre du printemps (1975) ; *Kontakthof (1978) ; *Arien (1979) ; *Ein Stück (1980) ; *Nelken (1982) ; *Waltzer (1982) ; *Palermo Palermo (1991) ; le *Laveur de vitres (1996).
Bibliographie. O. Aslan, « Danse / Théâtre / Pina Bausch », Théâtre / Public nos 138 et 139, 1997 et 1998.
Filmographie. Un jour Pina m'a demandé (1983, réal. Chantal Akerman) ; La Plainte de l'impératice (1989, réal. P. Bausch).