Comédienne, danseuse et chorégraphe américaine.
Originellement comédienne de revue, elle vient « accidentellement » à la danse, en improvisant un état d'hypnose dans la comédie musicale, Quack M. D. Riche de sa brève expérience comme skirt dancer au Gaiety Theatre de Londres, elle se met à explorer les effets produits par la manipulation des draperies sous les projecteurs multicolores et met au point sa *Danse serpentine (1891), immédiatement reprise par une nuée d'imitatrices. L'année suivante, dans l'espoir de rencontrer le succès, elle se rend en Europe et fait ses débuts triomphaux à Paris, où elle va mener l'essentiel de sa carrière. En 1900, dans un petit théâtre qu'elle fait construire pour l'Exposition universelle de Paris, elle présente avec la Japonaise Sada Yakko des danses qui marqueront R. *Saint Denis et I. *Duncan. En 1908, elle fonde une école et forme une compagnie qui se produira jusqu'en 1939.
D'emblée, Fuller séduit la presque totalité du monde littéraire et artistique et finit par s'imposer comme l'égérie de la Belle Époque : les symbolistes célèbrent la réalisation du « spectacle idéal », tandis que l'Art Nouveau intègre à son imaginaire les volutes de cette « flora humanisée ». Elle ne cesse de perfectionner les composantes de ses solos. La « fée Lumière » jongle avec les foyers de projection, invente des dispositifs lumineux qu'elle fait breveter et n'hésite pas à expérimenter les nouveaux matériaux découverts par les sciences physiques (la *Danse du radium, 1906). Ses costumes, animés à l'aide de longs bâtons, gagnent en envergure jusqu'à occulter complètement son corps. Son univers ondoyant, évocateur subtil du règne animal (le *Papillon, 1892) et végétal (Danse du *Lys, 1897), évolue avec le temps vers des métaphores des éléments (la Danse du feu, 1896) et des phénomènes naturels (l'orage dans Salomé, 1895, la mer qui tourne en sang dans la Tragédie de *Salomé, 1907), que le surnaturel vient toujours teinter de fantasmagorie.
En embrassant la nouveauté que constitue la lumière électrique, Fuller devient une des premières artistes à tenter une approche pluridisciplinaire de l'action scénique. Pourtant, elle est une pionnière souvent controversée de la danse moderne, ses spectacles inclassables tenant plus des effets scéniques que du mouvement proprement dit. Son apport principal consiste à réaliser, littéralement, l'interaction entre corps et espace : « Le corps du danseur [...] jette dans l'espace des vibrations », constate-t-elle. En mettant sur scène leur dialogue, rendu visible par la lumière, elle préfigure la notion de *kinésphère dans la théorie de R. *Laban autant que les jeux de métamorphose du corps par les tissus chez A. *Nikolais. La primauté de l'espace, qu'elle entend comme « la première chose à réaliser... », la mène à créer une danse dépourvue de toute finalité narrative, qui vient investir une scène dépouillée et plongée dans le noir, vide dense, et remplie des fantasmes du public. L'art naissant du cinéma, fasciné par les formes cinétiques des voiles qui rendent le tracé de la lumière, tente de capter le « mouvement en acte » des danses fullériennes, malgré les moyens limités de l'époque. Charnière entre deux siècles, l'œuvre de Fuller est, selon le mot de S.*Mallarmé (Crayonné au théâtre), « ivresse d'art et, simultané un accomplissement industriel ».