Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
A

affiche (suite)

Grande-Bretagne

En Angleterre, il faut attendre la dernière décennie du XIXe s. pour voir l'affiche acquérir un style propre, dégagé du Préraphaélisme, telle que la conçoit John Hassal : avec Colman's Mustard (1898), il montre pour la première fois le produit lui-même avec une précision photographique, en dépit de la composition d'ensemble, qui reste floue. Son humour — pourtant souvent grossier — fit sa gloire, malgré l'aspect essentiellement anecdotique de ses affiches (Veritas Mantles, 1897 ; Skegness is so bracing, 1909). Dudley Hardy crée un genre plus empreint de poésie, mais où l'influence de Chéret semble mal assimilée (Gaiety Girl, 1894). Plus authentiquement britannique est l'art des Beggartstaff Brothers, c'est-à-dire de James Pryde et de William Nicholson. Le Japonisme, également à la mode en Grande-Bretagne, se manifeste sous une forme plus décantée qu'en France : sûreté de la ligne, couleurs pures et formes arrondies, comme dans Rowntree's Elect Cocoa, 1900, ou Don Quixote, 1896, affiche réalisée pour la pièce en un acte d'Henry Irving au Lyceum Theatre. Avec Cecil Aldin apparaissent les paysages typiques de l'Angleterre " fin de siècle " (Cadbury's Cocoa, 1899 ; Colman's Blue, 1899) et les scènes mondaines d'une certaine aristocratie (Ellis Davies'Tea, 1899). Comme chez de nombreux affichistes français où l'on décèle sous-jacent le métier du peintre, chez Cecil Aldin et d'autres artistes anglais on retrouve le dessinateur, parfois le caricaturiste. Mais curieusement, alors que sur le continent les artistes évoluent vers l'Art nouveau, les artistes anglais se dégagent peu à peu de ce que l'on a appelé le " Proto-Art nouveau " britannique, issu du mouvement Arts and Crafts, des années 1880.

Allemagne

En Allemagne, l'impulsion qui donna naissance à l'affiche vint de l'extérieur : les artistes commencèrent par suivre l'exemple de Chéret, de Toulouse-Lautrec ou des Beggarstaff Brothers. Mais en 1896 est fondée la revue Die Jugend, dont le but est de promouvoir un style nouveau dans les arts appliqués ; le Jugendstil (du nom de la revue), dont les exigences à la fois symbolistes et expressionnistes se mêlent à la recherche typographique, est d'une homogénéité incertaine : deux tendances se manifestent dans l'art de l'affiche : tout d'abord, le Jugend floral, qui fait place v. 1900 au Jugend géométrique, presque constructiviste avant la lettre. Au premier de ces mouvements se rattache Thomas Theodor Heine, cofondateur de la revue Simplicissimus, pour laquelle il réalise plusieurs affiches satiriques (Teufel, 1896 ; Doggen, 1897) d'un humour pénétrant, au style concentré. Simplicité et économie de moyens se retrouvent dans l'art de Bruno Paul, mais avec un caractère moins agressif : Exposition " l'Art dans l'artisanat " (1902). L'affiche réalisée en 1899 par Emil Rudolf Weiss pour les éditions Insel, en même temps qu'elle constitue un exemple parfait du Jugendstil floral, apporte la preuve des nouvelles recherches typographiques allemandes. À l'affiche commerciale est lié le nom du Berlinois Lucian Bernhard, qui cherche la concentration maximale du sujet — le produit — et limite le texte à un seul mot, celui de la firme ou du produit, atteignant le plus fort effet publicitaire en stylisant la forme de l'objet ou en utilisant les dissonances chromatiques les plus heurtées : Lustige Blätter (1907), Lampes Osram (1913). Julius Klinger intègre admirablement le texte à l'ensemble, et en fait parfois l'élément dominant de son affiche (Palm Cigarren, 1906), tandis que chez Ludwig Hohlwein le dessin reste toujours le motif essentiel, où l'harmonie des couleurs superposées dénote l'influence de la photographie par les effets de clair-obscur (Marco-Polo-Tee, 1911 ; Jockey Club de Munich, 1910). Bientôt l'Expressionnisme apparaît dans l'affiche, qui ajoutera l'aspect social au rôle publicitaire, avec Kokoschka (la Tragédie de l'homme, 1908) notamment, ainsi que d'autres artistes de la revue berlinoise Der Sturm et du groupe Die Brücke (affiche de Kirchner pour les expositions de 1906).

Autriche

L'Autriche prend part tardivement à ce renouveau. La Sécession viennoise, fondée notamment par Josef Hoffmann, conçoit un style essentiellement géométrique, bâti à partir de rectangles et de carrés, et s'éloigne donc de l'Art nouveau, plus ornemental (Ver Sacrum, 1898 ; 1904, Hodler). Koloman Moser fixe le jeu des lignes mouvantes propre à l'Art nouveau en une addition d'éléments géométriques qui encadrent un personnage extrêmement stylisé, vu de profil ou de face (Jacob and Joseph Kohn, Furniture Fabric, 1908).

Belgique

En Belgique, le style floral connaît de nombreux adeptes parmi les affichistes ; Privat-Livemont crée un genre essentiellement linéaire, où la couleur n'a pour objet que de rehausser l'affiche (Cabourg à 5 heures de Paris, 1896). De même, Victor Mignot, qui dessine en 1897 une affiche pour le Cénacle, où les lignes souples et sûres des personnages s'organisent en entrelacs rigoureusement calculés. L'art de Meunier, par contre, est plus géométrique et plus sec, et ses recherches chromatiques sont souvent malheureuses (Casino de Blankenberche, 1896).

Hollande

En Hollande, la " Nieuwe Kunst " diffère radicalement de l'Art nouveau dans les autres pays européens : le luxe français, le symbolisme allemand en sont absents. Ses maîtres dans l'art de l'affiche savent trouver un style propre, au demeurant plus chargé, et dépourvu d'humour.

   Jan Toorop crée des affiches dont l'espace entier est rempli de motifs floraux ou de courbes parallèles (Delftsche Slaolie, 1895 ; Het Hoogeland Beekbergen, 1896), tandis que son disciple Johan Thorn Prikker s'affirme dans des contorsions linéaires plus insistantes encore.

Italie

L'Italie reste longtemps sous la domination des affichistes français : Leopoldo Metlicovitz se dégage le premier des influences de l'Art nouveau, mais en puisant à la même source : l'art japonais. Sa célèbre affiche réalisée pour l'opéra de Puccini Madame Butterfly (1904) s'inspire directement d'une gravure d'Hiroshige. Son disciple Marcello Dudovich régnera en maître sur l'affiche italienne jusqu'à la Grande Guerre, par des réalisations d'une élégance certaine (Zenit, 1911), où l'érotisme, éternel facteur de vente, est souvent présent (Liquore Strega, 1906).

États-Unis

Comme l'Europe, le Nouveau Monde connaît l'Art nouveau : il se nomme ici style " Liberty ". William H. Bradley est sans doute le seul affichiste véritablement américain ayant su refuser la mode du " french poster " importée par Toulouse-Lautrec, qui exécuta deux affiches pour The Chap-Book en 1896, et Eugène Grasset (Harper's Magazine, 1892). Le " floral " de Bradley atteint parfois une exubérance telle qu'un effet optique troublant en résulte (Victor Bicycles, 1893). Ses cinq affiches réalisées en 1895-96 pour The Chap-Book témoignent de la richesse de son style et de son habileté dans l'emploi de la couleur (une couleur dominante dans chaque affiche). Maxfield Parrish utilise également une couleur unique, conférant à ses paysages champêtres un caractère envoûtant, souvent paradisiaque (The Century, 1897 ; Scribner's Fiction Number, 1897). Plus proche des artistes européens, Louis Rhead habille ses personnages de vastes drapés aux lignes souples, dont il semble vouloir cependant minimiser l'excentricité par des cadres géométriques et secs (The Sun, 1895 ; Scribner's, 1896).

Première Guerre mondiale

À partir de 1914, de nombreux affichistes se mettent au service de leur pays : L. Hohlwein dessine une affiche pour le Fonds populaire des prisonniers allemands, tandis que Steinlen exécute dans un style expressionniste En Belgique les Belges ont faim (1915). L'Allemand L. Bernhard exalte le nationalisme de ses compatriotes en préférant les caractères gothiques pour ses affiches de guerre (Die Kartoffel rettete Deutschland !, 1916).

   L'affiche de propagande politique connaît bientôt un développement considérable dans la Russie en pleine révolution ; Moor (alias Dimitri Orloff), caricaturiste à la Pravda, sut allier l'humour au Réalisme socialiste en vigueur (Manifeste de la révolution russe, 1919 ; Mort à l'impérialisme mondial, 1919) ; mais l'affiche la plus révolutionnaire est sans doute celle, totalement abstraite, réalisée par Lissitsky pour l'armée rouge : Combattre les blancs avec le triangle rouge (1919). L'influence de Lissitsky — qui participe au mouvement constructiviste russe — s'exerce d'abord en Allemagne, au Bauhaus notamment avec Moholy-Nagy, Joost Schmidt, qui réalise dans ses affiches un nouveau langage typographique parfaitement intégré à la stylisation géométrique du sujet (Bauhaus-Ausstellung, Weimar, 1923), et surtout avec Herbert Bayer, qui, restant à la limite de l'Abstraction, se rallie à l'idéal de la " beauté fonctionnelle " (Exposition d'art allemand, 1930 ; Die neue Linie, 1932). Parallèlement à ce courant abstrait se développe l'affiche publicitaire décorative avec Jupp Wiertz, créateur d'une mode extravagante et frivole (Kaloderma, 1927 ; Riquet-Pralinen, 1929), et Fritz Hellmut Ehmke, qui met l'accent sur le caractère décoratif de la typographie moderne (Pressa Köln, 1928).

   En France, Leonetto Cappiello s'engage franchement sur la voie de l'affiche utilitaire avec des réalisations que l'on a pu qualifier de " fauves ", depuis l'Ouate Thermogène de 1909, qui vivra plusieurs décennies, jusqu'au Bitter Campari (1920) et au Bouillon Kub (1931), où sont réunis tous les impératifs de l'affiche moderne. Adolphe Mouron (dit Cassandre) s'inspire de l'esthétique cubiste (Étoile du Nord, 1927) ou de la technique cinématographique, introduisant le facteur temps avec Dubo-Dubon-Dubonnet (1932) par l'enchaînement des images, alors que Charles Loupot joue sur l'harmonie de couleurs chaudes dans un style impressionniste (Valentine, 1929 ; Pop, 1935). Quant à Paul Colin, il recherche délibérément l'affiche " qui brutalise et qui viole ", comme en témoigne Maya (1927) et L'R (1935).

   Le reste de l'Europe voit surgir des affiches généralement dépourvues de toute idée neuve : les artistes anglais vivent sur les trouvailles de leurs prédécesseurs, tandis que les Italiens font appel aux affichistes français pour couvrir les murs de leurs villes. En Allemagne, c'est, après 1933, l'idéologie nazie qui règne en maître sur l'affiche, non seulement politique, mais aussi commerciale, avec l'aigle du Reich.

   C'est aux États-Unis que se produit le renouvellement : grâce à ses immenses possibilités (retouche, montage, agrandissement), la photographie apporte — avec Man Ray d'abord — une nouvelle vigueur à l'art de l'affiche ; en revanche commence le déclin du graphisme, qui se retranche dans le domaine souvent médiocre de l'affiche de cinéma. En U. R. S. S., où l'économie dirigée rend presque inutile la publicité, l'affiche de propagande se développe selon les normes du Réalisme socialiste.