Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
F

fleurs (suite)

Italie

La révolution de Caravage dans le domaine de la nature morte a été préparée par les expériences du milieu du XVIe s., celles du courant maniériste de Campi, Empoli et de Passarotti et celles de la peinture de fleurs avec Giovanni da Udine et Carlo Antonio Procaccini. Visant à rendre les cose naturale, il représente fruits et fleurs dans un esprit diamétralement opposé à celui de la décoration. Des bouquets de fleurs accompagnent également ses tableaux de jeunesse, le Joueur de luth (Ermitage) et le Portrait de Maffeo Barberini (Florence, coll. Corsini), qui lui est attribué. Tommaso (dit Mao) Salini est le seul nom à citer pour la peinture de fleurs caravagesque à Rome.

   On sait, d'après Baglione, qu'il se consacra à reproduire des fleurs et des fruits de grandeur nature. Ses Natures mortes de fruits et fleurs (musées de Milan) sont l'œuvre d'un disciple fidèle de Caravage.

   C'est en dehors de Rome que l'influence de Caravage se prolongera jusque dans les années 1640 à Naples avec Luca Forte, Giacomo Recco et Paolo Porpora. Luca Forte mêle comme ses contemporains les fleurs aux fruits. Quelques fleurs dans un vase sont ainsi " isolées " au milieu de fruits. L'esprit est nettement caravagesque. À côté de Forte, on trouve une dynastie de peintres napolitains, les Recco : Giacomo Recco, fondateur de la lignée, fut un spécialiste de fleurs, moins puissant que son fils Giuseppe, qui, à l'occasion, peignit des fleurs. Paolo Porpora se ressent, dans ses débuts, de la tradition caravagesque. Otto Marseus et son élève Withoos, en Italie de 1648 à 1653, allaient révéler un monde pictural fantastique tout différent au jeune peintre, qui travailla surtout à Rome.

   Bologne, dans la première moitié du siècle, connut la peinture de fleurs avec Paolo Antonio Barbieri, frère de Guerchin, " chef de la nature morte bolonaise ", et la figure de Guido Cagnacci, dont le Bouquet de Boston (M. F. A.), attribué un moment à Caravage, est à rapprocher du Vase de fleurs de la pin. de Forlì. La confusion avec Caravage est éloquente. Ces bouquets sont les plus expressifs de tout le siècle.

   À partir de 1650 env., trois centres déterminent les formes principales de la nature morte italienne : Gênes, Rome et Naples. Seules Rome et Naples nous retiendront. À Rome, vers le milieu du siècle, on constate la même évolution qu'en France et qu'en Espagne ; le goût baroque efface toute trace de l'esprit caravagesque. Mario Nuzzi, dit Mario de' Fiori, devint le peintre de fleurs le plus célèbre en Italie et peut-être en Europe. Neveu du caravagesque Salini, il fut influencé par D. Seghers (à Rome de 1625 à 1627). On sait qu'il attendait le printemps " perchè l'opera riuscisse al vivo e al naturale ". Il ne peignit pas seulement des guirlandes, employées en frise au-dessus des portes, mais aussi des tableaux, tels que l'Autoportrait en train de peindre des fleurs (coll. Chigi-Albani).

   Mario de' Fiori influença toute une génération de fioranti, qui portèrent hors de Rome sa manière : Domenico Bettini, Zenone Varelli, l'Allemand W. Tamm.

   Le deuxième courant de la peinture de fleurs romaine s'épanouit ensuite avec Fioravanti, Campidoglio, Fieravino.

   On a placé la peinture napolitaine de la seconde moitié du siècle sous le signe des apports étrangers des Néerlandais et des Espagnols. Celui d'Abraham Bruegel a été moins important qu'on ne l'a d'abord pensé. Il a travaillé à Rome (de 1659 à 1665) et collaboré avec Bacciccio, G. Brandi et Maratta. On lui doit d'opulentes Natures mortes de fruits et de fleurs, au coloris clair, aux formes riches, à l'exécution soignée au service de l'effet décoratif.

   Les Ruoppolo et Belvedere dominent la peinture de fleurs napolitaine de la fin du siècle. Les Ruoppolo, Gian-Battista, de l'atelier de qui sortit Belvedere, et Giuseppe, grand représentant de la nature morte baroque napolitaine, présentent les fleurs dans un bouquet posé sur une table envahie de légumes ou dans un paysage de rochers, d'eau, d'architecture, de drapés et de ciel mouvementé. Andrea Belvedere se spécialisa dans les fleurs, comme Giuseppe Ruoppolo. Il eut un élève espagnol, Gaspar Lopéz, qui répandit sa manière.

Espagne

Les débuts sont mal connus. Pacheco, beau-père de Velázquez, dans son Arte de la pintura, mentionne des peintres de fleurs de la fin du XVIe s., Alonso Vasquez, Antonio Mohedano, Blas de Ledesma et Juan de Labrador ; les trois premiers ont été formés par les peintres italiens de grotesques de l'école de G. da Udine, le dernier par les peintres caravagesques. Blas de Ledesma et Labrador sont importants pour la formation de Sánchez Cotán. Ce dernier représente, avec Zurbarán et Velázquez, un des plus hauts moments de la peinture de nature morte, d'où la peinture de fleurs est pratiquement absente.

   À la génération suivante, Pedro de Camprobin, qui recueillit la tradition de Zurbarán, fut le meilleur peintre de fleurs de la seconde moitié du siècle. Enfin, Juan de Arellano, réputé pour ses fleurs et dont l'atelier était particulièrement fréquenté, est le participant, comme Monnoyer en France et Mario de' Fiori en Italie, de l'évolution, au contact flamand et néerlandais, du tableau de fleurs vers un style décoratif, correspondant à l'engouement d'une clientèle aristocratique qui exige guirlandes et bouquets pour décorer les murs de ses palais. Des familles d'artistes, celle d'Arellano, dont les fleurs ont une rare valeur décorative, celle de la Corte, dirigèrent d'actifs ateliers.

Le XVIIIe siècle

France

Quelques peintres du début du XVIIIe s., après les Huilliot, continuent la tradition décorative de Monnoyer et de Belin, comme Jean-Marc Ladey, Micheux et François Pret. Largillière, dans sa jeunesse, peignit des fleurs ; il donna à son élève Oudry le conseil de disposer sur un fond clair les fleurs blanches qu'il l'avait envoyé cueillir dans les champs ; c'était lui apprendre le jeu des valeurs et opérer un changement capital dans l'esprit de ces décorations. Jean-Baptiste Oudry et, plus souvent encore, Desportes représentèrent des fleurs dans leurs réunions d'objets hétéroclites en plein air.

   Chardin n'a peint qu'un seul tableau de fleurs (Bouquet de fleurs, 1763, Édimbourg, N. G.). Il retrouve la tradition des " peintres de la réalité " et, à la fois, annonce l'art de Cézanne. " Il n'est pas de petit genre quand il est traité de si grande manière ", déclare le Mercure de France d'octobre 1769.

   Dans la seconde moitié du XVIIIe s., la peinture de fleurs revêt des aspects différents. Le premier courant, qui domine d'ailleurs tout le XVIIIe s., consiste dans la recherche du trompe-l'œil. Ce siècle a été passionné par la traduction du réel avec le maximum d'exactitude, et jamais le critère de la vraisemblance n'a été si important. Particulièrement représentatifs de ce courant naturaliste sont les peintres qui travaillèrent pour la collection des " vélins du roi " (Paris, B. N. et Muséum d'histoire naturelle), commencée sur l'initiative de Gaston d'Orléans : J. L. Prévost le Jeune, Madeleine Basseporte, Tessier et le plus célèbre de tous, Pierre-Joseph Redouté, émigré flamand à Paris, peignirent des vélins pour la collection royale, reproductions fidèles, " scientifiques ", des fleurs les plus belles et les plus rares du jardin d'histoire naturelle. Redouté, qui fut plus tard peintre de fleurs de l'impératrice Joséphine, peignit plus de 600 aquarelles pour cette collection et fit des illustrations pour un Recueil de roses, peintes à l'instigation d'un amateur, Claude-Antoine Thory. Pierre-Joseph Redouté avec ses deux frères et les frères Spaendonck (Gérard et Corneille) ont représenté de façon brillante, à la fin du siècle, ce courant naturaliste et classicisant, qui aura de nombreux échos dans le XIXe s.

   Le deuxième courant est formé par des artistes décorateurs : Jean Pillement, Luiche, Perignon, Niricœur et Bellengé. Ceux-ci travaillèrent, en général, dans la seconde moitié du XVIIIe s., sous l'impulsion de la direction des Bâtiments du roi pour les grandes manufactures royales ; Pillement travailla pour des manufactures de soieries, Luiche décora de guirlandes le Belvédère du Petit Trianon, Bellengé donna des modèles de tapis pour la manufacture de la Savonnerie ; on pourrait aussi citer Bachelier, qui dessina des fleurs pour la manufacture de Sèvres. Leur style décoratif se ressent de l'influence des Flamands et des Néerlandais (Van Huysum, Spaendonck).

   Anne Vallayer-Coster a fait preuve d'une plus grande originalité. Longtemps mise au rang des " victimes de Chardin " (Diderot), elle est, après Chardin et Oudry, le meilleur peintre de natures mortes en France au XVIIIe s. Elle représente le troisième courant. Ses natures mortes ont la simplicité de celles de Chardin, mais ne lui valurent pas alors la célébrité. Le XVIIIe s., sous la double emprise de la peinture flamande et hollandaise et de la peinture " botaniste ", exige de la peinture florale plus d'exactitude que de sensibilité dans la reproduction de la nature.