Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
I

imagerie en Europe (suite)

France

L'imagerie française connaît les mêmes avatars que celle des pays qui lui sont voisins. Apparue à peu près à la même date, elle s'affirme avec force aux XVIe s. et XVIIe s., mais c'est surtout au XVIIIe s. et dans le premier tiers du XIXe s. qu'elle affirme sa personnalité et les caractères originaux propres à chacun de ses centres de production qu'elle va prendre sa personnalité multiple, différenciée dans l'expression et la manière en chacun de ses centres ; ceux-ci sont nombreux, puisant aux mêmes sources et reproduisant les mêmes tableaux.

   L'imagerie française est née, semble-t-il, dans les toutes dernières années du XIVe s., sous l'impulsion donnée par les abbayes bourguignonnes de Cîteaux et de Cluny à la diffusion des indulgences. Les images de sanctuaires et de pèlerinages représentant les intercesseurs sont vendues bon marché grâce au bois gravé, technique nouvelle plus rapide que le dessin à la main. Elles sont acquises par un très grand nombre de croyants et conservées dans un dessein de préservation. L'influence de la gravure allemande est grande ; pourtant, la Vierge couronnée trouvée collée au fond d'un coffre et un Saint François de cette période présentent les caractères d'un art que l'on a dit " tourangeau ", mais qui serait plutôt parisien, influencé par les Livres d'heures imprimés d'Antoine Verard (1493), de J. du Pré (1481) et de Pierre Le Rouge (1488).

   C'est rue Montorgueil que s'installent, au XVIe s., les imagiers en papier, ou imagiers en histoires. Six d'entre eux sont particulièrement connus : ce sont Germain Hoyau, Guillaume Saulce, François de Gourmont, Jean Bonemere, Pierre Boussy et Alain Mathoniere. Les gravures qu'ils impriment traitent de tous les sujets : l'Enfant prodigue, des Saints, des Prophètes, l'Arbre de vie, le Miroir de la mort, un Diable d'argent, le Pays de cocagne, et des proverbes, que l'on voit pour la première fois dans l'imagerie française. Composées de grands bois rectangulaires, bien dessinés, bien taillés, elles s'inspirent soit des tableaux de l'école de Fontainebleau, soit de dessins de Jean Goujon, de Jean Cousin et même, parfois, de peintures flamandes.

   Une autre famille, celle des Leclerc, quitte la rue Montorgueil pour s'installer à côté de la Sorbonne. Jean II Leclerc, rue Saint-Jacques, v. 1575-1580, publie des Cris de Paris, des Jeux d'enfants, des allégories. Jean III, son fils, grave lui-même sur bois des sujets de toutes sortes et jusqu'à des livrets de lingerie. C'est lui qui, abandonnant la gravure sur bois, va introduire, rue Saint-Jacques, la gravure sur cuivre. Des Flamands vont venir travailler avec lui. Pierre Firens (1580-1638) s'installe dans une boutique voisine. Il possède à sa mort 3 400 cuivres. Ses fils et son neveu lui succèdent. Les images qu'ils éditent sont d'" expression dévote ". Le XVIe s. aura vu paraître et disparaître l'imagerie de propagande, moins féroce qu'en Allemagne, mais tout aussi percutante. Le petit nombre des pièces conservées est dû à l'ordonnance d'Henri IV contre les imprimés qui pouvaient évoquer les guerres de Religion et la Ligue. L'existence d'images de ce genre à cette époque est pourtant attestée par un ensemble de pièces rassemblées par Pierre de L'Estoille (1546-1611) sous le titre de Belles Figures et drôleries de la Ligue, avec peintures et placards... prêchées et vendues publiquement en 1589.

   Le goût général pour les bergeries et pour la littérature de cour, l'intérêt porté aux actes de la vie quotidienne vont transformer les images du XVIIe s. ; de plus, l'œuvre d'Abraham Bosse n'est pas sans avoir une influence déterminante. L'emploi de la gravure sur cuivre l'emporte sur celui de la gravure sur bois. Le Recueil des plus illustres proverbes de Jacques Lagniet (1657-1663) est l'ensemble le plus cohérent et le type même de l'imagerie populaire réaliste. Il décrit les mœurs, les costumes et les habitudes du temps. Il influencera Guérard et, par-delà, les graveurs de la Révolution française.

   Les images gravées par les Bonnart ne représentent pas, comme celles de Lagniet, la vie quotidienne ou, comme celles de Firens, des allégories morales ou religieuses, mais des personnages en costumes élégants. Henri Bonnart en publie 683 qui sont, pour la plupart, des portraits. Lui et ses frères, Nicolas et Robert, sont des graveurs de qualité. Un autre frère, Jean-Baptiste, édite la série des Métiers. L'imagerie de la rue Saint-Jacques s'oriente alors vers la gravure dite " semi-fine " et son ornementation soignée, parfois un peu mièvre. Le genre est destiné à une clientèle aisée, qui va accrocher à ses murs des calendriers et se divertir des vues d'optique, nouveau mode de figuration qui essaie de donner du relief aux monuments des villes et à leur vue d'ensemble.

   Les Chéreau (1732-1810) réussissent particulièrement bien dans le genre ; ils vendent dans leur boutique à l'enseigne du Coq, en plus des leurs, des images de la province et de l'étranger. Jollain et Mondhare éditent des vues d'optique en même temps que des images pieuses. Ce sont les Crépy (1686-1789) qui offrent les sujets les plus divers. Ils gravent ou font graver, ainsi qu'Esnault et Rapilly, des calendriers de grand format, avec des encadrements très importants, composés de personnages et de décors en rocaille. Ces gravures, pourtant charmantes, n'ont ni la valeur de témoignage d'une vie populaire, ni la force d'images revendicatrices.

   C'est Basset qui " servira la patrie ". Ses caricatures s'inspirent des gravures sur bois du XVIIe s. ; elles sont dirigées contre la noblesse et le clergé. Basset ordonnance les défilés et la figuration des fêtes révolutionnaires comme il le faisait pour les fêtes et les défilés de Louis XVI. Il supprime le jaune des couleurs employées, ne conservant que le bleu et le rouge. La valeur combative de ses images sera aussi grande qu'éphémère.

   La Révolution passée, la production de la rue Saint-Jacques va redevenir tout au long du XIXe s. ce qu'elle était juste avant, des estampes soignées aux sujets romantiques et tendres v. 1840, riches et un peu compassées sous le second Empire ; ces estampes plaisent à un public de petits bourgeois.

   Parallèlement à cette évolution de l'imagerie en taille-douce, un renouveau d'intérêt pour l'imagerie gravée sur bois se manifeste aux environs de 1750. Cette résurgence prend de l'ampleur dès la fin de la Révolution française pour atteindre son apogée entre 1820 et 1830. Elle est encouragée par le Concordat et la remise en honneur des sujets religieux. Elle avait été soutenue par un retour à l'art de la gravure sur bois dans la fabrication des tissus de toiles peintes. Interdite en 1686, l'impression de ces toiles avait été de nouveau autorisée en 1760. Le succès avait été immense, et le nombre des graveurs en indiennes considérable. Lorsque la mode avait décliné, les graveurs se trouvèrent tout naturellement portés à travailler pour des techniques presque identiques. La vogue du papier peint permit d'utiliser le talent de beaucoup d'entre eux. Certains se trouvèrent tout naturellement amenés à graver des bois d'imagerie. En province, cette imagerie survivait dans des ateliers moribonds. Ces courants lui rendent une pleine activité. Il y a, dans la première moitié du XIXe s., une vingtaine de centres dont l'implantation est souvent le corollaire de celle des manufactures d'indiennes et de papiers peints. Orléans est le premier de ces centres. Trois hommes dirigent deux ateliers : Sevestre-Leblond, Perdoux et Letourmi, dont les images sont parmi les plus belles de cette époque.

   Jean Sevestre grave sans doute lui-même ses belles planches qui sont coloriées d'un bleu superbe. Il aurait fabriqué des papiers peints, ainsi que son ouvrier Perdoux († 1820), qui lui succède en 1780. On leur doit à tous deux des images, des tours de lit, des rabats de cheminée et des personnages grandeur nature, représentant notamment une servante et un suisse. Le gendre de Perdoux, Huet-Perdoux, prend la succession en 1805, fait peu de chose et vend les bois à Garnier de Chartres en 1832. Jean-Baptiste Letourmi, un Coutançais ami des Parisiens Esnault et Rapilly, s'établit à Orléans, où, de 1774 à 1789, il fait graver dans son atelier des sujets à la mode. Il réalise de bonnes affaires, car il a plus de 100 dépôts de vente tant à Paris qu'en province. En 1789, il prend le parti de la Révolution ; comme il est le seul imagier provincial de cette importance et de ce genre, sa production est intensifiée par les sujets d'actualité. Après la Révolution, il célèbre Bonaparte. La production s'arrête en 1800.

   Le premier atelier chartrain est celui du cartier Pierre Hoyau, qui produit des images en nombre suffisant pour faire appel à d'autres graveurs, Thomas Blin et les frères Allabre. Son fonds est racheté en 1770 par Sébastien Barc. Marin Allabre ouvre un autre atelier (1782-1805), mais, à la veille de la Révolution, lui et Barc sont en faillite. Son gendre, Jacques-Pierre Garnier, qui a travaillé chez Basset à Paris, fait paraître en 1805 des images d'actualité, gravées par Guillaume Allabre († 1807) et par son frère Louis. Garnier-Allabre réutilise des anciens bois gravés par Blin et les Allabre. Entre 1810 et 1820, il en édite un grand nombre ; sur les 192 gravures sur bois connues, 110 sont à sujets religieux. Mais ces images ne sont plus à la mode ; Garnier-Allabre fait venir Fleuret (1822-1825), puis Antoine Thiébault (1826-27). Il est trop tard, et, malgré l'abondance et l'intérêt de ces nouvelles images, sa maison continue à péricliter. Garnier vend les bois de Thiébault à Castiaux de Lille.

   Simon Blocquel (1780-1863), l'associé de Castiaux (1768-1855), fait venir A. Thiébault à Lille. Sa firme est en plein essor. De 1809 à sa mort, il édite des centaines de feuilles de tous genres : images de saints, scènes bibliques, portraits de personnages régnants ou célèbres, métiers, animaux. Henri-Désiré Porret, avant de devenir, à Paris, le graveur romantique sur bois de bout, a créé beaucoup de ces sujets. Il avait fait son apprentissage chez Henri-Alexandre Martin-Delahaye (1776-1856), à qui l'on doit une série unique par la beauté de la gravure et l'harmonie des couleurs (les Petits Chasseurs, les Petits Maraudeurs, les Petits Jardiniers) et d'autres images aux thèmes traditionnels (le Juif errant, l'Enfant prodigue, la Barbe-Bleue). Josué-Henri Porret, le père d'Henri-Désiré, un graveur d'indiennes venu de Suisse, est le seul qui ait signé des bois pour Martin-Delahaye. D'autres images de cet éditeur sont des copies d'images d'Amiens ou de Cambrai.

   À Amiens, Jean-Baptiste Lefèvre-Corbinière (1788-1812) grave ou fait graver des feuilles de saints jusqu'en 1793. Après l'interruption révolutionnaire, ce ne sont plus que portraits et scènes napoléoniennes, coloriées en bleu roi, en vert foncé et en vermillon. Ledien-Canda (1790-1832), qui est à l'origine un cartier, édite des " saintetés " dont les coloris sont presque les mêmes que ceux de Lefèvre-Corbinière. On retrouve les bois amiénois à Paris, chez Tautin et chez Julienne, qui étaient des spécialistes d'images d'actualité.

   L'imagerie de Cambrai ne dure que quelques années, de 1808 à 1825 env. Le libraire Armand-François Hurez (1791-1832) donne son unité à un ensemble de 211 images, imprimées sur papier bleuté. Formé à Paris chez Basset, il fait graver ses bois à Alençon par Godard II (1768-1838), qui copie, en les transposant, les images de la rue Saint-Jacques. Les bois de Godard seront rachetés par Glémarec, imagier parisien, qui les réédite vers 1856.

   Antoine Thiébault, le graveur de Garnier-Allabre à Chartres et de Blocquel-Castiaux à Lille, retourne en 1828 à Nancy, sa ville natale, où il travaille, ainsi que son frère Jean-Baptiste, pour Desfeuilles, graveur lui-même. Il donne alors ses plus beaux bois. Dans cette même ville, Jacques-Stanislas Hubert, dit Lacour (1805-1871), " imprimeur-imagiste ", édite de 1830 à 1839 des pièces napoléoniennes, pour lesquelles il s'assure la collaboration de J.-B. Thiébault. Il avait, en 1828, alors qu'il était à Épinal, acheté les bois de Dupont-Diot à Beauvais. Lorsqu'en 1839 il abandonne l'imagerie pour diriger une manufacture de papiers peints, il vend ses bois à Dembour de Metz. Adrien Dembour (1799-apr. 1838) utilise les graveurs A. Thiébault et Jean Wendling. Il veut concurrencer Épinal en publiant des images de saints et les batailles de Napoléon. Il utilise le papier mécanique dès 1837, comme le fait également J.-P. Clerc (1776-1842) à Belfort.

   Dans l'Est, une autre maison importante, fondée par Jean-Théophile Deckherr, s'établit à Montbéliard en 1796. Les fils de ce dernier impriment de 1815 à 1830 des images reprenant les thèmes traditionnels du Monde à l'envers, des Cinq Parties du monde, et surtout des saints en des feuilles fort belles, dont les fonds sont coloriés en orange.

   En 1850, l'avènement de l'ère industrielle ruine les vieilles structures artisanales. À l'atelier succède l'usine. Le papier devient du papier mécanique fait de pâte de bois et non de chiffon. Les machines remplacent les graveurs et les coloristes. La diffusion est une vente organisée. Épinal et Paris restent les grands centres de l'imagerie. Si les moyens de reproduction ont changé, l'esprit reste le même. On crée toujours de façon collective des images qui charment l'homme prompt à s'émouvoir et qui aime orner ses murs de scènes moralisatrices ou tendres, vivement coloriées. La tradition de la rue Saint-Jacques se perpétue.

   Pendant de nombreuses années, dans l'esprit du public, l'imagerie sera l'" image d'Épinal ", feuille pour les enfants, à peindre, à découper, à coller, répandue dans le monde entier si largement que le mot Épinal est devenu générique, s'appliquant à toutes les images, qu'elles soient ou non fabriquées par Pellerin.