Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Seghers (Daniel)

Peintre flamand (Anvers 1590  –id. 1661).

Il fut, en 1610, à Anvers, l'élève de Jan Bruegel de Velours, à qui il emprunta la finesse de son coloris et sa facture achevée. Maître à Anvers l'année suivante, Seghers entra en 1614 dans la Compagnie de Jésus à Malines et, de 1618 à 1621, travailla pour la maison professe d'Anvers. En 1625, il prononça à Bruxelles ses vœux définitifs et, dès lors, signa ses tableaux " Daniel Seghers Soc. [Societatis] Jesu ". La même année, il partit à Rome pour un séjour qui, semble-t-il, ne lui apporta guère. Il était de retour à Anvers en 1628. Ses guirlandes et ses bouquets de fleurs furent peu commercialisés, mais destinés surtout, par les Jésuites, aux grandes familles régnantes d'Europe, auprès desquelles Seghers devint bientôt célèbre. En remerciement, Frédéric-Henri de Nassau, en 1645, fit don à l'artiste d'une cassette contenant une croix d'or évaluée à 3 000 florins. Guillaume II d'Angleterre lui envoya une palette d'or et des pinceaux à manche d'or. Ferdinand d'Autriche visita son atelier en 1635, ainsi que Charles II d'Angleterre en 1649.

   Un catalogue de son œuvre, dressé par l'artiste lui-même et comportant 239 numéros avec l'indication de ses clients, a été retrouvé récemment.

   Seghers est le créateur d'un type nouveau de guirlandes de fleurs correspondant à l'esthétique et au goût ornemental baroque. Son maître, Jan Bruegel, disposait auparavant de simples guirlandes autour d'un médaillon central. Seghers créa de véritables trompe-l'œil en suspendant au-dessus d'une niche ou d'un médaillon, peints en camaïeu, des amas de fleurs entremêlées, des branches, des brindilles. L'ensemble se détachant sur un fond sombre laisse croire à un monument de pierre tout fleuri. Le décor sculpté et illusionniste comporte, le plus souvent, une image pieuse ou un portrait peint par d'autres artistes. La preuve en est donnée par plusieurs Guirlandes entourant un médaillon vide (Prado ; Copenhague, S. M. f. K. ; musée de Gand) ; c'est ainsi que le Triomphe de l'Amour (Louvre) exécuté à Rome, entre 1625 et 1627, comporte un motif central de la main de Dominiquin. Les principaux collaborateurs anversois de Seghers furent Gonzales Coques (Portrait d'homme, musée d'Anvers), T. Willeboirts Bosschaert (la Vierge à l'Enfant, 1645, Mauritshuis), Cornelis Schut (Cartouche avec saint Ignace de Loyola, 1643, musée d'Anvers) et E. Quellinus (Vierge à l'Enfant adorée par un jésuite, Hambourg, Kunsthalle). Le musée de Montpellier conserve, provenant de la collection de l'archiduc Léopold-Guillaume, une importante Guirlande de fleurs entourant une Vierge et l'Enfant adorés par saint Léopold (1647) dont le médaillon central est peint par Diepenbeck. La suavité du coloris de Seghers, sa facture lisse aux couleurs vives, sans ombres, rendirent célèbres sa guirlande avec le Christ et sainte Thérèse d'Ávila (musée d'Anvers) et sa Sainte Thérèse entourée de fleurs (Anvers, maison de Rubens). L'artiste peignit aussi sur cuivre ou sur bois de simples et élégants Bouquets de fleurs (Toledo, Ohio, Museum of Art, 1635 ; Dresde, Gg ; Anvers, musée Mayer Van den Bergh ; musée de Bamberg).

   Un nombre considérable d'imitateurs, tels que A. Bosman, J. Ph. Van Thielen, Frans Ykens et même Jan Van Kessel, s'inspirèrent de ses trompe-l'œil fleuris.

Seghers (Gerard)
ou Gerard Segers

Peintre flamand (Anvers 1591  – id. 1651).

Cousin de Daniel Seghers, avec qui il a été parfois confondu, il fréquenta sans doute les ateliers de Hendrick Van Balen le Vieux et d'Abraham Janssens, puis fut admis en 1608 comme maître à la gilde de Saint-Luc. Entre 1611 et 1620, il séjourna en Italie, où il fut notamment au service du cardinal Zapata y Mendoza à Naples. Il voyagea également en Espagne, où il continua la diffusion du rubénisme, et aux Pays-Bas du Nord. Seghers, qui travailla surtout à Anvers, était un bourgeois aisé qui recevait des commandes importantes. En 1637, il fut nommé peintre de la Cour par le prince-cardinal Ferdinand. Plus tard, il devint peintre de la cour du roi d'Espagne. Son œuvre a subi d'abord l'influence de Caravage et de Manfredi, puis, peu après son retour à Anvers, celle de Rubens. Peu d'œuvres subsistent de la période italienne (Judith avec la servante, Rome, G. N., Gal. Corsini). Cependant, parmi les thèmes caravagesques, le Reniement de saint Pierre semble avoir été son sujet de prédilection, ainsi qu'en témoignent des gravures d'œuvres perdues et plusieurs tableaux qui lui sont attribués (Ermitage, musée de Tours). Mise en place en 1620 dans l'église des Jésuites de Courtrai, la Résurrection du Christ (Louvre) témoigne, à l'issue du séjour italien, de la complexité d'une culture qui doit, à côté des caravagesques, aux peintres de Bologne, de Venise et de Vérone. Dans la Flagellation du Christ de l'église Saint-Michel à Gand, autre œuvre de transition, Seghers conserve le fond neutre typique du Caravagisme, mais il abandonne l'usage de la lumière artificielle, et les formes deviennent plantureuses. Avec l'Adoration des mages de l'église Notre-Dame de Bruges, le Mariage de la Vierge (musée d'Anvers), la composition est devenue rubénienne. Seghers prit part, avec Rubens, aux décorations de la Joyeuse Entrée du Cardinal-Infant et exécuta de grandes peintures décoratives (l'Enlèvement d'Europe, Festin bachique, Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum). Il reçut faveurs et distinctions, dirigea un atelier important, aidé à la fin de sa vie par son fils Jean-Baptiste et par Thomas Willeboirts Bosschaert.

Seghers (Hercules Pietersz)

Peintre et graveur hollandais (Haarlem 1589 ou 1590 – Amsterdam v.  1633/1638).

La vie d'Hercules Seghers reste mal connue. Les quelques documents qui le concernent ne permettent guère de cerner sa personnalité. Le jeune Seghers est mentionné comme élève de Gillis Van Coninxloo à Amsterdam jusqu'à la mort de celui-ci en 1606. À la vente publique de la succession de son maître, il achète un paysage intitulé le Petit Rocher. Le choix de ce sujet, rarement traité par Coninxloo, paraît bien indiquer qu'il a déjà trouvé sa voie.

   Reçu à la gilde des peintres de Haarlem en 1612, marié en 1615 à Anneken Van der Brugghen, de seize ans son aînée, Hercules s'installe à Amsterdam, où il achète, en 1619, une maison sur le Lindengracht, habitation dont le souvenir est conservé par une de ses eaux-fortes, Vue depuis la fenêtre de la maison de Seghers. L'artiste a dû jouir d'un certain renom de son vivant, ainsi qu'en témoigne la présence de ses tableaux sur les inventaires de succession de peintres contemporains (L. Rocourt, H. Saftleven, J. Marell). Rembrandt ne possédait-il pas, en 1656, 8 tableaux de lui, dont probablement la Vallée de montagne (Offices) ? Dès 1621, une œuvre de Seghers est proposée au roi de Danemark, et, en 1632, deux autres sont citées dans la collection des princes d'Orange. Pourtant, depuis Samuel Van Hoogstraten (1678), la légende fait de l'artiste un peintre incompris de ses contemporains et mort dans la misère. Peut-être faut-il attribuer cette idée fausse au manque d'intérêt que Hoogstraten manifeste pour son œuvre, dont il ne saisit pas l'originalité.

L'œuvre peint

Sur les 11 tableaux reconnus comme des œuvres de Seghers, aucun n'est daté, et 4 seulement paraissent être signés (la Vallée, Rijksmuseum ; Vallée de rivière, Rotterdam, B. V. B. ; Vue sur Rhenen, musées de Berlin ; Deux Moulins à vent, Fareham, coll. B. Norton). Ce sont principalement des paysages, comme l'étaient aussi, à une ou deux exceptions près, les tableaux perdus, attestés par des documents anciens. La dizaine de peintures qui subsistent aujourd'hui ne forment pas une série continue, en sorte que la chronologie de l'œuvre est particulièrement difficile à établir. On suppose, néanmoins, que les paysages imaginaires sont antérieurs aux paysages réalistes. Les 2 premiers tableaux conservés seraient la Vallée (Rijksmuseum) et le Paysage de montagne (Ijmuiden, coll. Kess-ler), où l'on relève quelques réminiscences des paysages fantastiques de Joos de Momper, que Coninxloo a pu faire connaître à son élève. C'est un sentiment d'angoisse qui se dégage de ces vallées, cernées par des masses de rochers avec, au premier plan, la silhouette d'un arbre mort. La figure humaine est presque totalement exclue.

   De peu postérieur paraît être le petit Paysage de rivière avec chute d'eau (château Herdringen, Westphalie, mentionné en 1627). On y retrouve en effet la même facture : une pâte mince, le mouvement du poignet et une palette où dominent les gris et les verts, qu'éclaire par endroits une touche de rouge ou de bleu.

   Avec la Vallée de montagne (Offices), jadis attribuée à Rembrandt, l'artiste donne la mesure de son génie. Un premier plan aride, en pleine lumière, est prolongé sur la droite par la masse ascendante de montagnes abruptes, qui bouche complètement l'horizon, tandis que sur la gauche s'étend à perte de vue une immense vallée, verdoyante, que l'artiste a jalonnée de silhouettes d'arbres qui conduisent le regard vers le lointain. Rembrandt, qui semble bien avoir possédé ce tableau, a dû le retoucher, ajoutant notamment sur la gauche une voiture attelée et deux paysans, et réintroduisant ainsi une certaine dimension humaine que l'on ne trouve pas dans les autres tableaux d'Hercules Piertersz Seghers. L'originalité de la composition réside dans la juxtaposition, sur une même toile, d'énormes montagnes arides et d'une vaste plaine fertile, ainsi que dans la tension dramatique qui en résulte. Ce schéma, Seghers le reprendra, ainsi qu'en témoignent 3 autres tableaux conservés : Vallée de rivière et Vallée de rivière avec maisons (Rotterdam, B. V. B.), Maisons et village dans une vallée de fleuve (autref. à New York, Historical Society).

   Comme le Paysage des Offices, la Vallée de rivière de Rotterdam est peinte sur une toile collée sur bois, procédé qui semble avoir eu la prédilection de l'artiste. On retrouve dans ses 3 œuvres les mêmes arbres et arbustes, dont le feuillage est rendu par une juxtaposition de petits cercles et de points (comme dans certaines eaux-fortes), et, dans le lointain, un grand lac sur lequel se découpent des silhouettes de voiliers. La Vallée de rivière avec maisons de Rotterdam se distingue plus particulièrement par l'emploi d'un motif réaliste — les maisons que le peintre voyait de sa fenêtre à Amsterdam — placé dans un site imaginaire, procédé que, cependant, d'autres peintres contemporains ont également utilisé (S. Van Ruysdael ou A. Cuyp).

   D'un esprit fort différent sont les 4 paysages urbains ou ruraux qui nous sont parvenus : Bruxelles, vue du nord (Cologne, W. R. M.), Deux Moulins à vent (Fareham, coll. B. Norton), Village au bord d'une rivière (musées de Berlin), Vue sur Rhenen (id.). Ces 3 derniers tableaux représentent des paysages panoramiques où un clocher, un moulin à vent se découpent au-dessus d'un horizon presque rectiligne. Hercules Seghers les a peints sur un format très allongé, qui accentue encore l'impression d'étendue sans fin du " plat pays " où il a vécu, et c'est peut-être à lui que revient le mérite d'avoir créé ce type de paysage typiquement hollandais.

   Parmi les tableaux connus par des mentions anciennes, la disparition, depuis 1853, d'un Crâne, plus grand que nature, est particulièrement regrettable.