Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Lucas Velázquez (Eugenio)

Peintre espagnol (Madrid 1817  – id. 1870).

Il dut étudier à l'Académie de San Fernando, où il expose en 1841 deux caprices et deux scènes de genre. Admirateur passionné du Goya des derniers temps, beau-frère du paysagiste romantique Pérez Villaamil, il subit aussi fortement l'influence des maîtres espagnols anciens qu'il pouvait voir au Prado, et notamment de Velázquez. Il décore le plafond du théâtre Royal de Madrid en collaboration avec le Français H. Filastre, puis, seul, le palais du marquis de Salamanca. Il eut beaucoup de succès comme peintre de genre, toujours savoureux par la richesse de la matière et les éclairages tourmentés : avec les scènes proprement populaires — fêtes de village, soldats, corridas — alternent des sujets " expressionnistes " — scènes d'inquisition, bandits, condamnés à mort — ou fantastiques (sabbats). Des uns comme des autres, le Prado, le Museo Lázaro Galdiano, le Museo Romàntico à Madrid abondent en exemples éloquents.

   Lucas se rend à Paris en 1844 ; à l'Exposition internationale de 1855, ses toiles sont louées chaleureusement par Gautier et About. Cette même année, il est chargé d'estimer les " peintures noires " de Goya à la Quinta del Sordo. Il visite l'Italie, en 1856, le Maroc en 1859. Si sa production, toujours pleine de verve, reste celle d'un improvisateur, il est cependant autre chose qu'un pasticheur de Goya. Il est parfois un peintre de la meilleure tradition espagnole, celle de la gravité et de la force contenue. Son Chasseur (Prado) n'est pas indigne de Manet (qui le connut à Madrid en 1865), et, même dans ses œuvres " goyesques ", la Révolution (Prado) montre un sens assez épique du tragique contemporain. Lucas fut également le portraitiste très sensible de sa mère, de ses enfants et un paysagiste souvent excellent.

 
Il ne doit pas être confondu avec son fils Eugenio Lucas y Villaamil (Madrid 1870 – id. 1918) qui n'a hérité de lui qu'une virtuosité assez creuse.

Lucassen (Reiner)

Artiste néerlandais (Amsterdam 1939).

Son œuvre témoigne d'un attachement au répertoire iconographique et stylistique qu'il réinterprète. Son art est construit d'éléments narratifs, de la figuration au non-objectif. Jusqu'aux années 70, les références directes aux œuvres des autres artistes étaient prégnantes, au point d'atteindre parfois le pastiche (Stilleben mit Zonnebloemen, 1969). Se servant de références artistiques variées, il en confronte les rapports au sein de ses propres compositions picturales, donnant des significations nouvelles à ces emprunts iconographiques. Depuis, les récurrences à l'histoire de l'art se sont diversifiées et fragmentées. L'image s'est épurée, abstraite pour recevoir des ajouts de signes linguistiques (De Spirit van de Iniet, 1985). En fait, ces signes (mots, lettres de l'alphabet) renvoient à une quête de la forme susceptible de traduire une expérience émotive. Son œuvre, très présent aux Pays-Bas (Stedelijk Museum à Amsterdam), a été exposé à la IVe Biennale de Paris en 1965 et à Montréal (M. A. C.) en 1987.

Luce (Maximilien)

Peintre français (Paris 1858 id. 1941).

De milieu modeste, il est, dès 1872, mis en apprentissage chez le graveur sur bois Hildebrand. Ouvrier qualifié en 1876, il est engagé chez E. Froment. L'amitié du peintre Léo Gausson, le soutien de Carolus-Duran, dont il suit les cours du soir à l'Académie Suisse, lui permettent de s'orienter vers la peinture après son service militaire (1879-1883), au moment où l'adoption de la zincographie provoque le chômage des artisans graveurs sur bois. Dès 1887, il expose aux Indépendants et, bientôt reconnu comme l'un des chefs du Néo-Impressionnisme, est invité comme tel au Salon des Vingt à Bruxelles (1889-1892) et à la Libre Esthétique (1895, 1897, 1900). Ami de J. Grave, Luce soutient les journaux anarchistes et socialistes, comme la Révolte, le Père Peinard, l'En dehors, le Chambard, la Voix du peuple, la Guerre sociale, et est enfermé un mois à Mazas, au moment du procès des Trente (1894). Aussi s'est-il engagé d'emblée dans la description réaliste (le Cordonnier, 1884). La découverte de l'art de Seurat, en 1885, et l'adoption d'un Divisionnisme assez rigoureux ne font qu'accentuer cette exaltation du quotidien (la Cuisine, 1888-89 ; le Bain de pieds, 1894,). Paysagiste comme tous ses camarades, Luce peint Paris, la Seine (la Seine à Herblay, 1890, Paris, musée d'Orsay) et se passionne vite pour les sites industriels, voyage à Londres (1892) et, en 1895, visite la région de Charleroi, le " Pays noir ", où il reviendra souvent. Son admiration pour Constantin Meunier le confirme dans sa recherche d'un lyrisme du prolétariat. L'esthétisme abstrait n'a jamais prévalu dans son œuvre : les rythmes précieux observés à Camaret (le Port de Camaret, crépuscule, 1894, États-Unis, musée de Springfield) sont peuplés de travailleurs. L'artiste veut dénoncer l'horreur des travaux et exalter la noblesse de l'homme (la Fonderie, 1899, Otterlo, Kröller-Müller, les Batteurs de pieux, 1903, Paris, musée d'Orsay) avant de perpétuer les épisodes de la Commune (Une rue à Paris, 1905, Mur, 1915 Paris, musée d'Orsay). Négligeant, vers 1900, le Divisionnisme pour une touche impressionniste un peu lâche, il aime, comme tous ses contemporains, paysages et jeux des corps nus dans la nature (Rolleboise, Yvelines), mais reste avant tout le témoin de la cité industrielle et du monde ouvrier. Il est représenté à Paris (musée d'Orsay) et au musée de Mantes (créé par une importante donation de son fils en 1975), ainsi que dans les musées de Nevers (Portrait de Fénéan, 1903), Saint-Tropez, Bagnols-sur-Cèze, Grenoble, Morlaix, Rouen, Saint-Denis (série de peintures).

Lucebert (Lubertus Jacobus Swaanswijk, dit)

Peintre néerlandais (Amsterdam  1924).

Fils d'un peintre en bâtiment, il obtint en 1938 une bourse pour l'École des arts industriels d'Amsterdam. En 1948, il expose des dessins avec M. Martineau à Amsterdam. Durant la même époque et sous l'influence des poètes allemands Hölderlin, Morgenstern et Rilke, ainsi que des poèmes de Arp, Lucebert écrit ses premiers poèmes expérimentaux et se joint, à la fin de 1948, avec les poètes Kouwenaar, Elburg et Schierbeek, au Groupe expérimental néerlandais ; en 1949, il collabore, comme poète essentiellement, aux magazines Reflex et Cobra et participe à l'exposition internationale de Cobra au Stedelijk Museum d'Amsterdam avec des " poèmes-peintures ".

   L'improvisation, la spontanéité et la naïveté caractérisent toute son œuvre ; Klee, Miró, les dessins d'enfants et les arts populaires nordiques restent à la base de son inspiration. Lucebert exploite le hasard (taches, éclaboussures) et répugne à tout système : Gangster (1958, Amsterdam, coll. Groenendijk), Danse espagnole (1961, Amsterdam, coll. Stuyvesant). Installé à Bergen depuis 1953, il exposa seul, pour la première fois, en 1958 à Haarlem (gal. Espace), puis en 1959 au Stedelijk Museum d'Amsterdam. Dans les années 1960, la peinture occupe une place de plus en plus importante dans l'œuvre de Lucebert, qui fait un usage alterné de couleurs vives et sombres, créant des figures déformées. À partir de 1963, l'artiste fait de nombreux voyages en Espagne où, en 1972, il acquiert une maison à Javéa, Alicante, dans laquelle il réside depuis, en alternance avec Bergen. Tout en développant dans ses peintures une vision pessimiste, anxieuse, de l'homme et de la société, — ainsi dans des tableaux avec des personnages à têtes grotesques ou caricaturales, travaillés avec une matière lourde (le Rêve d'Apollinaire, 1972, Amsterdam, Stedelijk Museum), Lucebert ne cesse de produire une œuvre graphique très importante, alliant un travail parfois presque chaotique à une verve imaginative et poétique.

   Continuant, dans ses peintures récentes, à présenter des personnages pris dans la déformation de l'espace pictural (La Danse avec les démons, 1983), Lucebert réalise en 1983 une grande peinture monumentale pour le musée de littérature néerlandaise de La Haye.

   En 1961, le Stedelijk Museum d'Amsterdam lui a consacré une grande rétrospective, et, en 1987, il a publié le catalogue de l'importante collection d'œuvres de l'artiste en sa possession. Il est représenté à Amsterdam (Stedelijk Museum : In Egypt, 1962), à Rotterdam (B. V. B.), et dans la coll. Groenendijk à Amsterdam.