Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
A

Altdorfer (Albrecht)

Peintre, graveur et architecte allemand (?v. 1480  – Ratisbonne 1538).

Bien que l'on ignore ses origines, on présume qu'il est le fils du peintre Ulrich Altdorfer, qui renonça en 1491 au droit de citoyen de la ville de Ratisbonne. Albrecht devait acquérir ce droit en 1505 avant de devenir, en 1519, membre du Grand Conseil et, en 1526, membre du Conseil restreint de la cité ; la même année, la charge d'architecte de la ville lui fut conférée. Nous ignorons également à qui il doit sa formation artistique. Une partie de son apprentissage se déroula probablement dans l'atelier d'un enlumineur. Ses œuvres trahissent l'influence de Dürer et du jeune Lucas Cranach. Ses premiers dessins et estampes datés remontent à 1506 ; ainsi, le groupe de gravures sur bois désigné sous le nom de Mondseer Siegel (Albertina) dut être exécuté peu de temps av. 1506 ou v. 1511. Les tableaux les plus anciens, la Nativité (musée de Brême), Saint François et saint Jérôme (musées de Berlin), Famille de satyres (id.), sont datés de 1507. En 1510 se situent le Repos de la Sainte Famille (id.) et Saint Georges (Munich, Alte Pin.), et v. 1510-11 une Crucifixion (musée de Kassel), Saint Jean l'Évangéliste et saint Jean-Baptiste (Munich, Alte Pin.).

   Les premières compositions d'Altdorfer sont empreintes d'un dynamisme étrangement expressif. Non seulement les personnages, mais aussi les rochers et les architectures — dont le délabrement souligne l'appartenance au règne végétal — semblent obéir aux lois de ce monde parfois tellement envahissant que les minuscules silhouettes paraissent englouties par la forêt trop dense (Saint Georges). La technique — probablement inspirée par Jacopo de' Barbari — qui consiste à rendre tous les éléments du tableau, qu'il s'agisse des personnages, de la configuration du terrain ou de la flore, contribue également, par un jeu de stries parallèles, à uniformiser l'ensemble. Dans certaines peintures, les bourrelets formés par les plis qui s'écrasent au sol font songer à des racines s'enroulant autour du vêtement, alors que, dans d'autres, les lichens pendant aux arbres ou aux murs évoquent la chevelure humaine. Au coloris nuancé de cette période, résultat d'une subtile tonalité lumineuse dans laquelle les différents éléments picturaux s'interpénètrent, correspond une prédilection pour les dessins rehaussés de blanc sur fond sombre, riches d'atmosphère (Pyrame, musées de Berlin).

   L'année 1511 marque le début d'une nouvelle période coïncidant avec un voyage en Autriche. Altdorfer l'entreprit sans doute afin d'exécuter une commande pour la collégiale de Saint-Florian (près de Linz). Ce fut peut-être l'occasion d'une confrontation avec le retable de Pacher à Saint-Wolfgang. Un dessin de 1511 représentant le Danube à Sarmingstein (musée de Budapest) en témoigne. En effet, les stries parallèles des rochers reflètent encore le style dynamique des premières années. Mais la nouvelle manière de l'artiste trouve une éclatante illustration dans le chef-d'œuvre de cette époque, le Retable de Saint-Florian. Il comporte 8 panneaux représentant des Scènes de la Passion et 4 consacrés à la Légende de saint Sébastien (collégiale de Saint-Florian). En outre, 2 panneaux — dont l'un figure la Mise au Tombeau, l'autre la Résurrection (Vienne, K. M.) — ont appartenu à la prédelle du même retable, qui dut être achevé en 1518 si l'on se réfère à la date inscrite sur le panneau de la Résurrection. Loin de s'intégrer à l'ensemble de la composition, les figures se détachent désormais en volumes aux contours précis, d'un coloris nouveau. Des couleurs resplendissantes font ressortir les personnages, qui se découpent brillamment sur le décor architectural volontairement neutre, en partie inspiré par une gravure italienne reproduisant un dessin de Bramante. Les Scènes de la Passion furent pour Altdorfer l'occasion de rendre sensibles les variations lumineuses des différentes parties du jour par la virtuosité des éclairages. Les dimensions imposantes du retable invitent à penser que l'artiste y consacra beaucoup de temps ; cette hypothèse se trouve d'ailleurs confirmée par l'évolution stylistique sensible de certains panneaux par rapport à d'autres. Ainsi, les scènes nocturnes (le Mont des Oliviers, l'Arrestation), qui durent être conçues d'abord, sont encore proches du style de la première période, alors que les quatre scènes du Martyre de saint Sébastien, exécutées sans doute les dernières, sont tout à fait novatrices. Tout en travaillant au Retable de Saint-Florian, Altdorfer exécuta aussi des commandes pour l'empereur Maximilien : gravures sur bois pour l'Arc de triomphe et l'Entrée triomphale, dessins sur les marges d'une partie du Livre d'heures de l'empereur (bibl. de Besançon). Du point de vue chronologique, il convient de rattacher au Retable de Saint-Florian 7 panneaux retraçant la Légende de saint Florian (3 au musée de Nuremberg, 2 aux Offices, 1 au musée de Prague, 1 dans une coll. part.) et ayant sans doute appartenu à un retable qui lui était dédié. Le coloris dépasse encore en intensité celui des Scènes de la Passion, et la dimension des têtes prête aux personnages un aspect poupin qui rappelle ceux de la Nativité de la Vierge (Munich, Alte Pin.). Au début de la troisième décennie du XVIe s., on voit réapparaître dans l'œuvre d'Altdorfer le thème autour duquel gravitera désormais son art, le paysage. On doit à cette période 9 gravures à l'eau-forte, 3 aquarelles (Rotterdam, B. V. B. ; bibliothèque d'Erlangen ; musées de Berlin, cabinet des Estampes) et 2 tableaux : le Paysage à la passerelle (Londres, N. G.) et le Danube près de Ratisbonne (Munich, Alte Pin.), premiers paysages autonomes dans la peinture occidentale depuis l'Antiquité. Les paysages à l'aquarelle de Dürer sont à l'origine de ces œuvres, qui marquent incontestablement un tournant dans l'histoire de l'art. Le paysage occupe une place capitale dans le Christ prenant congé de sa Mère (v. 1520 ?) de la N. G. de Londres. De 1526 date une Crucifixion (musée de Nuremberg), et un tableau représentant Suzanne au bain au pied d'un palais fantastique (Munich, Alte Pin.) peut être rattaché à cette période (v. 1526-1528).

   En 1528, Altdorfer renonça à devenir maire de Ratisbonne pour se consacrer au stupéfiant chef-d'œuvre, daté de 1529, qu'il exécuta pour Guillaume de Bavière : la Bataille d'Alexandre (Munich, Alte Pin.), tableau qui permit à l'artiste de déployer une dernière fois son génie de coloriste ; un paysage cosmique vu à vol d'oiseau (la Méditerranée orientale), évoquant Patinir par l'ampleur de son panorama et Léonard de Vinci par la forme des montagnes, constitue le théâtre de l'action, dont les protagonistes ne sont autres que le ciel, la terre et la mer, que le soleil et la lune baignent de leur clarté. Les minuscules silhouettes des soldats, qui rappellent ceux de l'Entrée triomphale de Kölderer (Albertina), se confondent en une masse bigarrée de lances hérissées, dont la progression semble épouser les mouvements du terrain.

   Au cours de la quatrième décennie, les œuvres se font plus rares. Une Madone (Vienne, K. M.) et une Scène courtoise (musées de Berlin), dont le paysage, riche d'atmosphère, annonce déjà la peinture du XVIIe s., sont datées de 1531. L'œuvre d'Altdorfer s'achève avec les fresques destinées aux bains royaux de Ratisbonne, dont seuls quelques fragments (musées de Ratisbonne et de Budapest) et un dessin (Offices) ont été conservés, et avec un tableau de grand format représentant Loth et ses filles (1537, Vienne, K. M.). Ici, l'artiste s'est éloigné de l'idéal de l'école du Danube pour adopter les éléments chers à la Renaissance. C'est désormais sur le corps humain que se concentre l'attention, et la fraîcheur du coloris fait place aux tons rompus. Avec Dürer, Altdorfer, dont l'art est certes plus subjectif, est le plus grand paysagiste de la peinture allemande ancienne. Représentant éminent de l'école du Danube, il a profondément marqué en son temps la peinture de l'Allemagne méridionale, bien qu'il n'ait pas eu de disciples au sens strict du terme. Il est évident que ses œuvres de jeunesse ne sont pas étrangères à l'éclosion du talent du Maître de Pulkau, que celles de la deuxième décennie ont inspiré Wolf Huber et qu'Augustin Hirschvogel a poursuivi la tradition de ses paysages à l'eau-forte.