Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
R

Recco (les)

Famille de peintres italiens actifs à Naples au XVIIe s.

Peintres de " natures mortes ", ces artistes sont parmi les représentants les plus significatifs du genre qui crée à Naples, au XVIIe s., après l'expérience caravagesque, une florissante tradition qui se prolongera encore au cours du XVIIe s. Le fondateur de cette famille, Giacomo (Naples 1603-id. avant 1653 ?) , bien qu'encore lié aux positions conservatrices par l'entrelacement des influences flamandes et des formules maniéristes (Giovanni da Udine), se spécialisa dans la représentation de fleurs.

 
Son fils Giuseppe (Naples 1634 – Alicante 1695) , l'artiste le plus doué du groupe, en fut également la personnalité la plus intéressante. Formé dans le cercle du Lombard Evaristo Baschenis, Giuseppe représente donc la synthèse des formes lombardes et napolitaines de la peinture de genre. Sur ce fond de culture, qu'illustre notamment la Nature morte de Rotterdam (B. V. B.), s'inscrivent également certaines expériences de la culture espagnole, comme le démontre la Cuisine (1675, Vienne, Akademie). Ces expériences auraient déterminé la préférence de Giuseppe pour les représentations d'étalages ou d'accumulations de poissons, souvent situés au seuil de grottes marines s'ouvrant sur des paysages inattendus. L'artiste apporte à ces compositions de formes toujours plus libres, enveloppées de vibrantes atmosphères aux reflets bleus, une fraîcheur et un lyrisme de couleur pénétrés de romantisme. Grâce également à ses contacts avec l'œuvre de Giovanni Battista Ruoppolo, Giuseppe oriente ainsi le genre de la " nature morte " dans le sens de la plus pure tradition napolitaine, qui avait trouvé dans l'enseignement laissé par Caravage un moyen de découvrir avec une émotion de plus en plus forte la réalité. Son attitude artistique servit d'exemple non seulement à la peinture napolitaine, où elle fut en partie reprise par Andrea Belvedere, mais aussi à d'autres peintres de " nature morte ", ailleurs en Italie.

 
Giovan Battista (Naples v. 1615/20 – id. v. 1660) , longtemps confondu avec son frère Giuseppe, ne fut révélé que par des études récentes. Il fut formé sur des modèles archaïsants de dérivation espagnole, et son activité de la maturité n'atteignit jamais le raffinement et la modernité dont fit preuve son frère. Les enfants de Giuseppe, Elena, qui se rendit à Madrid en 1695, et surtout Nicola Maria, continuèrent la tradition paternelle, dont ils accentuèrent le langage moderniste par l'assimilation des modes fantastiques de Luca Giordano. Les œuvres de Giacomo Recco sont conservées à Naples (Capodimonte) et dans des coll. part. italiennes et étrangères. Giuseppe est présent à Naples (Capodimonte et Museo di S. Martino) ainsi que dans des gal. publiques italiennes et étrangères (Florence, Pitti ; Rome, palais de Montecitorio ; Prado ; Metropolitan Museum ; musées de Łódź, Varsovie, Pesaro) et dans de nombreuses coll. part. européennes. Giovan Battista, Elena et Nicola Maria Recco sont représentés dans des gal. publiques (1653, Stockholm, Nm ; Besançon ; Palerme ; La Valette pour Giovan Battista ; Donaueschingen pour Elena) et privées, italiennes et étrangères.

rechampir

Parlant d'une boiserie, détacher une surface peinte du fond, soit en marquant les contours, soit en employant une ou plusieurs couleurs différentes de celle du fond. L'arrêt d'une surface en rive d'une autre teinte ou d'une moulure s'exécute avec le talon d'une brosse dite " à rechampir ", l'extrémité des soies ne servant qu'à lisser la peinture.

Redon (Odilon)

Peintre français (Bordeaux 1840  – Paris 1916).

Contemporain des impressionnistes, Redon est un indépendant dont l'art, intensément personnel, développa ses recherches à l'écart des mouvements de son temps. Son œuvre, longtemps incomprise, ne s'imposa qu'après 1890. Cet artiste est désormais considéré comme l'une des personnalités les plus riches et les plus complexes du XIXe s., créateur de formes et d'harmonies nouvelles dans le dessin, l'estampe, la peinture et l'art décoratif, grand écrivain dans son Journal et ses Notes, réunis en 1922 sous le titre de À soi-même.

Débuts

Issu d'une famille de la bourgeoisie bordelaise, il naît peu après le retour à Bordeaux de son père, Bertrand, qui s'était établi à La Nouvelle-Orléans et s'y était marié ; son inspiration doit beaucoup aux premières impressions d'une enfance fragile, livrée à elle-même dans le domaine familial de Peyrelebade, aux frontières du Médoc et des Landes. Jusqu'en 1899, l'artiste reviendra chaque année " se mirer à ses sources ", dans le lieu de l'enfance devenu lieu de la création. Il est initié au dessin par S. Gorin, élève d'Isabey, l'un des animateurs de la Société des amis des arts fondée à Bordeaux en 1851, qui lui apprend à admirer aux Salons les envois de Corot et de Delacroix, et, plus tard, les débuts de Gustave Moreau. L'adolescent hésite sur sa vocation, abandonne des études d'architecture et de sculpture, passe dans l'atelier de Gérôme, où il se heurte à l'incompréhension du professeur. Sa rencontre avec R. Bresdin à Bordeaux, v. 1863, sera décisive ; auprès de ce dernier, il s'initie aux techniques de la gravure et de la lithographie, mais surtout la personnalité de Bresdin, ses propos (qu'il a recueillis) et les résonances que son œuvre éveille en lui l'orientent définitivement vers un art libre, aussi éloigné du Naturalisme que des conventions officielles, qui exprime, en faisant appel aux ressources de la pensée et du rêve, la vision subjective de l'artiste et son interprétation du réel. Les eaux-fortes que Redon expose aux Salons de Bordeaux, ses dessins à la mine de plomb et ses premiers fusains, comme Dante et Virgile (1865), attestent l'influence de Bresdin et s'inscrivent dans une tradition romantique. Au même moment, Redon définit sa position par rapport à l'art contemporain dans son compte rendu du Salon de 1868 et son étude sur Bresdin (1869), publiés dans la Gironde.

Les " Noirs "

La guerre de 1870, à laquelle il participe, marque une date dans son évolution, " celle de ma propre conscience ", écrira-t-il plus tard. Alors débute la période la plus féconde des Noirs ; c'est Redon lui-même qui donna le titre de Noirs à l'ensemble des fusains et des lithographies qui constituent l'essentiel de sa production jusqu'en 1895. Le choix du fusain sur papier teinté, technique des dernières études de Corot, souligne la volonté de l'artiste de dépasser le romantisme de ses premiers essais vers une forme d'expression plus suggestive, laissant place à l'indéterminé, à l'ambigu : " L'art suggestif ne peut rien fournir sans recourir uniquement aux jeux mystérieux des ombres et au rythme des lignes mentalement conçues. " Utilisant d'abord la lithographie pour multiplier ses fusains, Redon parvient à une remarquable maîtrise des effets propres à cette technique du noir et blanc (181 numéros, catalogués par Mellerio en 1913) ; de 1879 à 1899, il publie, à côté de pièces isolées comme le célèbre Pégase captif (1889), 13 suites lithographiques traduisant son angoisse et dont les plus significatives sont Dans le rêve (1879), les Origines (1883), Hommage à Goya (1885), les 3 séries de la Tentation de saint Antoine (1888, 1889 et 1896) et l'Apocalypse (1899).

   S'il a connu les œuvres des grands visionnaires, de Goya à Moreau, s'il a découvert, grâce au microscope du botaniste Clavaud, les mystères de l'infiniment petit, la genèse des Noirs se situe sur un autre plan : ils apparaissent comme les jalons d'une aventure spirituelle qui ont conduit l'artiste, au terme de son voyage nocturne, jusqu'aux confins du conscient et de l'inconscient. Le mérite de Redon est d'avoir su mettre " la logique du visible au service de l'invisible " et exprimer en termes plastiques ses thèmes obsessionnels : hantise des origines, transmutations secrètes qui modifient le visage humain et dotent le monstre de vie morale, peur intellectuelle, vertige de l'absolu. Si de telles œuvres firent scandale aux expositions de la Vie moderne (1881) et du Gaulois (1882), Redon eut tôt ses fidèles : E. Hennequin (article de la Renaissance, mars 1882), Huysmans, qui lui rend hommage dans À rebours (1884), Mallarmé et, parmi ses premiers amateurs, R. de Domecy et le Hollandais A. Bonger.

   Il définissait admirablement la genèse de ses œuvres visionnaires : " Mon régime le plus fécond, le plus nécessaire à mon expansion a été, je l'ai dit souvent, de copier directement le réel en reproduisant attentivement des objets de la nature extérieure en ce qu'elle a de plus menu, de plus particulier et accidentel. Après un effort pour copier minutieusement un caillou, un brin d'herbe, une main, un profil ou toute autre chose de la vie vivante ou inorganique, je sens une ébullition mentale venir ; j'ai alors besoin de créer, de me laisser aller à la représentation de l'imaginaire. " Une évolution est sensible dans les Noirs, depuis les fusains hantés et pathétiques exécutés avant 1885, comme la Tête d'Orphée sur les eaux (Otterlo, Kröller-Müller), la Fenêtre (New York, M. O. M. A.), l'Araignée (Louvre), l'Armure (1891, Metropolitain Museum) ou la Folie (id.), jusqu'aux œuvres plus secrètes et intériorisées des années 1890, telle Chimère (Louvre) ; aux puissants contrastes d'ombres et de lumières dramatisant le motif se substitue alors le souci de modulation et d'arabesque : le Pavot noir (Almen, anc. coll. Mme Bonger), le Sommeil (Louvre), Profil de lumière (Paris, Petit Palais et Louvre).