Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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fêtes et peintres (suite)

Rome. Le pape et les ambassadeurs. Bernin et Pannini

Au XVIIe et au XVIIIe s., en France comme en Italie, l'organisation des fêtes est confiée de plus en plus souvent à des maîtres spécialisés, qui dans les tournois, qui dans les feux d'artifice, qui dans les apparats funèbres. De plus, il n'y a plus de chroniqueurs comme Vasari, qui ne manquait pas une occasion de citer les noms des peintres ou sculpteurs chargés de tel ou tel détail particulièrement remarquable. Les récits des voyageurs, les Mémoires, la presse du temps aussi décrivent souvent les spectacles donnés pour célébrer une victoire ou la naissance d'un dauphin : ils se préoccupent rarement d'en connaître les auteurs. À Rome, par exemple, où les ambassadeurs étrangers se doivent de commémorer les événements heureux ou malheureux survenus dans leur pays, les cortèges succèdent aux bals, les feux d'artifice aux services funèbres. Mais il est généralement difficile de rattacher le nom d'un artiste, plus spécialement d'un peintre, à telle ou telle cérémonie. Nous savons toutefois que Bernin ne négligea pas ce genre d'activité, auquel le prédisposaient son imagination et son goût des scénographies animées, voire tumultueuses. Il participa aux fêtes données pour l'entrée de la reine Christine de Suède à Rome en 1655, dessina notamment le carrosse que lui offrit le pape et dut résoudre, pour un banquet au Vatican, un épineux problème de fauteuil. Il compose une mascarade pour le carnaval de 1658, puis un feu d'artifice pour la fête que donne l'ambassadeur de France après l'élection de Clément IX et la reprise des bonnes relations entre Louis XIV et le Vatican. On y voyait, dans un grand embrasement, le pape sur un globe terrestre, entre la Guerre et la Paix. Plus tard — en 1729 —, c'est à Pier Leone Ghezzi que le cardinal de Polignac demande d'établir le dessin du feu d'artifice tiré sur la place Navone pour la naissance du Dauphin, fils de Louis XV, et de décorer à cette occasion la cour du palais Altemps, où il réside. En 1745, pour le mariage du même Dauphin avec l'infante d'Espagne, c'est Pannini qui est chargé du feu d'artifice. Ghezzi, peut-être jaloux de n'avoir pas été choisi, fait une caricature de son rival, dont la légende dit que Pannini, " ayant à faire le feu d'artifice de la place Farnèse, commit l'incongruité de placer une flèche sur le temple d'Hymen ". Quant aux artistes pensionnaires de l'Académie de France, ils préfèrent organiser des fêtes pour eux-mêmes, telle la " mascarade chinoise " de 1735, qui n'en fit pas moins sensation dans la ville.

Anvers : Rubens

Dans les Flandres, la tradition des " Joyeuses entrées " médiévales est brillamment poursuivie à Anvers : entrées triomphales de Charles Quint en 1549, pour laquelle collaborèrent P. Coecke Van Aelst, Cornelis et Frans Floris ; de l'archiduc Ernest en 1594 (Maerten de Vos, Ambrosius Francken) ; de l'infante Isabelle et de l'archiduc Albert en 1599 (Otto Venius). Le même goût des arcs de triomphe au riche décor et aux allégories complexes est maintenu par Rubens, maître d'œuvre du somptueux décor de la ville mis en place à l'occasion de l'entrée, en avril 1635, du Cardinal-Infant Ferdinand d'Autriche, nouveau gouverneur des Pays-Bas. Le musée d'Anvers et l'Ermitage conservent des virtuoses " modelli " à l'huile peints par l'artiste pour cet événement. Le peintre Jan Van den Hoecke exécuta certaines des peintures monumentales d'après les projets de Rubens. Le souvenir des festivités est conservé grâce à une suite de gravures de Theodoor Van Thulden représentant les différents décors.

Paris. Le Roi-Soleil et Charles Le Brun

En France, une période assez terne suit les entrées triomphales de la Renaissance. Louis XIII est un roi triste, et un roi pauvre. En 1615, Marie de Médicis charge Bassompierre d'organiser un tournoi pour le mariage de son fils, âgé de onze ans, avec Anne d'Autriche. L'année suivante, le roi, revenant de la Bretagne et du Poitou pacifiés, est accueilli à la porte Saint-Jacques par un modeste édifice sur lequel " un peintre de la ville " a représenté la nef de Lutèce, le roi et la régente. On célèbre aussi la prise de La Rochelle avec un défilé où reparaissent les allégories de jadis : le char de l'âge d'or, Jason sur le navire Argo, la Gloire, la Vertu, la Clémence. Mais le roi, en fait, s'intéresse à la musique plus qu'à la peinture, aux ballets plus qu'aux tournois. Les brillantes chevauchées ne renaîtront qu'avec le Roi-Soleil. La " pompeuse cavalcade " faite pour la majorité de Louis XIV en 1651, et décrite par Mme de Motteville, inaugure toute une série de manifestations spectaculaires. Elle est menée par un " maître des cérémonies ", le sieur de Saintot, " allant et venant pour mettre chacun en rang ". L'entrée de Louis XIV et de Marie-Thérèse, après leur mariage, à Saint-Jean-de-Luz, est encore un beau défilé, et beaucoup plus que cela. Sur le parcours, les arcs de triomphe reprennent leur importance. Celui du pont Notre-Dame a été édifié par les Beaubrun, peintres de Sa Majesté, et celui de la place Dauphine par Charles Le Brun : c'est le début d'une grande carrière, et d'une longue faveur, auprès du roi. L'édifice qu'il a conçu est placé de telle façon qu'on découvre, dans la perspective de l'arcature, la statue équestre d'Henri IV et, au loin, le Louvre. Le Brun, jusqu'à cette date, a travaillé pour Fouquet. Un an après l'entrée du roi, il est encore le grand maître des fêtes, qui vont consommer la perte du surintendant et décider de son arrestation. Il présidera désormais à la plupart des divertissements de Versailles.

   Il n'en a pas la charge entière. Vigarini comme architecte, Henri Gissey comme " dessinateur ordinaire des plaisirs et ballets royaux " ont fort à faire pour le Carrousel de 1662 ou pour les Plaisirs de l'île enchantée en 1664. Le rôle de Le Brun est d'un autre ordre, d'une autre ampleur. Car il possède, lui, et lui seul, l'intuition exacte de l'importance de la fête, non seulement dans l'animation de la Cour, mais dans la " vie " du palais. " Versailles ne fut réellement que le temps de quelques fêtes, quand brillaient les lustres, les jets d'eau, les bijoux, les bassins d'argent massifs, les fleurs répandues à profusion, quand les musiques répondaient aux dorures et le cérémonial à la majesté des appartements. " Le Brun veille à tout cela : " Il sait faire que la galerie, le jardin, le vase, le feu d'artifice, tout prenne un sens et un éclat [et] pourquoi placer ici Diane et là Jupiter, comment allier [...] le piédestal avec la statue, l'allégorie avec le buffet de fruits confits " (J. Thuillier). Le Brun ordonne la pompe funèbre du chancelier Séguier en 1672, comme le feu d'artifice célébrant la seconde conquête de la Franche-Comté en 1674, ou, en 1677, la représentation de Phèdre durant les fêtes de Sceaux.

Le XVIIIe siècle. Bals parés et pompes funèbres

Après la mort de Colbert, en 1683, Le Brun s'efface. Les fêtes continuent et l'on devine la fascination qu'elles exercent sur les cours européennes en lisant par exemple les lettres adressées de Stockholm par l'architecte Nicolas Tessin à son compatriote Daniel Cronströn, résidant à Paris : jour après jour, il le presse de lui envoyer des relations, des gravures, des dessins relatifs aux fêtes de Versailles ou de Marly aussi bien qu'aux funérailles princières. Il n'est plus question que de Gissey ou de Bérain. Les intendants de la Chambre du roi, comme M. de Bonneval, sont jaloux de leurs prérogatives, et Cochin raille sa manie de vouloir signer lui-même comme " inventeur " les gravures représentant les cortèges, feux d'artifice et banquets donnés à la Cour. La tâche allouée aux peintres n'est-elle plus que de dessiner, comme le fit Moreau le Jeune, les invitations aux " bals parés ", puis d'en graver l'image ? Cochin signale en tout cas, dans l'ordonnance des pompes funèbres, une évolution déterminée par des sculpteurs, les Slodtz : celles-ci " devinrent quelque chose entre leurs mains. Ce qu'on n'y avait jusque-là exécuté qu'en plate peinture, ils l'exécutèrent en relief. Il est vrai qu'on leur a reproché qu'ils y avaient répandu un goût galant et un air de fête peu convenables à la gravité du cérémonial ; mais ils s'efforçaient de plaire à une cour qui n'admettait de sérieux nul part [...] ".

   Dans cette cour, les divertissements privés se multiplient, et la marquise de Pompadour sait fort bien les organiser elle-même. Quant aux fêtes publiques, elles tournent parfois à la catastrophe : l'effondrement d'une tribune provoque la mort de 132 personnes place Louis-XV, pendant le feu d'artifice tiré pour le mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette.