Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
L

Lorrain (Claude Gellée ou Gelée, dit Claude) (suite)

L'influence de Lorrain

Le peintre n'eut qu'un seul élève, Angeluccio, mort jeune, mais l'influence de son art, dans sa première période, fut immense dès son vivant, surtout sur Dughet et son école (Onofri) et sur certains Néerlandais italianisants. Son exemple domina tout le paysage classique du XVIIIe s. et du début du XIXe s. en Italie (Orizzonte, Vanvitelli, Locatelli, Anesi). Son influence se fit sentir en France (Patel, Rousseau) et en Allemagne, où Gellée en vint à représenter l'idée même de l'Italie en littérature (Goethe) et en peinture. L'Angleterre, dont les collections possédèrent v. 1850 l'œuvre presque entier de Lorrain, la subit également dans sa peinture (de Richard Wilson à Turner), dans son art du jardin (à Stourhead) et dans la notion de pittoresque chère au XVIIIe s. À l'époque impressionniste enfin, ses lavis furent souvent imités. Une rétrospective Lorrain a eu lieu en 1983 (Washington N. G. ; Paris, Grand Palais).

Loth (les)

Peintres allemands.

 
Johann Ulrich (Munich v.  1590-1600 [ ?]  – id.  1662). De 1615 à 1626, il est au service du duc Maximilien de Bavière comme apprenti rémunéré, probablement de Peter Candid. De 1619 à 1623, il fait un séjour en Italie. Son art est marqué par Caravage et Saraceni. Il revient ensuite à Munich, où il travaille d'abord à la Cour, puis sans poste officiel de 1626 jusqu'à sa mort. Plusieurs de ses œuvres (Madeleine pénitente, 1630) sont conservées à Munich (Alte Pin.).

 
Johann Carl (Munich 1632 – Venise 1698). Fils du précédent, il se forma vraisemblablement à Munich, dans l'atelier de son père. Peu après, il entreprend en Italie un voyage d'études, indispensable pour tout artiste baroque du sud de l'Allemagne. Il séjourne d'abord à Rome, puis v. 1657 à Venise, qui deviendra pour lui une seconde patrie.

   Il travailla quelque temps dans l'atelier de Pietro Liberi à Venise, subit ensuite l'influence conjuguée de G. B. Langetti et d'Antonio Zanchi, qui pratiquaient, comme Giordano, un caravagisme adouci. " Carlotto ", devenu presque vénitien, et qui s'adonnait à ce style décoratif et pictural avec virtuosité, devint l'un des principaux représentants des " Tenebrosi ". Son atelier arrivait à peine à satisfaire les commandes des princes européens et des maisons nobles, ainsi que celles des églises du sud de l'Allemagne et de l'Italie.

   Il a formé de nombreux peintres baroques d'Allemagne du Sud, comme Rottmayr, Strudel, Saiter. L'artiste est représenté à Munich (Alte Pin. : Mort de Sénèque), à Vienne (K. M. : Jupiter et Mercure chez Philémon et Baucis ; Bénédiction de Jacob), à Londres (N. G. : Mercure et Argus), aux Offices (Autoportrait de 1696), à l'Accademia de Venise (Saint Romuald), au château de Pommersfelden, coll. du comte Schönborn (Antoine et Cléopâtre, Cornélie), à l'église S. Silvestro de Venise (Sainte Famille).

Lotto (Lorenzo)

Peintre italien (Venise v. 1480  –Lorette  1556).

La carrière artistique de Lorenzo Lotto, qui se développa en marge du courant officiel de la peinture vénitienne du cinquecento, tout en constituant un chapitre passionnant, est étroitement déterminée par les vicissitudes d'une existence inquiète, passée souvent loin de Venise du fait de séjours de l'artiste à Rome, à Bergame et, de façon répétée, dans les Marches.

   L'anticonformisme de cette personnalité isolée s'affirme bien avant que ne commence son vagabondage artistique, lors d'une première activité en Vénétie, plus précisément à Trévise, où il est documenté de 1498 à 1508 ; révélatrice de son indépendance est sa liberté de choix dans l'énorme masse d'informations artistiques qui s'offrait à lui, au point que l'on a du mal à préciser ses antécédents. Entre les deux œuvres de Naples (Capodimonte), la Madone avec saint Pierre martyr (1503) et le Portrait de l'évêque B. de' Rossi de 1505 (de même que son volet avec une Allégorie de la N. G. de Washington). En 1506, Lotto exécute, pour la première fois, des tableaux d'autel monumentaux, tels que la Madone et saints de l'église S. Cristina à Tivarone (près de Trévise) et l'Assomption de la cathédrale d'Asolo (Trévise), puis traite le thème de Saint Jérôme (Louvre), qu'il reprendra plusieurs fois par la suite. En 1508, il peint durant son premier séjour dans les Marches le polyptyque de Recanati (Pin.) et la Madone avec deux saints (Rome, Gal. Borghèse) : résultats décisifs d'une période de formation qui, inspirée au début de Giovanni Bellini, puis d'Antonello de Messine (à travers Alvise Vivarini) et de Dürer (à Venise de 1505 à 1507), nous révèle son orientation ; fermé à la leçon de Giorgione et de Titien, Lotto s'est constitué un langage très personnel, caractérisé par des formes nerveuses et aiguës, par un chromatisme " polyphonique ", sonore, nettement antitonal.

   Son séjour à Rome, documenté en mars 1509 pour ses travaux dans les Stanze du Vatican (disparus), fut la cause d'un changement notable, dans un sens pleinement cinquecentesque. D'abord apparue comme le symptôme d'une crise dans les peintures immédiatement postérieures exécutées dans les Marches (Transfiguration de la Pin. de Recanati ; Déposition, 1512, Pin. de Jesi), cette évolution se révélera tout à fait dès la première œuvre de Bergame (le tableau d'autel de S. Stefano, maintenant à S. Bartolomeo, 1516, avec sa prédelle à l'Accad. Carrara), où l'artiste arrive à la fin de 1512 ; cet enrichissement formel témoigne d'une respiration spatiale plus large. À la composante raphaélesque s'ajoute, lors de cette fructueuse période bergamasque, une référence au goût lombardo-léonardesque qui augmente les possibilités expressives de Lotto dans un sens sentimental (Madone de la Gg de Dresde, 1518). De plus, on peut expliquer certaines recherches ouvertement pathétiques, renforcées parfois par des effets luministes (les Adieux du Christ à sa mère, musées de Berlin), par un intérêt accru pour la peinture septentrionale d'Altdorfer et de Grünewald, connue sans doute grâce à des artistes " lansquenets " tels que Graf et Deutsch.

   Cependant, la variété des sources d'inspiration n'amoindrit pas, durant cette période — peut-être la plus heureuse du peintre —, les qualités spécifiques de sa poésie : un chromatisme très pur et lumineux (retables de S. Bernardino et de S. Spirito, 1521, Bergame) ; l'atmosphère intime et douce dans laquelle sont baignées les scènes sacrées (1523 : le Mariage mystique de sainte Catherine, Bergame, Accad. Carrara ; la Nativité, Washington, N. G.) ; l'humanisation du portrait grâce à une recherche de l'évidence réaliste et du secret psychologique du modèle (Portrait des Dalla Torre, 1515, Londres, N. G. ; Portrait de Messer Marsilio et de sa femme, 1523, Prado) ; surtout la fraîcheur des observations et la sincérité visuelle, qui ont fait donner une place importante à Lotto parmi les antécédents du Caravagisme (Longhi). De la phase bergamasque ressort, en outre, le charme de la veine narrative du peintre, qui, annoncée en 1517 par la Suzanne au bain (Offices, anc. coll. Contini-Bonacossi), atteint en 1524 dans les fresques de la chapelle Suardi à Trescore, Bergame (Scènes de la vie de sainte Barbe, sainte Catherine et sainte Claire), à des solutions d'une invention plus libre et plus savoureuse, de goût populaire.

   Revenu à Venise à la fin de 1525, Lotto continue à travailler pour Bergame, où il envoie des cartons (auj. perdus) pour les marqueteries de l'église S. Maria Maggiore, dont il s'occupe de 1524 à 1532, et des œuvres de dévotion pour les églises de la province (polyptyque de l'église de Ponteranica, une de ses œuvres les plus touchantes, riche en traits qui rappellent Grünewald ; l'Assomption de l'église de Celana, 1527). À Venise, il habite chez les dominicains de S. S. Giovanni e Paolo ; le Portrait de dominicain, plein de sensibilité et de douceur (1526, musée de Trévise), représente peut-être le trésorier du couvent, maître Marcantonio Luciani. Lorenzo déploie une activité intense, surtout pour les Marches, où il envoie périodiquement des œuvres pour les églises (Madone à l'Enfant avec saint Joseph et saint Jérôme, 1526 ; Annonciation, auj. à la Pin. de Jesi).

   À Venise, le contact avec la personnalité dominatrice de Titien n'altéra pas la profonde indépendance de sa vision, qui, au contraire, atteignit dans ces années au plus haut degré d'originalité expressive dans des œuvres telles que le Christ portant sa croix (1526, Louvre) ; l'Annonciation peinte pour S. Maria Sopra Mercanti de Recanati, curieuse scène d'intérieur traitée dans un esprit luministe, l'Adoration des bergers (Brescia, Pin. Tosio Martinengo), le tableau d'autel de Saint Nicolas en gloire (1529, Venise, église dei Carmini), dont le paysage, remarquable par son sentiment de la nature à la fois idyllique et dramatique, est l'une des plus belles et des plus fortes réussites poétiques de Lotto, mais dont le coloris acide et antitonal ne fut pas accessible au goût vénitien contemporain. Même lorsqu'il illustre les thèmes exploités par Giorgione et Titien, il témoigne de sa singularité (Vénus et Cupidon, New York Metropolitan Mus.).

   Vers 1530, l'artiste est dans les Marches, où il peint, en 1531, la Crucifixion de l'église de Monte S. Giusto (Fermo) et, en 1532, Sainte Lucie devant le juge (Jesi, Pin.), autre œuvre fondamentale, pleine d'inventions et de solutions nouvelles, dont l'expressivité est traduite dans un chromatisme froid et précieux riche en effets lumineux, particulièrement recherchés dans les passages narratifs, très libres, de la prédelle. Le Christ et la femme adultère (Louvre) appartient à la même période. Durant ces années, les portraits de Lotto, domaine qui lui est particulièrement propice pour les intérêts humains qu'il présente, gagnent en profondeur psychologique et en équilibre stylistique : Portrait de gentilhomme dans son cabinet de travail (Venise, Accademia), Portrait d'Andrea Odoni (Londres, Buckingham Palace).

   La dernière phase de l'activité de Lotto montre une accentuation du sentiment religieux, mais aussi une moins grande sérénité créatrice, correspondant certainement à la crise spirituelle qui aggrava, avec le cours des années, l'angoisse de cet artiste tourmenté. Les annotations du peintre dans son livre de comptes, de 1538 à l'année de sa mort, sont des documents précieux qui nous renseignent sur les vicissitudes d'une existence aigrie par les difficultés matérielles, les insatisfactions professionnelles, les fréquents déménagements, et qui nous éclairent sur les dernières peintures de l'artiste.

   Ayant terminé provisoirement son séjour dans les Marches avec le tableau d'autel de Cingoli (Madone du Rosaire, 1539, église S. Domenico), Lotto retourne à Venise en 1540 et peint en 1542, pour les dominicains de S.S. Giovanni e Paolo, la Distribution d'aumônes de saint Antoine, encore pleine de vie et d'observations piquantes.

   Demeurant de 1542 à 1545 à Trévise auprès de son ami Giovanni del Saon, puis de 1545 à 1549 de nouveau à Venise, où il séjourne en divers endroits, Lotto exerce, dans la cinquième décennie surtout, une activité de portraitiste qui, dans l'emploi d'un coloris plus fondu et jouant sur les tons, dénote une certaine sensibilisation à l'exemple de Titien : Portrait de Mercuro Bua (Rome, Gal. Borghèse). Portrait de Febo da Brescia (Brera), Portrait de Laura da Pola (id.), Portrait de gentilhomme âgé avec des gants (id.), Portrait d'arbalétrier (Rome, Gal. Capitoline).

   Ce rapprochement avec l'art de Titien, qui est évident également dans des tableaux d'autel tels que la Madone et saints (autref. dans l'église S. Agostino d'Ancône, maintenant à S. Maria della Piazza) et l'Assomption avec des saints (Fermo, église de Mogliano), sûrement peintes à Venise, marque les dernières manifestations de l'art authentique de Lotto.

   Après son installation définitive dans les Marches en juillet 1549, fatigué et malade, Lotto s'épuise dans une production abondante, mais d'une qualité moindre. Toutefois, de ses dernières œuvres mortifiantes se détache, comme pour les racheter, la Présentation au Temple peinte dans la Sacra Casa de Lorette, où, s'étant fait oblat, il termina ses jours. On trouve là — dans la gamme chromatique, réduite à des tons atténués, dans la facture " tachiste ", abolissant l'intégrité formelle, de cette dernière peinture de Lotto — une ultime tentative de rénovation des moyens d'expression, mais aussi un résultat stylistique qui, par son modernisme, confirme le degré de génie de l'un des plus singuliers et des plus séduisants artistes du XVIe s. italien.