Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
F

fêtes et peintres (suite)

Le XIXe siècle. Des fêtes révolutionnaires aux funérailles républicaines

La Révolution et David vont redonner à tout le moins un " style " aux fêtes de la fin du siècle. En 1793, le président de la Convention célèbre la fête de la Régénération, sur les ruines de la Bastille, " par une sorte de libation " suivie d'une salve d'artillerie. David règle chaque cérémonie dans ses moindres détails, l'heure même ayant une importance symbolique : la pompe funèbre de Marat doit se dérouler au crépuscule, et l'anniversaire du 10 août au lever du soleil. En 1793, le thème choisi par le peintre pour cette journée est la fête de la Nature. C'est un échec : les fontaines d'eau pure sont beaucoup moins appréciées que celles d'où le vin coulait naguère en abondance. La fête de l'Être suprême est une succession d'hymnes et de harangues enflammées : Moreau le Jeune en est tout impressionné et fait un dessin presque ennuyeux. David préside encore aux fêtes de l'Empire, crée les décors du sacre, et Isabey les costumes. La grandeur antique désormais n'exclut pas le luxe, et le spectacle y gagne.

   Pendant la Restauration, la Ville de Paris fait une fois appel aux " artistes jeunes encore [...], espoirs de notre école " pour honorer le duc et la duchesse d'Angoulême en 1823 : Dubufe, Cogniet, Mauzaisse, Guillemot, Rouget décorent le salon de l'Hôtel de Ville, où le " prince pacificateur " viendra prendre le café. Un intermède " privé " : en 1833, Alexandre Dumas convie 700 personnes chez lui pour le carnaval et demande à ses amis peintres d'orner ses salons : Decamps peint Deburau, Barye fait un tigre couché, Tony Johannot un Cinq-Mars, Delacroix le " roi Rodrigue après sa défaite à la bataille de Guadalete ". Dumas, dans ses Mémoires, donne l'évocation la plus directe, la plus vivante que nous possédions d'un artiste travaillant au décor d'une fête : " En trois ou quatre coups de fusains, il eut esquissé le cheval ; en cinq ou six le cavalier ; en sept ou huit le paysage, morts, mourants et fuyards compris ; puis [...] il prit brosses et pinceaux [...] Alors, en un instant, et comme s'il eût déchiré une toile, on vit sous sa main apparaître d'abord un cavalier tout sanglant, tout meurtri, tout blessé, traîné à peine par son cheval sanglant, meurtri et blessé comme lui [...], autour de lui, devant lui, derrière lui, des morts par monceaux ; au bord de la rivière, des blessés [...] laissant derrière eux une trace de sang [...] Tout cela était merveilleux à voir [...] ". Dans ce décor idyllique, Dante (c'est Delacroix lui-même), Figaro (Rossini), Robert Macaire (Frédéric Lemaître), Paillasse (Alfred de Musset) entourent Hélène Fourment (la maîtresse de maison), Anne d'Autriche (Mme Paradol), la du Barry (Dejazet), les brunes Napolitaines (Mlle George) ou Andalouses (Etex), Henri III et sa cour (Mlles Mars, Leverd, Johanny, Michelot...).

   Puis c'est, en 1840, le retour des cendres de Napoléon : Victor Hugo contemple avec amertume des statues qui, " presque toutes, sont mauvaises, et quelques-unes ridicules [...], l'avenue de Neuilly déshonorée dans toute sa longueur ", enfin un véritable " galimatias monumental ". Qu'aurait-il dit s'il avait su que, pour son propre enterrement, en 1885, les motifs principaux du décor seraient des chimères en carton et un encrier gigantesque, drapé de crêpe noir ?

   Après ce bel effort, la République renonce aux effets artistiques pour les fêtes officielles. Il y faudrait la rencontre d'un président, ou d'un ministre, compréhensif et de quelques peintres possédant la forme particulière de talent créateur et d'imagination que requièrent la célébration, le divertissement, le jeu. Les artistes attendent longtemps et, ne voyant pas venir les ministres —trop occupés à poser devant Bonnat —, décident de faire la fête entre eux.

Le XXe siècle. La fête chez les peintres

Avant la Première Guerre mondiale, il y a des soirées mémorables à Montmartre et à Montparnasse, avec parfois le piment d'un petit caractère " officiel " pour impressionner le héros de la fête ; quand il s'agit du banquet offert par Picasso —déjà lui — au Douanier Rousseau, en 1907, le trône est une caisse renversée, les lampions font pleurer des gouttes de cire sur son crâne, mais il y a une grande banderole — " Honneur à Rousseau " — et le peintre est ravi. (Fernande Olivier insiste sur la modestie du service : " Des assiettes lourdes et petites, des verres épais, des couverts d'étain... ", bref, le comble du chic aujourd'hui.) Il y a aussi des assemblées — moins protocolaires, mais toujours avec Picasso — , chez le peintre Goetz par exemple, qui sert le champagne dans des grandes marmites de fonte, où l'on puise avec des louches d'argent, si largement que Braque, sortant de là, glisse dans l'escalier et entre, les pieds en avant, dans l'appartement du dessous. Il y a les bals costumés chez Van Dongen, avec sa femme déguisée... en Van Dongen, Mme Poiret en bacchante, Matisse et Marquet en popes, enlevant leurs robes pour apparaître en lutteurs tatoués, et Van Dongen lui-même surgissant successivement en diable, en Arabe, en Neptune.

   Après la guerre, le comte Étienne de Beaumont anime les Soirées de Paris, donne des bals où Picasso vient en toréador et commande à ce dernier, en 1924, les décors du Mercure d'Erik Satie. Juan Gris organise des fêtes dans la galerie des Glaces, adoptant le ton, et les tons, d'un Cubisme modéré. Il crée aussi un décor pour l'inauguration des Grands Magasins du Printemps. L'une des dernières fêtes des " années folles " est, en 1929, le Bal Ubu donné au Bal Nègre par Madeleine Anspach, maîtresse de Derain.

   Les " dates " sont de plus en plus rares dans l'histoire des fêtes. En 1937, Fernand Léger organise celle des syndicats, pour la C. G. T., au vélodrome d'Hiver, à Paris. Mais que reste-t-il des manifestations accompagnant, la même année, l'Exposition internationale ?

   La Seconde Guerre mondiale n'interrompt pas les fêtes : il n'y en a plus depuis longtemps. Après, il faut tout recommencer, avec rien, en improvisant, et pour tout le monde : c'est le happening, manifestation publique de l'artiste, rarement ludique et qui devient une expression artistique à part entière. On peut à cet égard mentionner l'exposition d'Yves Klein (1958, Paris, gal. Iris Clert) où le public — quelque 2 000 personnes — assiste au vernissage des murs nus. Plus tard, Warhol aux États-Unis produit des spectacles (the Erupting, 1966) et des happening mêlant art et musique avec le Velvet Underground et présente son Invisible Sculpture (1985) dans un cabaret new-yorkais ; après s'être placé sur un socle, l'artiste s'en va.