Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
E

encre

Préparation plus ou moins consistante, noire, grise, blanche ou diversement colorée, utilisée, mécaniquement ou manuellement, pour reproduire des textes ou pour dessiner ou écrire sur des subjectiles variés, principalement sur papier.

   L'encre de noix de galle a servi aux dessins à la plume et au lavis dès le Moyen Âge (dessin du XIIe s. conservé dans le trésor de la cathédrale d'Auxerre ; Album de Villard de Honnecourt). Elle présente l'inconvénient de jaunir avec le temps et d'altérer le papier.

   L'encre dite " de Chine ", inaltérable, composée de noir de fumée, de gélatine et de camphre, dont l'invention remonte à plusieurs siècles avant notre ère, a été employée aux temps médiévaux comme couleur dans le lavis aussi bien que comme encre (Parement de Narbonne, v. 1375, grisaille sur soie blanche, Louvre).

   C'est surtout dans les écoles du Nord que la tradition de ce procédé s'est le plus maintenue (Dürer, Holbein le Jeune, Anthonie Blocklandt, Adriaen Van Ostade).

   Le bistre, de teinte brune, a été utilisé tantôt comme couleur, tantôt comme encre. Dans la composition des dessins, on rencontre encore l'encre rouge, à base de cinabre, l'encre bleue, faite d'indigo et de blanc de céruse, l'encre violette, mélange de cinabre et d'indigo, et l'encre verte, qui contient du suc de rue, du vert-de-gris et du safran délayé dans de l'eau additionnée de gomme.

enduit

Dans les techniques de la peinture, couche destinée à isoler le support (toile, bois, métal, pierre, mur) de la couche picturale.

   Dans la peinture murale, l'enduit (intonaco) est un revêtement de mortier, de plâtre ou de chaux. Dans la technique de la fresque, l'enduit (chaux et sable) doit être recouvert encore frais. Pour les peintures murales à l'huile (exécutées au XIXe s.), le mortier est recouvert d'une ou de plusieurs couches de colle, de poix ou d'huile. Les supports des tableaux de chevalet, de bois ou de toile, doivent également recevoir un enduit appliqué sur l'encollage.

enfants

La peinture est l'un des moyens qui permettent le mieux aux enfants de s'exprimer, indépendamment de tout recours aux méthodes et aux formules élaborées ou empruntées par les artistes. L'adulte intervient seulement —mais cette intervention est essentielle — pour transformer en activité créatrice ce qui n'est au départ qu'une manifestation spontanée, dont l'existence est néanmoins fondamentale.

Aperçu historique

Il est très probable que les enfants aient de tout temps aimé dessiner, mais il ne semble pas que l'on se soit beaucoup préoccupé dans le passé de l'originalité de leur graphisme. Lorsque la pratique d'un art est avant tout considérée comme un métier, il n'est en fait pas très étonnant que le dessin enfantin soit interprété négativement, c'est-à-dire que ses caractères propres apparaissent comme autant de " fautes " vis-à-vis de l'esthétique imposée par les maîtres. L'évolution de l'art occidental ne pouvait que contribuer à faire prévaloir ce point de vue. Certains philosophes sentaient bien que l'acte créateur avait son origine dans l'enfance. Hegel, par exemple, note dans son Esthétique que l'enfant " veut voir des choses dont il soit lui-même l'auteur, et [que] s'il lance des pierres dans l'eau, c'est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son œuvre, dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même ". Mais on ne soupçonne guère avant la fin du XIXe s. que ce besoin d'expression puisse prendre forme et se développer. Si l'on s'intéresse aux productions d'un enfant, c'est essentiellement dans la mesure où elles ressemblent à celles de l'adulte.

L'Enfant de Bruges

En 1873 mourait dans sa onzième année Frédéric Van de Kerkhove, fils d'un peintre amateur de Bruges, lequel révéla que son enfant était l'auteur d'un grand nombre de tableautins, généralement peints sur de petits panneaux de bois. Cette affaire fit grand bruit. D'aucuns crièrent au prodige, tandis que d'autres ne virent là qu'imposture. Adolphe Siret a relaté ces interminables discussions dans son livre l'Enfant de Bruges (Paris, 1876), qui contient également une biographie et une étude de l'œuvre de Frédéric. Il est difficile de se faire une idée objective de cette œuvre, actuellement dispersée. Il est d'ailleurs probable que beaucoup de tableautins aient été retouchés par le père. Ce qui est important, c'est que, tout en cherchant à soutenir la thèse du génie, Siret fasse mention dans son livre de nombre de détails qui n'ont certainement pas été inventés, puisqu'à cette époque il était pratiquement impossible d'en saisir la véritable portée. De nos jours, au contraire, il est émouvant de constater que le comportement des enfants qui s'expriment par la peinture n'est pas sans rapport avec celui de Frédéric Van de Kerkhove, lequel, plutôt qu'un prodige, fut peut-être un être qu'une sensibilité exacerbée avait poussé à faire tant bien que mal dans le cadre de l'art ce qui, de nos jours, se produit normalement dans d'autres conditions.

Découverte du dessin enfantin

Peu après l'affaire de l'Enfant de Bruges, on commence pourtant à s'intéresser au dessin enfantin et, en 1887, Corrado Ricci publie à Bologne un excellent petit livre, Il Arte del bambino. Dès lors, les recherches vont se poursuivre, particulièrement en Allemagne, en Angleterre et en France, essentiellement dans le cadre de l'étude de la psychologie de l'enfant. On s'aperçoit en effet de plus en plus que le dessin révèle des aspects de l'âme enfantine jusque-là insoupçonnés.

   Certains spécialistes en arrivent à considérer le dessin enfantin comme un véritable moyen d'expression. G. Rouma publie en 1912 le Langage graphique de l'enfant, et, en 1913, dans les Dessins d'un enfant, G. H. Luquet étudie avec autant de rigueur que de sensibilité l'ensemble des dessins de sa fille. Cet énorme travail le conduit à mettre en relief la résistance que l'enfant oppose aux insinuations étrangères et à dégager ainsi les lois essentielles qui régissent sa démarche personnelle. Il présente en 1927 une synthèse magistrale de ses recherches dans son livre, devenu classique, le Dessin enfantin.

Premières applications pédagogiques

Tandis que l'enseignement du dessin s'appuyait de plus en plus sur l'académisme le plus froid, l'intérêt du dessin spontané ne tardait pas à s'imposer aux éducateurs partisans des méthodes nouvelles dans la mesure où il permettait à l'enfant de s'exprimer.

   J.-J. Rousseau avait déjà pressenti qu'il fallait renoncer à imposer aux enfants une vision qui n'était pas la leur. " Je serais un Apelle ", écrit-il dans l'Emile, " que je ne me trouverais qu'un barbouilleur. Je commencerai par tracer un homme comme les laquais les tracent contre les murs ; une barre pour chaque bras, une barre pour chaque jambe, et des doigts plus gros que le bras. " Mais cette manière de faire était tout de même discutable en soi (il n'appartient pas à l'adulte de faire du dessin enfantin), et l'intuition néanmoins géniale dont elle procédait n'avait aucune chance, nous l'avons vu, de trouver un écho favorable dans le milieu du XVIIIe s.

   On sait qu'au contraire, en ce début du XXe s., le problème de la création artistique est remis en cause. Aussi les esprits les plus évolués sont-ils prêts à accepter des formes qu'on se serait autrefois contenté de qualifier de " grossières ". Le droit à l'expression étant reconnu aux enfants, il était indispensable de déborder le strict domaine du dessin et d'envisager un développement, à l'aide de la peinture en particulier. Quelques éducateurs s'y employèrent, et des artistes tels que Lurçat et Dubuffet, séduits par la richesse et l'originalité des travaux des enfants, allèrent même jusqu'à apporter leur appui à cette entreprise. Dès 1912, l'almanach du Blaue Reiter publiait des dessins d'enfants.

Pratique de la peinture d'enfants

Contrairement au dessin et à certaines techniques accessoires, la peinture ne peut être pratiquée par les enfants dans n'importe quelles conditions. Cela d'abord pour des raisons matérielles : un enfant a besoin pour peindre de beaucoup de choses, de beaucoup de place, et la crainte ne doit pas l'entraver de faire une tache sur le mur ou sur la table. Il est en revanche indispensable qu'une très grande rigueur soit constamment maintenue sur le plan matériel. Or, lorsqu'un enfant peint dans une pièce d'appartement, c'est presque toujours le contraire qui se produit : on lui recommande de ne rien salir, mais on ne s'émeut pas de voir les couleurs — souvent de médiocre qualité — mises à sa disposition se transformer de telle sorte qu'il devienne impossible de distinguer le rouge du vert. Libre à un artiste de peindre avec une palette apparemment sale. L'enfant doit, quant à lui, obtenir les nuances qu'il désire sans altérer les couleurs majeures, dont il fait d'ailleurs fréquemment usage. De nombreux autres détails, comme la tenue du pinceau, méritent également une attention très soutenue. L'élan créateur ne devant jamais être brisé pour autant, on conçoit, compte tenu de la rapidité de l'acte enfantin, que la tâche de l'éducateur en ce simple domaine ne se réduise pas à une simple surveillance.

   Celui-ci a pourtant à tenir un rôle encore plus important et plus subtil, sur lequel s'est particulièrement penché Arno Stern, l'un des praticiens les plus lucides en ce domaine : " Ce qui compte ", écrit-il notamment dans Aspects et technique de la peinture d'enfants, " ce n'est pas le “savoir” de l'éducateur, mais son “attitude”, sa faculté de se mettre à la portée de l'enfant ; il crée un climat dans lequel l'enfant prend confiance en lui-même. " Cela ne veut pas dire que, pour faire peindre valablement des enfants, il ne faille pas être averti de ce qu'est l'acte créateur en général et surtout avoir une conscience exacte de la nature très particulière de la démarche enfantine. Mais ces connaissances doivent rester sous-jacentes ; elles permettent avant tout d'être sensible à tout ce qui se passe dans l'atelier et d'avoir immédiatement, le cas échéant, le réflexe qui incitera l'enfant à aller plus avant dans son expression, alors qu'une réflexion maladroite peut tout compromettre. De toute façon, l'éducateur ne doit jamais imposer ni même proposer un thème, ni intervenir, au nom de ses goûts personnels, sur le graphisme ou sur le choix des couleurs.

   Il faut enfin insister sur le fait que les enfants ne peuvent véritablement s'exprimer par la peinture qu'au sein d'un groupe. Il ne s'agit évidemment pas là d'émulation puisque l'une des règles essentielles de cette activité est de ne favoriser en aucune manière, en particulier par des notes ou des récompenses, la suprématie de l'un ou de quelques-uns des membres du groupe. Il faut, d'autre part, considérer la peinture collective comme une forme abâtardie de l'expression picturale des enfants (il suffit de jeter un coup d'œil sur les tableaux d'enfants différents pour comprendre qu'une collaboration sur un même tableau est impensable). Mais il est très important que les enfants, tout en œuvrant chacun pour leur propre compte, se sentent entre eux, participant au même " jeu ", utilisant le même matériel et se partageant la confiance qu'ils font à l'éducateur. Arno Stern a également insisté maintes fois sur ce point : " L'atelier, écrit-il, est un monde. Il est déterminé par une ambiance particulière et il n'est, pour l'enfant qui le découvre, comparable à aucun autre lieu. " Il ne saurait être question ici d'examiner en détail les conditions dans lesquelles se pratique la peinture d'enfants. Il était cependant nécessaire de les évoquer dans leurs grandes lignes, afin de dissiper certains malentendus sur le sens de l'expression picturale des enfants. Il arrive, en effet, que le tableau d'enfant soit envisagé pour lui-même comme une œuvre d'art, son auteur étant alors trop facilement traité de " petit artiste ", tandis que la peinture d'enfants en tant qu'activité organisée, s'effectuant sous la responsabilité d'un adulte, tend souvent à être confondue avec une forme d'enseignement ou à être considérée seulement comme une manière d'occuper des loisirs.