Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
C

cadre (suite)

XIXe siècle

On sait que le XIXe s. s'est souvent contenté d'adopter les modèles du passé. L'emploi de techniques semi-industrielles permet d'abondants décors à bon marché et provoque ainsi la profusion, jusque chez les plus modestes amateurs, de cadres d'une richesse parfois tapageuse, imitant les plus prestigieux ouvrages destinés à l'aristocratie ou à la Cour au XVIIe et au XVIIIe s. Cette surenchère a permis à Nadar, dans sa publication Nadar-Jury au Salon de 1853, la remarque ironique : " N° 688. Ah ! le beau cadre ! Ah ! le beau cadre ! Monsieur Lamothe, pour un beau cadre, voilà un beau cadre. "

   Cependant, la plupart des artistes attachent une grande importance à une juste adaptation du cadre au tableau. Amaury-Duval rapporte, dans l'Atelier d'Ingres, que " Ingres ne voulait pas qu'on s'empressât d'encadrer un tableau avant de l'avoir terminé " et qu'il résumait ainsi sa pensée : " Le cadre, c'est la récompense du peintre. "

   Ainsi, le cadre " troubadour " de Paolo et Francesca (musée d'Angers) est accordé au style et aux couleurs du tableau et ajoute un élément de plus à la recherche de couleur locale chère à Ingres ; celui de la Vierge à l'hostie (Louvre) imite les modèles de la Renaissance italienne, et l'on sait par une inscription au verso du cadre de Jeanne d'Arc (Louvre), décoré de feuillages, que celui-ci a été fait " au modèle " selon le désir de M. Ingres.

   Le même esprit anime les préraphaélites anglais et William Morris, qui imitent les cadres architecturaux de la Renaissance italienne avec pilastres à rinceaux et entablement (par exemple cadre de la Fille du roi, de Burne-Jones, Paris, Orsay). Certains cadres, dessinés par Rossetti lui-même, ont été conservés, comme celui de Beata Beatrix (1872, Chicago, Art Inst.), où s'enchâssent une réplique du portrait de son épouse Élisabeth Siddel et une prédelle sur le thème de Dante rencontrant Béatrice au Paradis.

   Quant aux impressionnistes, ils cherchent des solutions nouvelles, en accord avec la gamme lumineuse de leurs coloris. Monet, Pissarro, Van Gogh souhaitent des cadres blancs ou en bois naturel, Whister utilise pour la plus grande partie de ses œuvres (la Mère de l'artiste, Orsay : nombreux tableaux à Washington, Freer Gal.) une large moulure à la dorure éteinte, au profil arrondi, décorée d'une simple juxtaposition de fines baguettes. Degas, pour sa part, préfère les baguettes plates à fines cannelures, parfois teintées de gris ou de vert clair, assorties à l'œuvre encadrée. Pour éliminer l'ombre du cadre, Seurat prend soin de peintre sur la toile une bordure " théoriquement bleue ", selon l'expression de Fénéon (le Cirque, Orsay), ou d'ajouter un petit cadre intérieur bleu (les Poseuses, id.).

   Autour de 1900, les décorateurs de l'Art nouveau, parmi lesquels il faut citer De Feure, Guimard (cadre de New York, Cooper Union Museum), Carabin, Van de Velde ou F.L. Wright proposent des modèles de cadres, car ils désirent rénover l'ensemble du mobilier, et des créations d'artistes plus obscurs sont reproduites dans les revues spécialisées : The Studio ou Art et décoration. À côté de ces ouvrages raffinés, un artisanat plus modeste tente certains des Nabis, comme Maurice Denis, qui charge son épouse, Marthe Meurier, de décorer et de peindre des cadres simples en harmonie avec ses propres compositions.

Époque contemporaine

Au XXe s., on expérimente des matières nouvelles, toile, cuir, métal, ou de colorations inédites — cadres argentés, décorés parfois de miroirs, des années 1925 —, tandis que les artistes montrent une désaffection de plus en plus générale pour le cadre, ou en font une partie de leur œuvre : Autoportrait de Cuno Amiet (musée de Soleure) avec la perspective de l'atelier peinte sur le cadre, Fenêtres simultanées de Robert Delaunay, peintes sur la toile et le cadre, animaux grossièrement découpés et taillés dans une planche peinte de Brauner contenant, dans le rectangle central évidé, un tableau fantastique, d'une facture minutieuse.

   Alors que transparaît, au cours des siècles, l'intérêt que l'artiste a toujours attaché à l'assortiment de l'œuvre et de son cadre, les générations successives — et cela dès le XVe s. — se sont généralement employées à les dissocier, soit que l'on ait cherché à mettre le tableau au goût du jour grâce à un cadre nouveau, soit qu'il ait changé d'affectation, le cadre n'étant que le lien entre l'œuvre d'art et son emplacement ; il en est ainsi, dans les musées, pour les cadres du XIXe s., au goût du temps où l'œuvre est entrée dans les collections. Ce n'est qu'à une époque récente que, par souci d'authenticité, on a cherché à restituer aux tableaux des cadres de l'époque et du pays où ils ont été peints. Au Louvre, une telle politique de réencadrement a été amorcée à partir de 1935, avec le don par Jules Strauss de 53 cadres anciens destinés aux chefs-d'œuvre, comme la Vierge aux rochers de Léonard de Vinci.

   Complément souvent négligé de l'œuvre d'art, le cadre a finalement le rôle esthétique primordial de limiter l'espace et de préserver l'unité de l'œuvre, ainsi que l'écrivait Poussin à son ami Chantelou le 28 avril 1639 (Lettres de Poussin, Paris, 1929) : " Quand vous aurez reçu la vôtre (la Manne), je vous supplie, si vous le trouvez bon, de l'orner d'un peu de corniche, car il en a besoin, afin que, en le considérant en toutes ses parties, les rayons de l'œil soient retenus et non point épars au-dehors, en recevant les espèces des autres objets voisins qui, venant pêle-mêle avec les choses dépeintes, confondent le jour. Il serait fort à propos que ladite corniche fût dorée d'or mat tout simplement, car il s'unit très doucement avec les couleurs sans les offenser. "

Caffi (Ippolito)

Peintre italien (Belluno 1809  – mort à la bataille navale de Lissa en 1866).

Formé à l'Académie de Venise, sa carrière mouvementée le conduit à séjourner à Paris, Naples, Londres, en Espagne, revenant régulièrement à Rome et à Venise, sans compter un grand voyage en Orient (1843). Il rapporte de partout de nombreux dessins. Il participe activement aux batailles du Risorgimento. Fort renommé, il reçoit des commandes du pape et expose avec succès à Venise, à Milan, à Rome et à Trieste, ainsi qu'à Paris et à Londres. Il est essentiellement un paysagiste précis, dont les œuvres, claires et rigoureusement construites — prétextes parfois à de curieux effets d'éclairage artificiel mais aussi à des délicatesses dignes de Corot —, continuent la tradition du paysage urbain d'un Canaletto (le Pincio le matin, 1846 ; Vue de Turin, 1850 le Boulevard Saint-Denis à Paris, 1855, Venise, G. A. M., Ca'Pesaro). Le musée Correr à Venise conserve aussi une série de ses dessins.