Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Gros (Antoine, baron)

Peintre français (Paris 1771  – Meudon 1835).

Les débuts

Fils d'un miniaturiste, il entra à l'âge de quatorze ans dans l'atelier de David. À partir de 1787, il suivit également les cours de l'Académie de peinture. Il semble que cet élève de David avait peu d'inclination pour les sujets tirés de la Rome républicaine. L'intérêt qu'il porta très tôt à Rubens fait comprendre son hésitation à adopter le style néo-classique. Le tableau Antiochus et Éléazar (musée de Saint-Lô), avec lequel il concourut en 1792, sans succès, pour le prix de Rome, est étrangement baroque pour l'époque et d'une certaine violence dans l'attitude des personnages, qui demeurera une caractéristique du peintre. Craignant d'être dénoncé pour ses opinions modérées, Gros quitta le Paris révolutionnaire au début de 1793. Il séjourna huit ans en Italie, d'abord à Gênes, plus tard à Milan. Un séjour à Florence ne fut que de courte durée, mais, semble-t-il, particulièrement enrichissant. Les albums d'esquisses subsistants témoignent d'un intérêt assez général : on y trouve, à côté de copies d'après l'antique, des esquisses d'après Masaccio, Andrea del Sarto, Pontormo, Rubens, des sujets de vases antiques édités par J. W. Tischbein ainsi que des dessins d'après Flaxman. Gros choisit pour ses compositions originales des sujets comme Malvina pleurant Oscar, tiré d'Ossian, ou Young pleurant sa fille, thèmes qui illustrent le courant préromantique. Néanmoins, il n'acheva comme tableaux qu'un grand nombre de portraits représentant surtout des membres de la société génoise, tel celui de Madame Pasteur (Louvre), femme d'un banquier français à Gênes. À la fin de 1796, Joséphine, séjournant dans cette ville, emmena le portraitiste, déjà renommé, à Milan. C'est là que Gros peignit le célèbre Bonaparte au pont d'Arcole (Versailles, esquisse au Louvre). Nommé adjoint de la commission chargée de choisir les œuvres d'art à envoyer en France, il parcourut l'Italie et vit enfin Rome au printemps de 1797. Après la dissolution de la commission, il reçut un titre dans l'armée et dut fuir avec celle-ci en 1799 devant les Autrichiens victorieux. En février 1801, il était de nouveau à Paris.

Le Consulat et l'Empire

Un des premiers tableaux qu'il a peints après son retour est le portrait posthume de la jeune femme de Lucien Bonaparte, Christine Boyer (Louvre). La finesse du visage, empreint d'une expression méditative, et l'élégance dépouillée sont des caractéristiques qui le classent encore parmi les effigies du début. En 1801, Gros exposa au Salon Sapho à Leucate (musée de Bayeux, tableau commencé en Italie, dont le thème du suicide et le paysage, nocturne et lugubre, caractérisent le penchant romantique de l'artiste jeune. Mais son apport essentiel concerne une expression romantique différente. À la même date furent également exposées au Louvre les esquisses pour la Bataille de Nazareth, dont celle de Gros (musée de Nantes). La décision du jury en sa faveur provoqua un scandale. Son coloris vif fut considéré comme un retour au " genre gracieux " du XVIIIe s. et non comme un élément novateur. C'est avec les Pestiférés de Jaffa (Louvre), exposés au Salon de 1804, que Gros devint célèbre parmi ses contemporains, qui le considéraient comme le plus grand coloriste de l'école française. Au Salon de 1806 fut présentée la Bataille d'Aboukir, commandée par Murat (Versailles). Gros, qui ne s'intéressait pas particulièrement à la vie militaire, n'était pas un peintre de bataille proprement dit. Conscient de son rang de " peintre d'histoire ", il n'aurait pas pu être l'imitateur de peintres comme Courtois et Parrocel et de leur genre anecdotique. Il continua dans sa Bataille d'Aboukir — mesurant près de 10 mètres de long — la tradition des grands tableaux héroïques, telles les Batailles d'Alexandre de Le Brun. Partant d'une composition en frise où prédomine la figure monumentale, il n'hésita pas à créer un déséquilibre et à suggérer un mouvement unique à cette époque. En 1807, il remporta le concours pour la Bataille d'Eylau (Louvre), exposée au Salon de 1808. Napoléon est représenté sous un jour humanitaire, parcourant le champ de bataille après le combat. Le visage pâle de l'Empereur enthousiasma toute la génération romantique. Le réalisme des morts et des blessés au premier plan, qui a fait reculer les visiteurs du Salon, n'est pas, dans l'esprit de Gros, une accusation contre la guerre, mais la recherche romantique d'une expression forte.

   En 1802-1803, le peintre avait été chargé d'exécuter une série de portraits officiels du Premier Consul (l'exemplaire le plus connu est à Paris, au musée de la Légion d'honneur). À partir de 1806, il collabora également à des séries de portraits des dignitaires de l'Empire, tel Duroc (Versailles). Parmi les commandes de particuliers, il faut citer les portraits des généraux Lasalle (Paris, musée de l'Armée) et Fournier-Sarlovèze (Louvre), et du Fils du général Legrand (1810, Los Angeles, County Museum of Art). Il a également laissé une série de portraits équestres importants, comme celui de Murat (Louvre), exposé au Salon de 1812.

Le romantisme de Gros

Gros se distingue des artistes plus jeunes comme Géricault et Delacroix. Il exécutait presque uniquement des commandes et n'était pas incité au travail par le désir de réaliser et de perfectionner ce qu'il trouvait en lui-même. Il ne ressentait pas non plus la nécessité d'un état d'inspiration fiévreuse et désordonnée et pouvait peindre, à l'étonnement de Delacroix, selon un horaire régulier. Mais ses dessins et ses peintures, par l'énergie du trait, la couleur, le mouvement (Alexandre domptant Bucéphale, Paris, coll. part.), révèlent bien un tempérament romantique, dont la " fougue " était déjà critiquée par les contemporains de la Bataille d'Aboukir.

   L'orientalisme romantique commence avec Gros. Même si, en dehors des commandes, celui-ci ne peignit pas de sujets orientaux, l'Orient l'intéressait. Il existe un certain nombre de dessins à la plume, très originaux, se rattachant surtout à la Bataille de Nazareth. Un personnage comme celui du pacha de la Bataille d'Aboukir, qui semble personnifier la fureur la plus primitive, est romantique bien au-delà de l'exotisme de ses vêtements.

   Dans la lutte qui opposait dans les années 20 les " romantiques " aux " classiques ", le terme de romantique, vague dans son interprétation, désignait au moins tout ce qui s'éloignait des " Grecs " et des " Romains " pour retrouver plus de vérité. Gros s'était placé dès la Bataille de Nazareth en dehors de la tradition classique de l'école. Bien que la politique artistique de Napoléon favorisât particulièrement les sujets contemporains, Gros est le seul parmi les peintres employés à en avoir fait son domaine propre. Ce qu'il y a de plus novateur ou de romantique dans Gros, c'est la représentation véridique de soldats morts, de pestiférés, de combattants. Le Romantisme victorieux rendit hommage à Gros. Dans un texte de 1831, Gustave Planche, partisan des romantiques, cite ensemble pour la première fois Gros, Géricault et Delacroix.

La dernière manière

À une époque où la politique artistique des Bourbons triomphait avec des sujets religieux ou tirés du passé monarchique, les tableaux de sujets contemporains que Gros exposait aux Salons de 1817 et de 1819 (Louis XVIII quittant le palais des Tuileries, Versailles ; l'Embarquement de la duchesse d'Angoulême à Pauillac, musée de Bordeaux) n'avaient plus le degré d'actualité des tableaux napoléoniens. C'est aussi le moment où se ranime l'Académisme, et, sous l'influence de David, exilé, qui lui avait confié ses élèves, Gros revient vers un style classicisant. Il était désormais trop âgé pour accepter l'individualisme romantique, qui aurait justifié ses célèbres tableaux de l'Empire. Il devint ainsi le défenseur de la doctrine pure, condamnant ceux qui ne voulaient pas se plier aux principes de l'école. Pourtant, il n'eut pas de véritable talent pour la figure idéale ; d'autre part, sa puissance d'invention diminua considérablement au cours des années. Au Salon de 1822, il exposa Saul et Bacchus et Ariane. En 1824, il acheva de peindre la coupole du Panthéon, qui lui avait été commandée dès 1811 et pour la décoration de laquelle il fut fait baron par Charles X.

   La renommée sociale de l'artiste était alors à son apogée, tandis que sa veine créatrice s'épuisait. Il était professeur à l'E. N. B. A., membre de l'Institut et membre honoraire de plusieurs académies étrangères. Cette reconnaissance officielle n'empêcha point le suicide de l'artiste, qui se noya dans la Seine le 26 juin 1835. L'illusion que Gros entretint longtemps d'être le seul " juste " au milieu de la décadence des mœurs artistiques s'était écroulée, et ce fut avec douleur qu'il comprit l'anachronisme de son art et la justesse de la critique attaquant violemment son Hercule et Diomède (musée de Toulouse), exposé au Salon de 1835.