Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Monet (Claude)

Peintre français (Paris 1840– Giverny 1926).

Les débuts

Il entre au collège de La Mailleraye au Havre et, très jeune, atteint une certaine réputation en faisant des caricatures de personnages ; plusieurs d'entre elles se trouvent actuellement à Chicago (Art Inst.). Vers 1858, Monet rencontre Boudin, dont les œuvres ne l'enthousiasment guère d'abord ; mais celui-ci l'encourage et lui apprend à peindre d'après nature, en plein air. Plus tard, Monet dira : " J'avais compris, j'avais saisi ce que pouvait être la peinture par le seul exemple de cet artiste épris de son art et d'indépendance ; ma destinée de peintre s'était ouverte. " Reconnaissant ses dispositions pour la peinture, son père demanda à la municipalité du Havre (6 août 1858) de lui accorder le titre de pensionnaire des beaux-arts de la ville afin de lui permettre de se rendre à Paris. La nature morte qui accompagnait cette demande fut refusée. Sans attendre la réponse, Monet était parti pour Paris en mai 1859, afin de voir l'exposition au palais de l'Industrie, qui devait fermer en juin. Il rend visite à Amand Gautier, ami de sa tante Lecadre, et à Troyon, qui l'encouragent. Au Salon, il admire les Daubigny, les Corot, les Rousseau, et Monginot (peintre de natures mortes et d'animaux) ; ce dernier met son atelier à sa disposition. Cependant, Monet n'entre pas à l'École des beaux-arts comme le voudrait son père, qui lui coupe alors les vivres ; il fréquente l'Académie Suisse, où il rencontre sans doute Pissarro, qui travaille alors dans le goût de Corot.

   En 1861, son père ayant refusé de payer la somme nécessaire pour l'exonérer du service militaire, Claude doit partir en Algérie dans les chasseurs d'Afrique, où il reste deux ans, au terme desquels il est rapatrié. Il garda pourtant un bon souvenir de cette période.

   " Je ne me rendis pas compte d'abord, les impressions de lumière et de couleur que je reçus là-bas ne devaient que plus tard se classer ; mais le germe de mes recherches futures y était. " En acceptant que son fils se consacre à la peinture, Adolphe Monet mettait comme condition qu'il entrât dans l'atelier d'un peintre en renom. Après un court séjour au Havre, où il travaille avec Boudin et Jongkind (qui a sur lui une influence profonde : " C'est à lui que je dois l'éducation définitive de mon œil ", dira-t-il), Claude entre en 1862 chez Gleyre, peintre suisse établi à Paris, où il est introduit par son parent Toulmouche.

Élaboration de l'Impressionnisme

Il rencontre là Bazille, Lepic, Renoir, Sisley, qu'il retrouvera à la brasserie des Martyrs, où s'élaboreront les fondements de leur association. À Pâques de 1863, Monet et Bazille passent leurs vacances à Chailly, petit village proche de Barbizon, à la lisière de la forêt de Fontainebleau. Ils y peignent dans la tradition de Daubigny, de Diaz et de Millet. C'est aussi l'année où, à Paris, Monet découvre Manet, lors de l'exposition de 14 de ses toiles chez Martinet, boulevard des Italiens, et, avec Renoir, il a la révélation des maîtres anciens au Louvre. Sur sa carte d'élève, il désigne Amand Gautier comme son maître.

   En 1864, Monet emmène Bazille à Honfleur ; ils travaillent avec Jongkind et Boudin et se retrouvent à la ferme Saint-Siméon. Monet, qui envoie un tableau de fleurs à l'exposition de Rouen, passe l'été dans la propriété de ses parents à Sainte-Adresse et, à la fin de cette année 1864, il regagne Paris.

   En janvier 1865, il rejoint Bazille dans son atelier de la rue de Furstenberg, où il reverra Pissarro en compagnie de Cézanne. En avril, il retourne à Chailly dans le dessein d'entreprendre une grande toile, un Déjeuner sur l'herbe " dans l'esprit de celui de Manet, mais peint dans la nature ". Bazille, sur sa demande, le rejoint et pose pour lui. Monet se blessa malencontreusement à la jambe, accident que Bazille fixe sur la toile (Paris, musée d'Orsay). Entre-temps, il allait à Marlotte en compagnie de Pissarro. Il y retrouvait Renoir, Sisley et Courbet à l'auberge de la mère Anthony. À Chailly, il poursuit ses études pour son grand tableau. Courbet lui venait financièrement en aide et lui donnait des conseils, ce qui l'importunait parfois. Sa toile, modifiée sur les conseils du maître, ne lui plaisant plus, il renonça à la présenter au Salon et la laissa roulée dans son atelier. Elle fut par la suite remise sur châssis (la partie principale et celle de gauche sont au musée d'Orsay, Paris, l'esquisse au musée Pouchkine de Moscou).

   Monet peignit plusieurs vues de la forêt de Fontainebleau et un portrait de Camille Doncieux, qu'il devait épouser quatre ans plus tard (Camille ou la Robe verte, Brême, Kunsthalle). Ces tableaux reçurent les éloges de la critique au Salon de 1866.

   Au Salon de 1865, il exposa 2 marines (l'Estuaire de la Seine, la Pointe de la Hève à marée basse), tableaux qui furent attribués par certains critiques à Manet.

   Libéré de la tutelle de Courbet, il peint en plein air dans une gamme lumineuse sur des fonds clairs une grande toile où il représente dans son jardin de Ville-d'Avray plusieurs jeunes femmes, dont le modèle unique sera Camille (Femmes au jardin, Paris, musée d'Orsay). Durant son séjour parisien, il travaille dans l'atelier de Bazille, aux Batignolles, où se trouvaient Renoir et Sisley. Mais il quitte à l'automne de 1866 Ville-d'Avray, où il s'était installé afin d'échapper à ses créanciers. Il lacère des toiles qu'il ne pouvait emporter (elles furent malgré tout saisies et vendues par lots). Du Havre, où il avait rejoint sa famille, il supplia Bazille de lui envoyer une série de tableaux qu'il avait laissés à Paris, afin de se servir des toiles pour y peindre d'autres compositions. Bazille lui vint en aide en lui achetant sa grande toile des Femmes au jardin pour 2 500 F, payables en versements mensuels de 50 F. En 1870, le père de Bazille échangea le tableau contre le portrait de son fils peint par Renoir, en possession de Manet. Redonné par ce dernier à Monet, il fut acquis par l'État en 1921. Décidant de faire des " études de ville ", il peint en 1867, d'une fenêtre du palais du Louvre, une Vue de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois (Berlin, musées), le Quai du Louvre (La Haye, Gemeentemuseum) et le Jardin de l'Infante avec le Panthéon dans le fond (Oberlin, Allen Memorial Art Museum).

   En juin 1867, Monet est à Sainte-Adresse. Il écrit à Bazille qu'il a une vingtaine de toiles en train : " Des marines, des figures, des jardins, et enfin, parmi mes marines, je fais les régates du Havre avec beaucoup de personnages sur la plage " (Terrasse à Sainte-Adresse, Metropolitan Museum). Monet dut interrompre son travail en plein air par suite de troubles de la vue. Il revint à Paris, où son fils Jean venait de naître, et apprit que les Femmes au jardin étaient refusées au Salon.

   En 1868, grâce à Boudin, il participe avec Courbet et Manet à une exposition maritime internationale au Havre. Après la clôture de l'exposition, ses créanciers saisissent ses toiles, qui, selon Boudin, furent achetées pour Gaudibert, armateur du Havre, 85 F chacune.

   Daubigny intervint auprès du jury du Salon de 1868 pour faire accepter une grande toile de Monet, Navires sortant des jetées au Havre. Avec Camille et son fils Jean, il part pour Fécamp. Monet a recours à Gaudibert, qui lui commande le portrait de sa femme (Paris, musée d'Orsay) et lui fait une petite pension lui donnant la possibilité de travailler : Portrait de son fils, Intérieurs, Natures mortes, le Déjeuner (Francfort, Städel. Inst.). Au début de 1869, Monet revient à Paris et se joint aux artistes qui fréquentent le café Guerbois. Il part ensuite travailler à Bougival, où il retrouve Renoir à la Grenouillère (restaurant Fournaise), et tous deux interprètent les mêmes sujets : la Grenouillère (Monet, Metropolitan Museum ; Renoir, Winterthur, coll. Oskar Reinhart, et Stockholm, Nm).

   En octobre 1869, Monet part pour Étretat et, en novembre, il vient s'installer à Saint-Michel, près de Bougival, avec Camille et son fils. Il se voit refuser sa toile au Salon de 1870, ce qui décide Daubigny à se retirer du jury. Lors de la déclaration de guerre, il est à Trouville (la Plage à Trouville, Londres, Tate Gal. ; Metropolitan Museum ; Paris, musée Marmottan ; l'Hôtel des roches noires, Paris, musée d'Orsay). Il se réfugie alors au Havre avec sa femme et son fils, avant de gagner Londres en septembre 1870, où il retrouve Pissarro et Daubigny. Ce dernier le présente à Durand-Ruel, qui lui achète plusieurs toiles. À son tour, il devait présenter Sisley au grand marchand. À Londres, Monet découvre Turner et les paysagistes anglais (Hyde Park, musée de Providence, Rhode Island), mais les toiles qu'il présente à la Royal Academy sont refusées. Sans doute sur les conseils de Daubigny, il rentre en France par la Hollande, où il peint plusieurs paysages de Zaandam (Paris, musée d'Orsay). Il passe par Anvers et, à la fin de l'année, réside à Argenteuil. À l'exemple de Daubigny, Monet installera son atelier dans une barque et sillonnera la Seine jusqu'à Rouen, pour capter les fluctuations diverses et subtiles de l'atmosphère (Chasse-marée à l'ancre, Paris, musée d'Orsay).

   La période d'Argenteuil sera le moment culminant de l'Impressionnisme, et tous les jeunes artistes viendront y peindre : Manet, Renoir, Sisley, Caillebotte. Ils confrontent leurs idées, leurs recherches. Ils décident de s'unir et d'exposer leurs toiles chez Nadar en 1874. Une peinture de Monet de 1872, Impression, soleil levant (Paris, musée Marmottan), suscitera les commentaires ironiques du critique Leroy, qui, par dérision, créera le terme " impressionniste ". Parmi les vues d'Argenteuil citons le Pont, les Régates, Voiliers, le Déjeuner (Paris, musée d'Orsay), l'Été (Berlin, musées).

   Le 24 mars 1875, Durand-Ruel organise à l'hôtel Drouot une vente (il y avait 73 œuvres, dont 20 de Monet) qui fut un échec. La situation financière de l'artiste étant de plus en plus critique, il fit appel à ses amis, Manet, Caillebotte, de Bellio et Zola.

   Au cours de l'exposition chez Durand-Ruel en 1876, Monet présente 18 toiles, dont Madame Monet en costume japonais (Boston, M. F. A.). La même année, il ira à Montgeron, chez Ernest Hoschedé, pour lequel l'artiste exécuta quatre grands panneaux décoratifs (dont les Dindons, Paris, musée d'Orsay). De retour à Paris, il est séduit par l'architecture de la gare Saint-Lazare et exécute plusieurs études de cette grande ossature de fer vue à travers la fumée. Pour la première fois, il répète un même sujet en diversifiant les aspects selon la lumière. À l'exposition de 1877 chez Durand-Ruel, il présente 30 toiles, dont 7 vues de la Gare Saint-Lazare (Paris, musée d'Orsay ; Paris, musée Marmottan ; Chicago, Art Inst. ; Cambridge, Mass., Fogg Art Museum). En mars 1878, Camille met au monde un second fils, Michel. Ernest Hoschedé, en faillite, est obligé de vendre sa collection d'impressionnistes à l'hôtel Drouot (les 5 et 6 juin). Les toiles de Monet font des prix dérisoires. Il peint alors des vues de la capitale : la Rue Saint-Denis (musée de Rouen) et Rue Montorgueil (Paris, musée d'Orsay).