Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
R

restauration (suite)

II. La peinture

La peinture qui recouvre le support est constituée par la préparation (encollage, puis enduit) et la pellicule picturale elle-même.

L'enduit

Les maladies principales de l'enduit sont le soulèvement localisé, le soulévement généralisé et la pulvérulence. Lorsque le soulèvement localisé, dû surtout à l'humidité ou à des changements hygrométriques, est limité, il est possible de le conjurer par des refixages. Les 3 procédés classique sont les injections de colle de peau, l'imprégnation localisée d'un mélange cire-résine chaude, l'imprégnation d'adhésifs synthétiques.

   Les remèdes au soulèvement généralisé et à la pulvérulence peuvent être, suivant les cas : le refixage suivi d'un rentoilage ; la transposition qu'on s'efforce de ne plus pratiquer ; la demi-transposition, qui est un rentoilage avec usure de la toile, afin de bien faire pénétrer un adhésif par le revers pour obtenir un refixage efficace ; l'imprégnation de cire-résine, qui conserve le support original mais introduit des éléments hétérogènes à l'œuvre. Les produits et les méthodes varient suivant les ateliers (fer chaud, table chauffante, enveloppe souple sous vide d'air...).

La pellicule picturale

Les maladies de la pellicule picturale sont le plus souvent liées à celles de la " préparation " du support : soulèvements localisés avec cloques ou chutes d'écailles, soulévement généralisé et lacunes ou manques.

   Une maladie grave, propre à cette pellicule picturale, est le dédoublement entre elles de deux couches colorées superposées (clivage). Un remède efficace est l'imprégnation généralisée avec un mélange de cire et de résine.

   Ces interventions sont suivies de la restauration esthétique, qui consiste à reconstituer les parties détruites par deux types d'opérations successives : le masticage, destiné à combler les manques, qui est exécuté à base de colle animale, de cire ou d'adhésif synthétique ; la retouche, qui doit redonner sa continuité chromatique à l'œuvre.

   La conception esthétique de la retouche a peu varié jusqu'à la dernière guerre mondiale ; le restaurateur s'efforçait de rendre celle-ci invisible, de la raccorder parfaitement avec les parties originales. Et, pour ce faire, il débordait largement l'accident en recouvrant des zones de peinture originale. Sa restauration devait être " illusionniste ".

   On peut résumer les positions actuelles, qui ont fait l'objet de discussions esthétiques, critiques, historiques, en disant que, d'une façon générale, un respect beaucoup plus grand est porté à l'œuvre.

   Certains refusent toute retouche, au nom de l'authenticité du document historique, qui doit être conservé tel que le temps l'a transmis, en prenant simplement des mesures de conservation.

   D'autres préfèrent (c'est une tendance qui s'est développée de plus en plus pour les peintures antérieures à la Renaissance) soit la simple pose d'un ton neutre sur les lacunes, soit la retouche discernable de près, mais non visible de loin, au nom de la reconstitution de l'" unité potentielle " de l'œuvre selon la formule de Cesare Brandi. C'est du reste en Italie qu'a été élaborée la méthode dite du " tratteggio ", qui est en réalité l'adaptation à la retouche de la technique même des primitifs et qui consiste en traits parallèles verticaux de tons purs juxtaposés, posés sur un mastic blanc ; la réintégration colorée se fait par synthèse optique. D'autres, enfin, toujours partisans de la restauration " illusionniste ", ou " imitative ", la limitent strictement à la surface de l'accident au nom de la reconstitution de l'" unité réelle " de l'œuvre. La retouche devient alors du repiquage au petit point ou une pose de glacis lorsqu'il s'agit de restaurer une zone " épidermée ". Il n'est pas possible d'établir une règle absolue en restauration ; tout est cas d'espèce. Si, sur certains primitifs, la présence de lacunes non restaurées ne trouble pas le plaisir esthétique que l'œuvre procure, elle n'est pas tolérable sur des œuvres des XVIIe et XVIIIe s. La lisibilité soit de l'œuvre, soit de la retouche est une règle moderne.

   Le choix des matériaux utilisés pour les retouches a lui aussi beaucoup évolué avec le temps. La recherche de la stabilité est une exigence moderne. Citons, à titre d'exemple, les produits le plus fréquemment utilisés : la tempera, émulsion soit d'œuf entier, soit de blanc, soit de jaune ; l'aquarelle avec glacis final au vernis ; la gouache, les couleurs en poudre mêlées à une résine synthétique ; les couleurs vyniliques et acryliques... Les retouches faites dans le passé avec des liants huileux qui jaunissent ont dû être renouvelés.

   Les produits synthétiques sont maintenant de plus en plus répandus, mais on doit les manier avec prudence, car seul le recul du temps permet de porter un jugement exact sur leurs qualités ou leurs défauts.

   Ce choix des matériaux est un grave problème, qui préoccupe tout atelier de restauration, sans qu'une solution idéale ait été trouvée.

   En dehors des soins donnés à ces différentes maladies de la pellicule picturale, il est d'autres interventions dont elle peut avoir besoin. En effet, il faut bien souvent supprimer ce que les restaurateurs antérieurs ont pu ajouter au cours du temps. C'est-à-dire qu'il faut enlever les " repeints ", dits aussi " surpeints ", lorsqu'ils se sont altérés ou lorsqu'ils ont débordé sur la peinture originale ; ce qui suppose une intervention préalable sur le vernis, dont nous parlerons plus loin.

   Il y a aussi les usures ponctuelles, qu'il faut restaurer par " repiquage ".

   Les craquelures dites " d'âge " ne peuvent pas être considérées comme une détérioration, mais sont le phénomène normal d'évolution d'une peinture avec le temps. Elles sont la marque de celui-ci. Elles intéressent à la fois le support, la préparation et la pellicule picturale.

   À côté de ces craquelures normales, il en existe toute une série d'autres : craquelures " prématurées ", gerçures, faïençage, qui intéressent avant la pellicule picturale et le vernis. Elles sont dues en général à la technique propre du peintre, qui n'a pas toujours respecté les règles essentielles du métier.

   La doctrine d'un restaurateur contemporain digne de ce nom doit être d'enlever le plus possible des apports du temps qui dénaturent une œuvre et d'en ajouter lui-même le moins possible. Pour ce faire, il doit utiliser des matériaux stables et réversibles.

III. Le vernis

Le vernis final, qui a un double rôle (rendre aux couleurs leur vigueur véritable et protéger la peinture des impuretés de l'air), peut lui aussi souffrir de maladies dues au temps ou aux hommes.

   Ainsi le vernis peut être chanci : le tableau semble se couvrir d'une couche opaque blanchâtre qui l'altère ; l'humidité est le plus souvent la raison de ce phénomène ; une régénération permet de redissoudre la résine du vernis devenu solide et ainsi de rendre la transparence perdue.

   Le vernis peut être bleuté : la surface du tableau bleuit par suite d'un brusque écart des conditions climatiques ; un simple frottement avec un tissu moelleux suffit à faire disparaître ce bleuissement.

   Le vernis peut être pulvérulent ou fariné : il se réduit en poudre, c'est le résultat de sa désagrégation complète. Sa suppression est le seul remède.

   Il peut être jauni : le jaunissement du vernis est une évolution normale due au processus de séchage de l'huile siccative, mais qui peut être accentée par l'adjonction de produits divers (bitume, stil de grain ou de couleurs transparentes à l'huile) et par les couches superposées dues à des revernissages fréquents, qui ont donné aux tableaux ce " ton musée " très en vogue au XIXe s. Il permet aussi de dissimuler les restaurations sous-jacentes, mais il dénature les œuvres en transformant les valeurs recherchées par le peintre. Les vernis doivent être amincis ou supprimés. Deux doctrines existent au sujet de cette intervention sur le vernis, dont les partisans se sont affrontés avec vigueur surtout autour des années 1950 ; ce qui a été appelé " la querelle des vernis ".

   Le dévernissage est une méthode dont le principe de base repose sur le fait que le tableau peut être retrouvé tel qu'il est sorti des mains du peintre, ce qui est illusoire étant donné que rien ne peut nous faire connaître cet état avec certitude et que le temps opère de façon inéluctable.

   Les dangers du dévernissage intégral, opération irréversible, sont grands. Le tableau arrive à la restauration recouvert de cette " patine " qui a fait l'objet de bien des controverses et dont la définition a varié au cours du temps. On peut essayer de résumer celle-ci par cette formule de Cesare Brandi : " La patine est le passage du temps sur la peinture. "

   La patine harmonise une œuvre d'art dont les composantes colorées ont évolué de façon différente et parfois discordante. C'est ainsi que les bruns foncent avec le temps, alors que les tons clairs chargés en blanc s'altèrent beaucoup moins. La patine redonne une unité à l'œuvre ; or, l'importance du vernis dans la patine est considérable. Un dévernissage total entraîne la suppression de cette dernière ; il peut aussi faire disparaître sur certains tableaux le glacis final posé par le peintre là où il a voulu faire vibrer un dessous. L'interpénétration est parfois si grande entre le glacis fragile (fait de couleurs légères, très riches en liant) et le vernis que le dévernissage risque de faire disparaître cet élément indispensable voulu par l'artiste et de mettre brutalement à nu la couche picturale. Parfois, même, certains peintres ont repris leur tableau sur le vernis. Il y a enfin le danger technique de mettre le solvant en contact avec la couche picturale, dont le liant risquerait de s'appauvrir phénomène dit de " lixiviation ".

   L'allègement du vernis est une autre méthode, qui a pour but d'amincir les couches de vernis posées au cours des âges sur un tableau sans atteindre la pellicule picturale.

   Le restaurateur peut réaliser cette opération par étapes successives, suivant l'épaisseur et la qualité du vernis ; c'est cette méthode que s'efforcent de pratiquer les ateliers des Musées de France.

   Cette opération prudente a le grand mérite de pouvoir un jour être poursuivie, si on la juge insuffisante, sans dommage pour la couche picturale ; mais elle est nettement plus difficile à exécuter qu'un dévernissage total.

   Si le tableau a des repeints peu nombreux, dissimulés sous le vernis, les dévernissages localisés permettront de les atteindre, puis une harmonisation sera obtenue en véhiculant du vernis des zones voisines sur ces ouvertures. Il demeure évident que, si la couche picturale est entièrement couverte de restaurations sous le vernis, l'allègement n'est pas suffisant, et seul le dévernissage permettra de les atteindre.

   En conclusion, la phrase suivante de P. Philippot résume bien l'alternative : " La mise à nu radicale de la couche picturale originale souligne presque toujours la matérialité au détriment de l'image et, en conférant un aspect neuf à un objet ancien, elle crée au sein de celui-ci un désaccord qui est une sorte de falsification ; elle accentue la matière au détriment de la forme et dénonce vis-à-vis de l'œuvre d'art la prédominance de l'intérêt hygiénique pour l'objet sur l'intérêt esthétique de l'image. "

   Des produits nombreux ont été utilisés au cours des âges pour ce " nettoyage des peintures ". Des recettes remontant au XVIIe s. sont connues par de nombreux manuels.

   Les restaurateurs disposent actuellement d'un très grand nombre de produits, dont l'efficacité est plus précise et le danger moindre pour les œuvres. De plus, des moyens d'investigation précieux sont à la disposition du restaurateur pour la connaissance physique de l'œuvre : loupes, microscopes binoculaires, lampes à éclairage tangentiel...

   À ces moyens d'approche directe s'ajoutent la documentation scientifique (laboratoires), qui est une aide importante, ainsi que la documentation historique, lorsqu'on a la chance de la découvrir dans les archives. Mais l'essentiel demeure la qualité du restaurateur, sa connaissance de la peinture, son tact, sa prudence et aussi son sens moral en face de l'œuvre d'art.

   " Empirique pendant des siècles, renouvelé au point qu'il ne reste rien des méthodes anciennes, l'art de la restauration des peintures, mal connu du public et des peintres eux-mêmes, excite cependant la curiosité de tous, voire les passions les plus contradictoires. " (Goulinat.) Cette phrase, écrite il y a plus de quarante ans, est toujours actuelle.