Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
A

Amiet (Cuno)

Peintre suisse (Soleure  1868  – Oschwand  1961).

Considéré comme l'un des pionniers de la peinture suisse du XXe s., qu'il a renouvelée par son emploi de la couleur pure, Amiet travaille dès 1884 avec Frank Buchser à Feldbrunnen, dans le canton de Soleure. Il se rend ensuite à Munich, où il se lie avec G. Giacometti, et étudie enfin à Paris (Académie Julian : 1889-1892). Une année passée à Pont-Aven, où O'Connor lui transmet les leçons de Gauguin, a sur sa formation une influence décisive : il rencontre É. Bernard, Sérusier, Renoir, découvre Van Gogh et Cézanne (Pont-Aven, 1892, musée de Berne). De retour en Suisse, il subit l'influence de Hodler sans pour autant abandonner la couleur. Sa peinture est alors tributaire du Jugendstil (Richesse du soir, 1899, musée de Soleure), en même temps qu'apparaissent des toiles pointillistes (Paysage de printemps, 1905, id.). Invité en 1906-1907 à participer à Die Brücke, il modifie sa manière : sa touche s'empâte et sa couleur devient expressionniste (Autoportrait II, 1907, coll. priv. Laufer). À partir de 1918, des œuvres composées avec une pâte épaisse et des couleurs violentes laissent progressivement la place à une touche plus légère et à une surface plus dépouillée (l'Artiste au jardin, 1938, Berne, Kunstmuseum). Dès lors, si son rôle comme novateur est terminé, son art ne cesse d'évoluer (période parisienne, d'un impressionnisme tardif 1932-1939 : Boulevard Brune, 1939, musée de Genève). Dans une dernière période, vers 1950, Amiet revient à des arabesques décoratives et des touches morcelées dans des œuvres pleines de lyrisme (Paradis, 1958, coll priv.). Sa production, dominée par le thème du " jardin " et celui de la " récolte ", comporte de nombreux portraits et quelques compositions murales (la Fontaine de jouvence, Zurich, Kunsthaus ; asile d'Ittingen). Amiet est représenté dans les musées de Bâle, de Berne, de Soleure et de Zurich. Les œuvres de la période de Pont-Aven ont fait l'objet d'une rétrospective dans cette ville (1982) et celles de la période postérieure à 1918, d'une exposition au musée de Thoune (1968).

Amigoni (Iacopo)

Peintre italien (Naples 1682  – Madrid 1752).

Célèbre de son temps (l'abondance des gravures en est une preuve), puis oublié, il apparaît aujourd'hui comme une personnalité artistique importante du XVIIIe s. européen. Sans être vénitien, il contribua néanmoins activement, aux côtés de Ricci et de Pellegrini, à l'élaboration du style rococo à Venise, faisant le lien entre le Baroque italien et le Rococo français. Mentionné à Venise dès 1711, formé sur les exemples conjugués des Napolitains (Solimena, Giordano) et des Vénitiens (Balestra), il créa ses premiers chefs-d'œuvre en Bavière au service de l'Électeur, de 1719 à 1728, décorant le palais de Nymphenburg, l'abbaye d'Ottobeuren (1719), le château de Schleissheim (1723-1727 : suite de plafonds représentant des scènes tirées de l'Iliade et de l'Énéide), et peignant des tableaux d'autel (dont trois pour la Frauenkirche de Munich). Après un nouveau voyage en Italie, il se rendit à Londres en 1729 et, à l'exception d'un passage à Paris en 1736, il demeura jusqu'en 1739 à la cour de George II, où il fut recherché pour ses décorations (dont il ne reste plus que celle de Poor Park), pour ses tableaux mythologiques (Vénus et l'Amour, Bologne, coll. Molinari Pradelli) et pour ses portraits (Farinelli, Stuttgart, Staatsgalerie). De retour à Venise, il exécuta de 1739 à 1747 divers tableaux religieux ou décorations mythologiques : Madone du rosaire (église de Prata di Pordenone), Jugement de Pâris (plafond à fresque de la villa Pisani à Strà), puis il passa la fin de sa vie en Espagne, à la cour du roi Ferdinand VI, décorant les résidences du Buen Retiro et d'Aranjuez. Il fut nommé directeur de l'Académie royale de San Fernando.

   Parti de la peinture contrastée des Napolitains, il ne trouva vraiment son style personnel qu'en Bavière, apparaissant dès lors, par son emploi de tons pastel et par la luminosité de sa pâte, comme l'un des premiers représentants du Rococo en Europe. Grand voyageur, Amigoni, en partie à l'origine du Rococo bavarois (Holzer, J. B. Zimmermann, Winck), annonçait dans ses dernières œuvres, et parallèlement à Mengs, le style néo-classique. L'Accad. de Venise, les musées de Brest, Bucarest, Stuttgart conservent de ses œuvres.

anamorphose

Phénomène optique se traduisant par une aberration de l'image quand, par exemple, les rapports hauteur-largeur ne coïncident plus avec la réalité apparente.

   En peinture, en dessin ou en gravure, c'est une image déformée, étirée en hauteur, en largeur ou en profondeur, qui constitue une sorte de rébus optique ; le redressement de cette image peut s'effectuer, pour une lecture correcte, en la regardant d'un point de vue déterminé dans l'espace ou à l'aide d'un miroir cylindrique ou conique qui est placé perpendiculairement à elle. Jeu de l'esprit et prodige technique de mise en perspective, l'anamorphose, comme phénomène visuel, s'inspire en les inversant des phénomènes qui se produisent lorsqu'on se regarde dans un miroir convexe ou concave. Les anamorphoses planes découlent des recherches de la Renaissance sur la perspective : on s'aperçoit que l'image est déformée si le spectateur n'est pas en face du tableau ; on trouve déjà une perspective anamorphique dans le Codex Atlanticus de Léonard de Vinci.

   Les artistes de la Renaissance, et principalement les " maniéristes " du XVIe s., se sont passionnés pour ce nouveau genre artistique. La plus célèbre des anamorphoses demeure celle que Holbein introduisit au premier plan du tableau des Ambassadeurs (Londres, N. G.). Le maître de l'anamorphose, Erhard Schön, en gravera plusieurs, parmi celles-ci : Aus, du Alter !, anamorphose érotique, et Was siehst du ?, anamorphose scatologique. Il ne subsiste aucune trace des fresques ou peintures anamorphiques dont parle Lomazzo.

   Les procédés d'anamorphose furent érigés en théories et enseignés dans des ouvrages fort savants comme la Pratica della Perspettiva de Daniele Barbaro (1559), qui parle de " perspettiva segreta ". Au XVIIe s., ce sont en France les ouvrages de Salomon de Caus (la Perspective, avec la raison des ombres et miroirs, 1614) et de François Nicéron, mathématicien réputé (la Perspective curieuse... ou Magie artificielle des effets merveilleux de l'optique, par la vision directe, la catoptrique, par la réflexion des miroirs plats, cylindriques et coniques, la dioptrique, par la réfraction des cristaux, 1638), qui systématisent l'anamorphose en perspective. Le père Emmanuel Maignan peint à Rome, dans le couvent attenant à l'église de la Trinità dei Monti, une énorme fresque anamorphique, la seule du genre demeurée intacte, Saint François de Paule en prière d'après Charles Mellin. En Allemagne, le père jésuite Athanase Kirchner cherche dans la " Magia anamorphica " des prolongements philosophiques. Les " cabinets d'optique ", en vogue dans les Pays-Bas du XVIIe s., où l'observateur, par un trou percé dans une boîte, peut examiner un intérieur recomposé selon la perspective anamorphotique, peuvent être considérés comme une variante de l'anamorphose.

   Le type d'anamorphose par réflexion dans un miroir conique ou cylindrique trouve peut-être son origine dans les estampes chinoises apportées à la cour de Constantinople, et l'on dit que Simon Vouet avait introduit en Europe cette curiosité. Ce nouveau genre, plus inattendu et spectaculaire, où le sens de l'image paraît indéchiffrable, ne tarda pas à supplanter le type antérieur (exemples d'école italienne du XVIIe s. à Rome, G. N., Gal. Corsini, et au musée de Rouen).

   Correspondant étroitement avec les bizarreries littéraires de cette époque, l'anamorphose s'inscrit dans un cadre culturel essentiellement tourné vers l'ésotérisme et l'ambiguïté. Jusqu'au XIXe s., certains artistes s'intéresseront à ces jeux de perspectives déformantes et s'en serviront dans des caricatures pour dissimuler des scènes galantes ou obscènes, ou pour exprimer leur opposition politique. Jurgis Baltrusaĭtis a publié un livre sur la question, Anamorphose (Paris, 1955), et plus récemment Anamorphoses ou Thaumaturgus Opticus (1984) ; d'autre part une exposition a été consacrée aux anamorphoses en 1976, au musée des Arts décoratifs de Paris.