Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
S

Signorini (Telemaco)

Peintre italien (Florence 1835  – id.  1901).

Écrivain et polémiste brillant, il fut avec Cecioni le théoricien du groupe des " Macchiaioli ", auprès de qui il joua le rôle de guide spirituel. Dès 1855, il participa aux recherches du groupe, tant dans le paysage que dans les tableaux de batailles (Charge de zouaves). Plus tard, il séjourna et travailla à plusieurs reprises en France (1862 et 1884) et en Angleterre ; il traita des sujets réalistes, non exempts d'implications intellectuelles (la Salle des agitées à San Bonifacio, 1865, Venise, G. A. M. Ca' Pesaro), qui transparaissent aussi dans ses présentations de vues urbaines (la Piazza di Settignano, 1880) et dans son orientation vers le meilleur de la peinture européenne (la Toilette du matin, 1898), inspirée directement de Degas, qu'il avait connu à Paris. Mais la critique considéra que les esquisses rapides et brillantes ainsi que les petits paysages rythmés et mis en page avec un goût certain de la synthèse décorative convenaient mieux à la nature de son talent. Signorini est principalement représenté à la G. A. M. de Florence.

Sigrist (Franz)

Peintre et graveur autrichien (Vieux-Brisach  1727  – Vienne  1803).

Établi à Vienne, il s'y marie en 1749 et suit l'enseignement de P. Troger à l'Académie de Vienne, où il obtient un second prix en 1752 avec Job sur son fumier. Les gravures de cette période, la Guérison de Tobie et Loth et ses filles, révèlent sa dépendance envers Troger et les premières œuvres de Tiepolo, ce qui a fait supposer un séjour à Venise. Il subit aussi l'influence de Maulbertsch et de Mildorfer. La Mort de saint Joseph (Vienne, Österr. Gal.), composition chargée, expressive et picturalement fort libre, fait apparaître des drapés lourds et des mains considérablement agrandies, dans un style proche de Piazzetta. Sigrist exécute les projets (Martyre de saint Artème) pour 65 gravures d'un recueil de légendes des saints édité par J. Giulini (1753-1755) à Vienne et à Augsbourg, où il séjourna de 1754 à 1762 en qualité de peintre de cour de l'évêque. Il peignit des façades à Augsbourg, malheureusement détruites, ainsi, bien sûr, que des tableaux d'autel. Au même moment, Hertel lui demande des projets de gravures pour illustrer un choix de textes bibliques (Vienne, Niederösterreichisches Landesmuseum, deux grisailles : Élie et les corbeaux et Saül et la pythonisse d'Endor). Sigrist peint en 1759 le Triomphe de la Vierge sur les puissances infernales à la voûte du chœur de l'église de Seekirch, puis en 1760 trois fresques au plafond du porche de l'église du couvent de Zwiefalten. Il travaille en 1764 sous la direction de Martinus Van Mytens, avec d'autres collaborateurs, à cinq grands tableaux retraçant les fêtes du mariage de Joseph II avec Isabelle de Parme (Schönbrunn, salle des cérémonies). Peintre avant tout religieux, il trouve son domaine de prédilection dans les esquisses nerveuses, où les formes se dissolvent dans la lumière, et dont le musée de Prague conserve un ensemble remarquable. Dans les scènes mythologiques, telles que Bacchus et Ariane et la Mort d'Orion (musée de Prague), il se laisse aller à des compositions stéréotypées.

 
De ses fils, seul Johann (Augsbourg 1756 – Vienne 1807) est connu par quelques œuvres, dont deux Scènes de genre (id.). Un groupe d'œuvres, en particulier une série de fresques et de toiles du Burgenland (Autriche), postérieures à 1780, pourrait être attribué à deux autres Franz Sigrist, un fils et un parent de l'artiste.

silhouette

Ce terme désigne au XVIIIe s. un portrait de profil découpé au ciseau dans une feuille de papier noir et appliqué sur un fond clair. Ce type de portrait fut d'abord appelé " portrait à la silhouette " par allusion soit à la réputation d'avarice du contrôleur général Étienne de Silhouette, soit à son passage momentané au pouvoir, à la manière d'une ombre chinoise.

Silhouettes peintes

On nomme ainsi des personnages peints sur des planches de bois découpées selon les contours de leurs silhouettes et qui, presque toujours grandeur nature, peuvent donner l'illusion de la vie. Aussi ces silhouettes sont-elles connues en Angleterre sous le nom de " dummy-board figures ". Afin que l'on puisse les regarder de trois quarts sans voir la tranche du bois, celle-ci est biseautée vers l'arrière. Les silhouettes sont généralement munies, à leur base, de pièces de bois ou de fer qui les maintiennent verticales et permettent de les placer où l'on veut. Certaines, qui étaient pendues aux murs par des anneaux, en étaient pourtant légèremenyt écartées par une barre de bois fixée derrière la planche.

   Les silhouettes peintes sont originaires de Hollande, où l'on en rencontre encore un certain nombre. Le peintre et critique d'art Hoogstraten, écrivant au début du XVIIe s., affirme que Cornelis Bisschop était v. 1630 l'un des premiers et surtout le plus habile à réaliser ces œuvres qui poussent le réalisme jusqu'au trompe-l'œil. En effet, écrit-il, " placées dans quelque coin ou au fond d'un vestibule [...], on aurait pu les saluer comme des personnes vivantes ". Les silhouettes devaient produire l'effet de ces figures que l'on aperçoit au bout d'une enfilade de pièces ou qui se profilent à contre-jour dans une porte ouverte sur un canal, comme dans les toiles de Pieter De Hooch. Mais, en se vulgarisant, leur qualité artistique baissa beaucoup. Hoogstraten le constate : " On ne voit plus maintenant [...] que des croûtes fabriquées par des béquillards et des gâte-sauce et mal imitées d'après les belles figures sus-mentionnées. " Il est vai que les plus anciennes silhouettes sont de loin les plus belles. Leur succès incita à en varier le genre. Hoogstraten lui-même s'amusait à découper et à peindre des chats, des singes, des poissons séchés, des fruits et jusqu'à des souliers, qu'il accrochait ou laissait traîner un peu partout dans sa maison, riant de voir ses amis un instant abusés.

   Au XVIIe s., dans son hôtel parisien, le fermier général Lalive de July s'était livré à une curieuse expérience : " Il avait placé près d'un bureau une figure assise, médiocrement peinte, qu'il avait fait découper : elle représentait un robin au travail. Toutes les personnes qui ouvraient le cabinet, frappées de l'objet, se retiraient de peur de déranger l'homme au travail. " Grimm raconte une anecdote analogue : " M. Huber (le peintre suisse qui consacra la plus grande partie de son temps à représenter Voltaire) a peint un Voltaire de grandeur naturelle ; il l'a collé et découpé sur du carton, de sorte qu'en entrant chez lui on est reçu par le patriarche. Il compte porter ce carton un de ces jours à la Comédie-Française et le placer au fond d'une loge et puis faire répandre dans le parterre la nouvelle que M. de Voltaire est à la Comédie incognito. " Il semble, en effet, que la mystification et la surprise fussent le seul but de ces silhouettes peintes, bien qu'elles aient pu aussi maintenir les portes ouvertes ou servir d'écrans de cheminées.

   La mode des silhouettes fut adoptée dès le XVIIe s. en Angleterre, où l'influence artistique de la Hollande était alors prépondérante, et s'y maintint jusqu'au début du XIXe s. Aussi les châteaux et les musées de ces deux pays conservent-ils un assez grand nombre de ces curieuses peintures, que l'on rencontre d'ailleurs aussi en Allemagne et en France, sans que l'on puisse toujours dire qu'elles en sont originaires.

   On notera qu'en règle générale les silhouettes d'enfants sont moins nombreuses que celles d'adultes. Toutes les classes sociales y sont représentées : cavalier tenant un faucon, seigneurs et dames vêtus selon les modes les plus élégantes du milieu du XVIIe aux premières années du XIIIe s. (Londres, V. A. M.), danseurs ou personnages de la Comédie-Italienne (château de Malle, Gironde), mais aussi domestiques balayant (Londres, V. A. M.), pelant des pommes (château de Knole). Ce sont ces silhouettes ancillaires qui restent les plus fréquentes au cours du XVIIIe s. On connaît même un vieux pêcheur tenant un énorme poisson, silhouette française qui porte l'inscription " Jacques Soustre, dit Blair. M. Dupollet âgé de 55 années ". Le genre, en effet, tombe bientôt dans la rusticité, et les silhouettes du début du XIXe s. se rencontrent surtout en Hollande, où leurs modèles portent des costumes régionaux (Arnhem, musée d'Art populaire).

   Les silhouettes de soldats constituent un type particulier, fort répandu au XVIIIe s. Des soldats montent la garde aux portes dans le grand appartement du monastère de Saint-Florian, en Autriche. On en voyait des exemples vers les années 1920 au château de Schonberg, en Nassau, tout autour de la salle à manger, fixés à quelques pouces du mur, afin que le château ne parût jamais vide. Deux silhouettes de grenadiers du Royal-Suédois, conservées au musée de l'Armée à Paris, semblent avoir servi d'enseignes de recrutement. Il faut enfin signaler quelques objets découpés (amas de tableaux et de lettres, Milwaukee Art Center), dont le plus remarquable est un chevalet portant une nature morte et au bas duquel semble appuyé un autre tableau retourné, peint v. 1670 par Cornelis Gysbrecht (Copenhague, S. M. f. K.). Un autre chevalet simulé, portant une copie inachevée de l'Empire de Flore de Poussin, une palette et de nombreux accessoires, est signé Ant. Forbera pinxit, 1686 et est conservé au musée d'Avignon. Le président de Brosses l'avait déjà admiré en 1739 à la chartreuse de Villeneuve et en a donné dans ses Lettres une description précise.

   Les silhouettes peintes ne sont, en fin de compte, qu'un des moyens d'expression du trompe-l'œil. Au lieu de faire apparaître des personnages dans les ouvertures de fausses portes, comme le fit Véronèse à la villa Maser, au lieu de peindre, comme au XVIIIe s., au fond de la salle du " Concert spirituel " des Tuileries des musiciens supplémentaires derrière ceux de l'orchestre ou, comme on le fit parfois, des figurants fixes sur toile de fond d'une scène de théâtre, les maîtres de l'illusion ont fait faire à ces figures feintes un pas de plus : ils les ont détachées du mur, afin de les placer dans la situation et dans l'éclairage qui permettraient de donner la plus forte impression de réalité par le seul moyen de la peinture.

   Au XIXe s., les silhouettes semblent avoir échappé à leurs créateurs. Leurs descendantes dégénérées ont quitté les châteaux et les belles demeures, et gagné la rue. Elles présentent le menu à la porte des restaurants et, photographiées en couleurs, servent à la publicité de l'" Ambre solaire ".

   Mais, pour les décors qu'il créa pour la nouvelle mise en scène de Cosi fan tutte de Mozart au festival d'Aix-en-Provence en 1950, Balthus exécuta des silhouettes peintes et mobiles reprenant la tradition du XVIIe s. Signalons aussi qu'en mai 1972 Minaux a peint et découpé des silhouettes féminines un peu plus grandes que nature, qu'il a fait figurer à une exposition de ses œuvres, pensant qu'elles pourraient animer, bien que muettes et immobiles, le décor des demeures modernes.