Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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galeries peintes

Généralités

Les salles beaucoup plus longues que larges, dans les châteaux et les hôtels urbains, sont appelées, en France, " galeries " depuis le début du XIVe s. Mais ce type de construction est plus ancien. Déjà dans les palais byzantins et carolingiens étaient aménagées des galeries, à l'origine desquelles les portiques et cryptoportiques des villas et des palais de l'Empire romain servirent de modèles. Cette grande tradition est peut-être à la source du développement extraordinaire des galeries autour du XVIIIe s.

   Les galeries, dont la fonction, jamais unique, a évolué au cours des siècles, s'apparentent, par leur histoire et leur typologie, aux loges, aux cryptoportiques et aux berceaux de l'architecture des jardins (treille, pergola, tonnelle). Ce sont des promenoirs (" ambulacrum ", " allée ", " corridor "), des salles de fêtes et de représentations. À partir du XVIe s., la galerie sert aussi de lieu de présentation à des collections de peintures et de sculptures.

   La décoration des galeries (nos connaissances en ce domaine remontent jusqu'au XIVe s.) n'est pas spécifique et est soumise à l'évolution des programmes et des systèmes de décor utilisés par chaque époque dans l'architecture seigneuriale. Les galeries peuvent être décorées par des peintures aux plafonds et aux murs, des vitraux, des carrelages précieux. Il existe des galeries sans décoration fixe : elles pouvaient à l'occasion être décorées d'une suite de tapisseries.

   L'étymologie du mot " galerie " est incertaine ; le latin classique ne connaît pas ce mot ; il apparaît seulement dans le bas latin (galeria) au Xe s. et a la signification, à Rome, de " porche d'église ", qui portait également le nom biblique de galilaea. Galilaea s'est-il transformé en galeria ? Il est possible aussi que le mot grec γαλη, sorte de portique, se soit transformé en " galerie ", par l'intermédiaire de galera. Dans les documents français, le mot galerie apparaît dès le début du XIVe s. Est-il en rapport avec l'ancien mot français galer, qui signifie " se réjouir " (galerie = réjouissance), puisque les galeries étaient destinées aux divertissements ? Rien de définitif n'a été trouvé sur l'origine du mot.

Le développement de la galerie en France

Au XIIIe et au XIVe siècle

En France existent déjà au XIIIe s., voire au XIIe s., de nombreuses galeries, mais nous ne savons rien de leur décoration intérieure. Mentionnons seulement la plus célèbre, la galerie des Merciers, dans le palais de la Cité à Paris. Saint Louis la fit construire peu après l'achèvement de la Sainte-Chapelle (1239/40-1248). Elle reliait, au nord, la Sainte-Chapelle aux appartements du roi ; son nom remonte seulement au XVe s. Rien n'est connu de son décor original, qui était peut-être semblable à celui de la Sainte-Chapelle. Elle fut démolie en 1777. Les premières galeries sur la décoration desquelles nous possédions des renseignements sont les galeries de l'hôtel de Mahaut, comtesse d'Artois, à Conflans, près de Paris. Les documents les plus anciens remontent à 1315. En 1320, Henriet Haquim reçoit 6 livres parisis " pour toutes les peintures du ciel des grans galeries, des tirans et des lymandes de icelles galeries faites à destempit ", et Guillaume de Calais reçoit 20 livres parisis pour la livraison de 10 000 " quarreaux plommez, dont les grans galeries de l'ostel madite dame à Conflans furent pavées ". Le 20 juin de la même année, Mahaut signe avec le peintre Pierre de Bruxelles un contrat concernant les peintures murales de cette galerie. Le programme de cette décoration, imaginé vraisemblablement par la comtesse elle-même, était consacré au souvenir des exploits de son père, Robert II (qui avait accompagné Saint Louis pendant la deuxième croisade), ou de Othon II, son mari. Les galeries d'Hesdin renfermaient ce qu'on appelait les " merveilles du château d'Hesdin ". Ces galeries sont mentionnées dans les documents pour la première fois en 1325, et pendant plus d'un siècle les comtes d'Artois et les ducs de Bourgogne, leurs successeurs, les firent soigneusement entretenir et restaurer. En 1386, le soin de " peindre les galleryes des engiens d'esbatement " est confié à Melchior Broederlam. Ces galeries, dans lesquelles les comtes d'Artois et les ducs de Bougogne donnaient souvent des fêtes, étaient " richement décorées de peintures murales historiées et de sujets sculptés, statues, lions et fontaines, resplendissant de l'éclat de l'or, de l'argent et de brillantes couleurs. D'ingénieuses machines et des conduits souterrains y produisaient des surprises et des mésaventures à ceux que l'on y introduisait ". On sait qu'en 1355 le château de Vaudreuil possédait une galerie avec des peintures murales représentant des motifs de chasse.

Au XVe siècle

À Paris, on trouvait au XVe s. un grand nombre de galeries. Sauval, se référant aux " registres des œuvres royaux ", décrit leur décoration : " En 1432, le duc de Bethfort en fit faire une aux Tournelles [...] : on la nomma la gallerie des courges, parce qu'il la fit peindre de courges vertes [...]. Mais dans les siècles passés, il n'y en a point eu de plus magnifique que celle qu'acheva Charles V dans l'appartement de la reine à l'hôtel Saint-Pol. Depuis le lambris jusques dans la voute, était représenté sur un fond vert, et dessus une longue terrasse qui régnait tout au tour, une grande forêt pleine d'arbres et d'arbrisseaux, de pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers, et autres semblables, chargés de fruits, et entremêlés de lis, de flambes, de roses, et de toutes sortes d'autres fleurs : des enfants repandus en plusieurs endroits du bois, y cueillaient des fleurs, et mangeaient des fruits : les autres poussaient leurs branches jusques dans la voute peinte de blanc et d'azur, pour figurer le ciel et le jour [...]. Outre cela, il fit peindre encore une petite allée par où passait la reine pour venir à son oratoire de l'église Saint-Paul. Là, de côté et d'autre, quantité d'anges tendaient une courtine de livrées du roi : de la voute, ou pour mieux dire, d'un ciel d'azur qu'on y croit avoir figuré, descendait une legion d'anges [...]. "

   Dans la galerie de son château de Bicêtre, Jean de Berry avait rassemblé une collection de portraits où figuraient, à côté des grands de son temps, laïcs et ecclésiastiques, les princes de France, les empereurs des deux empires d'Orient et d'Occident. Elle brûla en 1411.

Le XVIe siècle

France

Les grandes et splendides galeries de l'architecture française du XVIe s. trouvent leur origine dans la tradition nationale du Moyen Âge, mais, sous l'influence de la Renaissance italienne, les systèmes de décoration se transforment. La mythologie entre dans les cycles peints, et il devient possible de vanter la gloire du souverain en mettant en parallèle les événements de sa vie personnelle et ceux de la mythologie ou de l'histoire.

   En 1528, François Ier fit construire à Fontainebleau, entre la cour ovale et la cour du Cheval-Blanc, la grande galerie qui portera désormais son nom, et il chargea Rosso Fiorentino de sa décoration (1534-1540) qui introduit à Fontainebleau un répertoire et un style nouveaux. La galerie François Ier, longue de 64 m et large de 6 m, couverte d'un plafond à poutres et caissons, est éclairée par 12 grandes fenêtres. Le système de décor que Rosso a créé est original et complexe. La décoration des murs longitudinaux est répartie en 12 travées ; dans chacune de celles-ci, au-dessus des lambris de Scibec de Carpi, le tableau principal est entouré par un riche encadrement de stuc et de peintures, qui se compose d'une variété inimaginable de cartouches, de sculptures, de reliefs et de tableaux, qui s'enchevêtrent les uns les autres et dont le sens iconographique est plus ou moins lié à celui du tableau principal. Le cadre devient parfois plus important que ce qu'il entoure. Ce style de décoration créé par Rosso dans la galerie François Ier, propagé par de nombreux dessins et gravures, devait avoir le plus grand succès dans toute l'Europe. Le programme iconographique de la galerie n'est pas moins complexe. Les sujets des 12 compositions, qui se lisent 2 par 2 (face à face dans chaque travée), portent aujourd'hui les titres suivants : l'Ignorance chassée, le Sacrifice ; l'Unité de l'État, l'Éléphant fleurdelysé ; Cléobis et Biton, les Jumeaux de Catane ; la Mort d'Adonis, la Vengeance de Nauplius ; la Fontaine de Jouvence, l'Éducation d'Achille ; la Bataille des Centaures et des Lapithes, Vénus frustrée.

   Dans les 4 premières compositions, François Ier apparaît en personne, mais sous des allégories différentes : comme un roi faisant une entrée joyeuse dans les cieux, comme un chef idéal sur terre, comme un petit enfant, comme un éléphant. Les allégories glorifient le roi comme le souverain le plus sage et le plus vertueux, comme un héritier envoyé par Dieu sur le trône, comme un " Nouveau Vercingétorix " et un " Nouvel Alexandre ". À partir de la 5e travée, l'allégorie, qui concernait jusqu'alors la mystique de la royauté, s'oriente vers la vie et le caractère du roi.

   La décoration de la galerie était à peine achevée quand le roi fit construire en 1540, toujours à Fontainebleau, une autre grande galerie, qu'on a nommée, d'après son décor, la " galerie d'Ulysse ". Malheureusement démolie en 1736, elle fut pendant deux siècles la gloire de Fontainebleau. De même largeur que la galerie François-Ier, elle s'étendait sur une longueur de 150 m environ et bordait sur le côté droit la cour du Cheval-Blanc. Elle était couverte d'une voûte et éclairée de nombreuses fenêtres. Primatice y travailla jusqu'à sa mort avec le concours de toute une équipe d'artistes, parmi lesquels, à partir de 1552, Nicolò Dell'Abate. À la mort de François Ier, les murs et la moitié de la voûte étaient déjà peints.

   La galerie était divisée en 15 travées, dont l'ordonnance à la voûte se répétait une fois en symétrie de celle du milieu, en sorte que la 15e composition répétait la 1re, la 14e la 2e. Chacun de ces compartiments de la voûte contenait, sur un fond d'arabesques, plusieurs tableaux représentant des personnages et des scènes mythologiques : la Danse des heures occupait le milieu de la voûte à la 8e travée et était entourée par 92 compositions. Le souvenir de quelques-unes nous est conservé par des dessins de Primatice : Apollon dans le signe du Lion, Jupiter, Neptune et Pluton, les Heures environnant le Soleil, Neptune créant le cheval, Vénus et les Parques, Bellone portée par deux génies, Junon descendant du ciel, Minerve chez Jupiter, Neptune apaisant la tempête, le Parnasse, l'Olympe. Les personnages figuraient sur un fond de ciel ouvert, vus " da sotto in su ", suivant un jeu audacieux de perspectives ; sur les murs étaient peints 58 sujets de l'Histoire d'Ulysse ; les 4 saisons étaient peintes aux 2 bouts de la galerie ; dans une lunette était représenté Charles IX recevant la reddition du Havre. La splendeur de cet immense ensemble de Primatice a été vantée par Poussin, qui disait qu'il ne connaissait rien de plus propre que la suite des sujets de la galerie d'Ulysse à former un peintre et à échauffer son génie. Rubens a copié plusieurs compositions. Van Thulden, son élève, a gravé les tableaux de l'Histoire d'Ulysse. À Gaillon, il existait au début du XVIe s. une galerie des Cerfs, qui fut peinte de " verdures ". Une autre devait avoir selon un devis " les ogives et les rencos d'or et d'azur, les rondeaux et lettres qui sont et seront semés en toute ladite gallerie ". La décoration de la galerie du château du Verger était consacrée à Vénus. La galerie des Cerfs, qu'Antoine de Lorraine faisait aménager au Palais ducal de Nancy, était décorée par des tableaux de chasse au cerf, et au plafond était représenté le ciel. La galerie de l'aile ouest du château d'Écouen avait des vitraux consacrés à l'histoire d'Amour et Psyché (1542), les ébrasements des fenêtres étaient peints de grotesques, et le sol pavé de " carreaux de terre cuite et émaillez de couleurs " (1542). La galerie de l'aile est du même château, dite " galerie Ronde ", aménagée vers 1548, avait des vitraux peints de grotesques et des carreaux " représentant divers chiffres, armes et devises de la maison de Montmorency ".

   À l'hôtel de Montmorency à Paris, on voyait, dit Sauval, une galerie peinte par Nicolò Dell'Abate sur les dessins de Primatice. Le thème était, semble-t-il, les Vertus. Après la galerie François-Ier, la galerie du château d'Oiron est la plus importante et la mieux conservée des galeries peintes du XVIe s. qui existent encore en France. Longue de 55 m et large de 6,50 m, elle occupe le premier étage de l'aile gauche du château. Entre 1546 et 1549, elle fut peut-être décorée par Noël Jallier. Ces décorations sont inspirées par Fontainebleau ; 14 grandes fresques couvrent entièrement les murs ; leurs sujets sont tirés de l'Illiade et de l'Énéide. Elles sont accompagnées d'inscriptions et parsemées de chiffres, devises et emblèmes de Claude Gouffier et de ses épouses, de François Ier et de Henri II. Le plafond a été refait au XVIIe s.

   Le château d'Ancy-le-Franc (1546) possède une galerie dont les peintures représentent la Bataille de Pharsale.

   La galerie du château d'Anet (1549-51), démolie au début du XIXe s., est décrite en 1640 par Denis Godefroy : " Une longue gallerie, toute remplie de plusieurs excellents tableaux de païsages et autres représentations, de pourtraicts de la susdite Diane de Poitiers, tantost peinte en chasseresse, en la forme et nuë comme la Diane des Anciens, tantost richement vestue et en grande pompe à la mode du temps, tantost comme estoit en ses plus jeunes ans, et tantost plus aagée, bref en plusieurs postures et équipages. Au bout de cette galerie, en un fort grand tableau, se voit tiré au naturel, le Roy Henri second à cheval, vestu de gris, blanc et noir, une petite toque avec panache sur la teste, fort vifvement représenté, et autour, quantité d'autres pourtraicts des plusieurs Rois et Reines de France, et plusieurs tableaux de parents et parentes de la susdite Diane. "

   Le cryptoportique, ou galerie basse, de l'hôtel du Faur, dit " Torpanne ", à Paris, fut décoré entre 1567 et 1571 par Nicolò Dell'Abate d'une série de fresques qui représentaient des paysages et des scènes mythologiques dont le sens exact n'a pas encore été déchiffré.