Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
C

Cézanne (Paul) (suite)

La maturité

Instable, l'artiste passe à Paris ; parfois présent au café de la Nouvelle-Athènes, il est plus souvent provincial : chez Zola, à Médan, en 1880 (son père, hostile à sa vie familiale, lui ayant coupé les vivres) ; chez Pissarro, à Pontoise, en 1881 ; avec Renoir à La Roche-Guyon, puis à Marseille, où il rencontre Monticelli, en 1883 ; avec Monet et Renoir, à l'Estaque, en 1884 ; chez Chocquet, à Hattenville, en 1886.

   Période de maturité féconde, où Cézanne, s'écartant des impressionnistes, maîtrisant sa touche, reprend sans cesse le même motif. Soucieux de " faire du Poussin sur nature " en traitant la nature " par le cylindre et par la sphère ", il ordonne autour du cristal bleuté de la Sainte-Victoire (1885-1887, Londres, N. G. ; Metropolitan Museum) la cadence et l'ondoiement ocre et vert des terres et des pins, morcelle et balance les facettes des murs de Gardanne (1886, Merion, Barnes Foundation) et des rochers aixois (1887, Londres, Tate Gal.), anime de réseaux linéaires l'espace opaque de la mer à l'Estaque (1882-1885, Metropolitan Museum ; Paris, Orsay ; 1886-1890, Chicago, Art Inst.), dresse dans l'air vibrant l'abstraction du Grand Baigneur (1885-1887, New York, M. O. M. A.). L'harmonie légère du Vase bleu (1885-1887, Paris, Orsay) semble conserver la miraculeuse attention des aquarelles où Cézanne indique d'un fin tracé, soutenu d'une touche frêle, le rythme retenu. Très nombreuses (Venturi en signale plus de 400), mais connues d'un cercle restreint de collectionneurs tels que Chocquet, Pellerin, Renoir, Degas ou le comte Camondo, ces aquarelles ne furent guère remarquées avant l'exposition qui leur fut consacrée par Vollard en 1905. Citons seulement quelques exemples remarquables : la Route (1883-1887, Chicago, Art Inst.), le Lac d'Annecy (1896, Saint Louis, Missouri, City Art Gal.), les Trois Crânes (1900-1906, Chicago, Art Inst.), le Pont des Trois-Sautets (1906, musée de Cincinnati).

Diffusion de l'œuvre

Irritable et défiant, très isolé depuis 1886, année de la mort de son père et de sa rupture définitive avec Zola, dont l'Œuvre, qui le prenait en partie pour modèle, l'avait blessé, Cézanne n'est connu que des rares initiés qui entraient, de 1887 à 1893, chez le père Tanguy ou qui lisaient les textes confidentiels de Huysmans (la Cravache, 4 août 1888) et de É. Bernard (Hommes d'aujourd'hui, 1892). Mystérieux, l'artiste connaît pourtant quelque notoriété. Conduits par Gauguin, É. Bernard et P. Sérusier, Maurice Denis et les Nabis subissent dès lors profondément son influence ; il peut exposer une toile à l'Exposition universelle de 1889, est invité aux XX, à Bruxelles, en 1890. Les 100 toiles présentées en 1895 par Vollard retiennent vivement l'attention, provoquant une hausse des cours, sensible de 1894 (ventes Druet et Tanguy) à 1899 (vente Chocquet). En 1900, 3 œuvres figurent à l'Exposition universelle, tandis que le musée de Berlin acquiert une toile.

La dernière période

Cézanne exécute alors, avec une sensibilité moins crispée, un ensemble d'œuvres capitales qui opposent au brillant éphémère impressionniste " quelque chose de solide comme l'art des musées ". De l'immuable ampleur de la Femme à la cafetière du musée d'Orsay, Paris (v. 1890), au jeu dynamique et maîtrisé de compositions complexes telles que le Mardi gras (1888, Moscou, musée Pouchkine) ou l'importante série des Joueurs de cartes, sans doute inspirée du Le Nain du musée d'Aix (1890-1895, Merion, Barnes Foundation ; Metropolitan Museum ; Londres, Courtauld Inst. ; Paris, Orsay), il s'affirme peintre au-delà du quotidien. Analyse souvent chargée d'émotions, qui noie de pénombres mauves et brunes le charme réfléchi du Garçon au gilet rouge (1890-1895, Zurich, coll. Bührle), la gravité inquiète du Fumeur accoudé (1890, musée de Mannheim), la présence de Vollard (1899, Paris, Petit Palais), l'air gorgé d'harmonies bleues du Lac d'Annecy (1896, Londres, Courtauld Inst.).

   Sensible à la ferveur des jeunes peintres (É. Bernard, Ch. Camoin viennent le voir ; M. Denis expose aux Indépendants de 1901 son Hommage à Cézanne), enfin reconnu au Salon d'automne de 1903, où il expose 33 toiles, Cézanne s'acharne à " réaliser comme les Vénitiens ", en un lyrisme plus exalté, les thèmes qui l'obsèdent, reprenant sans cesse ses Baigneurs (1900-1905, Merion, Barnes Foundation ; Londres, N. G.), résumés dans l'ample architecture de son chef-d'œuvre, les Grandes Baigneuses du Museum of Art de Philadelphie (1898-1905). Au rythme allusif et nerveux du pinceau, l'hallucinante vibration du Château noir (1904-1906, Washington, N. G.), l'angoisse du Portrait de Vallier (1906), les ultimes Sainte-Victoire (1904-1906, Moscou, musée Pouchkine ; Philadelphie, Museum of Art ; Zurich, coll. Bührle) précèdent de peu sa mort, survenue le 22 octobre 1906.

   La vision cézannienne, une fois de plus révélée au Salon d'automne de 1907 (57 toiles), annexée et transformée par les cubistes, adoptée par les fauves, répandue à l'étranger (en Angleterre par les expositions postimpressionnistes organisées en 1912 et 1913 par R. Fry ; en Allemagne par l'exposition de Sonderbund à Cologne en 1912 ; en Italie lors de l'exposition romaine Secessione de 1913 ; aux États-Unis par l'exposition de l'Armory Show à New York en 1913), apparaissait dès lors et pour longtemps comme le fondement essentiel de toute analyse picturale.

   L'artiste, dont le catalogue comprend environ 900 peintures et 400 aquarelles, est représenté dans la plupart des grands musées du monde entier, notamment à la Barnes Foundation (Merion, Pennsylvanie), au Metropolitan Museum et au M. O. M. A. de New York, à Paris (Orangerie des Tuileries, Donation Walter-Guillaume, au musée d'Orsay. Une importante rétrospective a été consacrée à Cézanne (Paris, Londres, Philadelphie) en 1995-1996.

Chabaud (Auguste)

Peintre français (Nîmes 1882  – Graveson, Bouches-du-Rhône, 1955).

Élève de l'école des Beaux-Arts à Avignon et à Paris, il rencontre, à l'Académie Carrière, Matisse et Derain et s'oriente très vite vers les audaces formelles et chromatiques du Fauvisme. De 1907 à 1914, il fait de longs séjours à Paris, où il peint des paysages nocturnes, des scènes de music-hall, de café, de maison close, des nus d'une vigueur passionnée et d'un mouvement farouche : le Moulin de la Galette (Paris, M. N. A. M.), Nu rouge (musée de Saint-Étienne). En même temps, il exécute en Provence de grandes compositions, statiques et monumentales, qu'il expose aux Salons des indépendants et d'automne : la Maison du mort, Procession à la chapelle. Ses recherches l'amènent au Cubisme en 1911, puis il peint des natures mortes, des portraits, des paysages, d'un équilibre sculptural et dense, qu'il expose à la gal. Bernheim-Jeune, à Paris, en 1912. Après la guerre de 1914, il se fixe dans son mas de Graveson, près d'Avignon. Toutes ses toiles célèbrent alors la Provence, en des tonalités tantôt éclatantes, tantôt sombres, avec une gravité et une grandeur d'inspiration qui lui sont propres. Il a laissé en outre une production considérable de dessins, des sculptures en pierre de style cubiste, datant de 1911. Il a publié quelques livres, dont Poésie pure, peinture pure (1927). Une rétrospective parisienne en 1952 attira l'attention sur son œuvre ; il est depuis considéré comme un des précurseurs du Fauvisme. En 1986, le musée des Beaux-Arts d'Orléans lui a consacré une importante exposition, suivie par la présentation parisienne des œuvres de l'artiste, 1907-1914 (Marseille, musée Cantini), en 1996.