Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
S

Soto (Jesús Rafael)

Artiste vénézuélien travaillant en France (Ciudad Bolívar, Venezuela, 1923).

Marqué dès l'origine par l'œuvre de Mondrian et de Malevitch, qui s'est installé à Paris en 1950, il a voulu réagir contre la peinture qu'il trouvait trop statique. Ses premières compositions " all over ", dans lequelles le même motif est uniformément répété, le conduisent bientôt à l'étude des vibrations optiques, premier pas vers le Cinétisme. Il utilise alors du Plexiglas pour superposer des plans et créer une profondeur réelle. Ces œuvres se caractérisent souvent par le refus de toute composition, leur absence de facture et les éléments formels neutres qui les constituent : damier régulier de carrés, alternance de lignes ou de bandes noires et blanches. En raison de leur superposition dans l'espace, ces formes paraissent bouger quand le spectateur qui les regarde se déplace. En 1955, Soto participe à l'exposition " Le Mouvement " à la galerie Denise René à Paris, qui représente la naissance de l'Art cinétique : il se trouve, à côté de Calder, Duchamp, Jacobsen et Vasarely, avec des artistes de sa génération, Agam, Pol Bury et Jean Tinguely, qui poursuivent le même but : introduire le mouvement dans l'art. Dès 1957, Soto utilise des tiges de métal suspendues à des fils de Nylon et disposées devant un support finement strié de lignes noires et blanches. Le déplacement du spectateur et l'instabilité de la construction créent des vibrations optiques qui entraînent une dématérialisation des formes (Carré virtuel bleu, 1979, Paris, M. N. A. M.).

   À partir de 1967, de plus en plus préoccupé par les problèmes d'espace, l'artiste passe du tableau avec des éléments en relief à des installations de tiges placées le long des murs de haut en bas de façon à supprimer les angles. De là, Soto parvient à l'occupation de l'espace entier avec ce qu'il nomme " Pénétrable ", dont les premières présentations seront faites en 1969 à Amsterdam et à Paris et dans lequel le spectateur, lorsqu'il le parcourt, perd tout repère visuel. Dans les années 70, Soto a réalisé de nombreuses œuvres intégrées à l'architecture, dont les plus réussies se trouvent au siège des usines Renault à Boulogne-Billancourt (1975), au Centre Banaven à Caracas (1979), au Centre Georges-Pompidou (Volume virtuel, 1987), au centre d'art contemporain de Meymac (Pénétrable, 1992). Une rétrospective lui a été consacrée en France (Meymac, Bayonne, Dunkerque) et au Portugal (Porto) en 1992-1993 et une exposition a été présentée (M. A .M. de la Ville de Paris) en 1996.

Soulages (Pierre)

Peintre français (Rodez 1919).

Les monuments romans, les dolmens, les menhirs gravés de la région de Rodez sont les premières manifestations artistiques qui attirent son attention. Il découvre la peinture moderne à dix-huit ans en visitant, lors d'un séjour à Paris, une exposition de Cézanne et une autre de Picasso. Pendant la guerre, il travaille comme agriculteur près de Montpellier et revient en 1946 à Paris pour se consacrer à la peinture.

   En 1947, il expose au Salon des surindépendants. Replié sur lui-même, réfractaire à toute influence, il aboutit très rapidement à une forme d'abstraction personnelle et puissante qui le fait remarquer dès sa première exposition particulière (1949, gal. Lydia Conti). Surtout à ses débuts, il a beaucoup peint sur papier au brou de noix, à l'essence ou à l'huile (Peintures sur papier de 1946 à 1963, exposées gal. de France en 1963 ; Peinture sur papier, 1948-1, Paris, M. N. A. M.). Il a d'emblée trouvé une expression conforme à son tempérament et qui frappe dans la mesure même où elle fait table rase de la tradition picturale. Pour se réaliser, sa vision entraîne une nouvelle structure plastique du tableau, où le tracé du signe dans l'espace est essentiel. Ayant fait du noir sa couleur presque exclusive et de la ligne son principal moyen d'expression, Soulages recourt bientôt au couteau et à la spatule, qui remplacent le pinceau. Écrasée par le large outil, la matière devient forme. Cette technique, qui confère à chaque tableau l'aspect d'une totalité indivisible, en faisant reposer l'efficacité plastique sur le geste de peindre, rappelle certaines pratiques de l'art extrême-oriental, que l'artiste a adoptées d'instinct, guidé par les exigences de sa propre sensibilité.

   Soulages a dessiné les décors et les costumes d'Héloïse et Abélard de Roger Vaillant (1949) et de la Puissance et la Gloire de Graham Greene (1951). Il a commencé à graver à l'eau-forte en 1952 et à lithographier en 1957. Son évolution l'a conduit à assouplir considérablement la rigueur de sa composition. S'il tient compte toujours du format et de l'axe de la toile, il insiste davantage sur les effets de rythme, tantôt par le simple contraste du noir et du blanc, tantôt par l'utilisation, plus rare chez lui, de quelques couleurs.

   À partir de 1979, Pierre Soulages passe à une " peinture autre " : ses toiles sont entièrement recouvertes d'un même et unique noir d'ivoire qui, par le travail de la texture (opposition d'aplats et de surfaces profondément striées à la brosse), renvoie la lumière par reflets, produisant une infinité d'images lumineuses selon la variation de la lumière ou les déplacements du spectateur. Il est passé, selon ses termes, du noir à " l'outrenoir " : au-delà du noir, la lumière. Le développement de ce travail a entraîné celui des grands formats horizontaux et celui des polyptyques monumentaux (1985-87 ; 1995-96) qui accentuent encore la multiplicité lumineuse intrinsèque de ces toiles. Depuis 1986, Soulages fait parfois réapparaître, au cœur de " l'outrenoir ", une autre couleur : bleu ou ocre rouge.

   Intéressé par la tapisserie dès 1963 (tapisseries exécutées à Aubusson pour la Maison de la Radio à Paris et pour la Hochschule de Saint-Gall), il donne les cartons pour la réalisation, à la manufacture de la Savonnerie, de deux grandes tapisseries destinées au nouveau ministère des Finances, jouant des possibilités offertes par les effets de matière et de léger relief qui sont propres à la technique du tapis de haute laine (1990). Autre ensemble monumental, dans un lieu prestigieux qu'il connaît depuis l'enfance, les vitraux qu'il a conçu et dont il a dirigé l'exécution pour l'église abbatiale de Conques (1994), où il affirme la multiplicité lumineuse d'un verre " blanc " qu'il a lui-même mis au point.

   Parmi les nombreuses expositions rétrospectives consacrées à son œuvre, les plus importantes sont celles de 1960-1961 (Hanovre, Essen, La Haye, Zurich), 1963 (Copenhague), 1966 (Houston), 1967 (Paris), 1975-76 (Lisbonne, Madrid Mexico, Caracas, Rio de Janeiro, etc.), 1982 (Copenhague), 1989 (Cassel, Valencia, Nantes), 1993-94 (Séoul, Pékin, Taipei) et Paris (1996). En 1992, il reçoit le Prix Impérial du Japon. Il est représenté dans tous les grands musées d'art moderne d'Europe, des États-Unis et d'Asie.