Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Nattier (Jean-Marc)

Peintre français (Paris 1685  id. 1766).

Il était le fils du portraitiste et peintre de l'Académie Marc Nattier et le frère cadet de Jean-Baptiste, peintre d'histoire.

   Remarqué par Louis XIV, qui l'autorisa à dessiner et à faire graver l'Histoire de Marie de Médicis (1700-1710), il travailla pour Pierre le Grand en Hollande et à Paris (1717), puis fut reçu académicien en 1718 avec Persée changeant Phinée en pierre (musée de Tours). Avec Watteau, il dessina alors les tableaux du roi et du régent pour le financier et célèbre collectionneur Pierre Crozat (1721) et collabora avec J.-B. Massé aux planches gravées d'après les décorations de la Grande Galerie de Versailles (1723-1753).

   Mais très tôt Nattier se spécialisa dans le portrait : ses premières effigies rappellent l'art de Raoux avec un jeu de lumière, un chatoiement des étoffes semblables, mais d'un dessin plus sûr (Mademoiselle de Lambesc sous la figure de Minerve, 1732, Louvre). Il devint très vite le peintre favori de la maison d'Orléans, travaillant à la décoration du Temple (1734-1748), dont le grand prieur était Jean-Philippe, chevalier d'Orléans. D'une série de commandes datant des années 1740, ce sont les deux portraits des deux sœurs cadettes de la comtesse de Mailly, maîtresse de Louis XV, Madame de Flavacourt et Madame de La Tournelle (répétition au musée de Marseille), portraits fort admirés de la Cour, qui lui permirent de pénétrer à Versailles. À partir de ce moment, Nattier devint le peintre de la famille royale : Marie Leszczyńska (1748, Versailles), et plus particulièrement de Mesdames de France : Madame Henriette en Flore (1742, Versailles) ; Madame Adélaïde en Diane (1745, id. ) ; portraits allégoriques de Mesdames, commandés par le Dauphin (1751, musée de São Paulo). Il transpose sur un plan plus aimable le caractère majestueux des figures de Rigaud, drapées de velours : l'un des portraitistes les plus brillants du siècle, il prête à tous ses modèles une expression de douceur un peu efféminée, n'évitant pas toujours la fadeur, en particulier dans ses figures masculines, que sauvent fort heureusement tant la délicatesse du modelé des visages que les amas de soies brisées et les éléments décoratifs. Malgré ce côté d'apparat, Nattier retient l'attention par sa grande sensibilité : c'est moins la grandeur d'un personnage de la Cour ou de la famille royale que la douceur, l'élégance, la légèreté nuancées de mélancolie qui sont l'interprétation d'une société où le rôle de la femme va grandissant dans un langage qui évoque les œuvres de Rousseau et annonce la sensibilité des portraits de Greuze ou de É. Vigée-Lebrun.

   Parmi les meilleurs portraits de Nattier, on peut encore citer ceux qui sont conservés au Louvre : Portrait d'un commandeur de l'ordre de Malte (1739), la Comtesse Tessin (1741), la Duchesse de Chaulnes en Hébé (1744), Madame de Sombreval en Erato (1746) ; et surtout au château de Versailles : Madame Louise, Madame Victoire (1748), Isabelle de Parme (1752), Madame Henriette jouant de la basse de viole (1754), le Duc de Bourgogne (1754), l'Artiste et sa famille (1761) ; au musée Condé à Chantilly : Mademoiselle de Clermont, la Princesse de Condé ; au musée d'Amiens : J.-B. Louis Gresset ; au musée Jacquemart-André de Paris : la Marquise d'Antin (1738) ; à l'Académie royale de Copenhague : Tocqué (1762) ; au Nm de Stockholm : la Marquise de Broglie (1742), la Duchesse d'Orléans en Hébé (1744) ; à la Wallace Coll. de Londres : Mademoiselle de Clermont au bain (1733), la Comtesse de Tillières (1750), Mademoiselle de Châteaurenard (1755) ; au Metropolitan Museum, New York : Madame de Marsollier et sa fille (1749) ; et à la N. G. de Washington : Joseph Bonnier de La Mosson (1745), Madame de Caumartin (1753).

nature morte

Terme qui désigne la représentation peinte d'objets, de fleurs, de fruits, de légumes, de gibier ou de poissons. Quand la juxtaposition de certains motifs évoque la vanité des choses de ce monde, il s'agit d'un genre particulier de nature morte : la vanité.

Un genre à la recherche d'un nom

Le genre de la nature morte sera fixé au début du XVIIe s., mais le nom ne s'impose qu'au milieu du XVIIIe. Au XVIe s., Vasari parle des " cose naturali " de Giovanni da Udine ; au début du XVIIe s., en Flandre, Van Mander utilise les mots fleurs, fruits et bouquets. Vers 1650, l'expression " still-leven " apparaît aux Pays-Bas, désignant une œuvre d'Evert Van Aelst (still = immobile ; leven = nature, modèle naturel). La peinture de ces choses immobiles se nomme " still-stehenden Sachen " en Allemagne selon Sandrart, puis " Stilleleben ", et enfin " still-life " dans les pays anglo-saxons. En France, au XVIIIe s., le terme de nature reposée est plus couramment employé que celui de vie coye mentionné en 1649 sous le portrait gravé de David Bailly, " peintre de vie coye ". En 1667, Félibien place au bas de la hiérarchie les peintres de " choses mortes et sans mouvement ". Diderot commente avec intérêt, au Salon, la peinture de " nature inanimée ". Le succès de Chardin décide finalement de l'adoption d'un terme nouveau et, en 1756, apparaît l'expression nature morte. On a quelquefois voulu utiliser la locution vie silencieuse, expression qui interprète poétiquement " still-leven " et " still-life ", mais le terme nature morte résiste et a même remplacé (" natura morta ") en Italie la vieille expression " soggetti e oggetti di ferma ". L'Espagne a conservé les termes de " floreros y bodegones " (fleurs et coins de cuisine).

Les sources : de l'Antiquité à la Renaissance

L'Antiquité

Dans la Grèce antique, on sait que le peintre Piraikos vendait fort cher ses " provisions de cuisine " et que Zeuxis rivalisait avec la nature au point que des oiseaux voulurent picorer ses raisins peints. Réalisme et illusionnisme étaient les conditions de l'éclosion d'un genre nouveau, la peinture de menus objets, ou rhopographie, vite appelée rhyparographie, peinture d'objets vils dont aucun exemple ne nous est parvenu. Les premières natures mortes connues du monde occidental sont des fresques et des mosaïques provenant de Campanie (Herculanum et Pompéi) ou de Rome : exécutés dans un style illusionniste, fruits veloutés, poissons et volailles posés sur une marche de pierre ou sur deux étagères, en trompe l'œil, parfois avec des ombres portées (la Chambre mal balayée, copie en mosaïque par Héraclite, IIe s. ; d'après Sosos de Pergame, IIIe s. av. J.-C., Rome, musée du Latran) évoquent le xenion antique, présent de vivres qu'un hôte offre à ses invités.

Le XIVe siècle

Un esprit propice à la représentation d'objets vrais dans un espace réel se développe dans l'Italie du XIVe s. : illusionnisme spatial de Giotto (lampes suspendues en trompe l'œil dans ses " chapelles secrètes " de la chapelle Scrovegni de Padoue, v. 1303-1305), de Pietro Lorenzetti (niche liturgique avec burettes, en trompe l'œil, dans le transept gauche de l'église inférieure d'Assise, v. 1320), de Taddeo Gaddi (niches liturgiques dans la chapelle Baroncelli à S. Croce de Florence, v. 1332-1338). À Avignon (1337-1339), les cages à oiseaux vides suspendues dans la chambre du pape au palais des Papes, exécutées dans l'entourage de Matteo Giovanetti, montrent un goût croissant pour l'objet.

Le XVe siècle

Les sources immédiates de la nature morte sont au XVe s. les miniatures, le plus souvent d'esprit flamand, et les marqueteries (" tarsie ") italiennes.

   De tout temps, la miniature, qui appelle une grande précision descriptive, a permis une transcription exacte de la réalité : plantes et oiseaux du Dioscoride (Byzance, VIe s.), coquillages et animaux marins du Traité Cocharelli (Italie, XIVe s. tardif), Tacuina Sanitatis des Lombards, enfin, au XIVe s., décor des pages des enlumineurs flamands de la seconde moitié du XVe s. ; dans le Manuscrit de Marie de Bourgogne (fin du XVe s.), parmi bien d'autres : fleurs et fruits dans des niches peintes minutieusement en trompe l'œil, bijoux épars à demi sortis d'un coffre sur le rebord d'une fenêtre.

   Les marqueteries italiennes (" tarsie ") du XVe s., d'autre part, ont donné une certaine autonomie à la représentation des objets en trompe l'œil dans le style " mathématique " issu de Piero della Francesca : placards ouverts sur des rayonnages de livres ou d'objets scientifiques, au dôme de Modène (1461-1465), aux studiolos de Frédéric de Montefeltre à Urbino (1476) et à Gubbio (Metropolitan Museum), à Monte Oliveto, à Sienne et, plus tard, à la Bastie d'Urfé (1545-1550, Metropolitan Museum).

   Les différents genres de natures mortes — repas servis, fleurs et vanités — dériveront de 3 thèmes essentiels : les " Noces de Cana " ou la " Cène ", l'" Annonciation " (avec le bouquet de pureté aux pieds de la Vierge) ; enfin, un saint (souvent " Saint Jérôme ") méditant dans sa cellule. Dans l'aire culturelle dominée par le Réalisme flamand (Flandre, France, Allemagne), les éléments de nature morte gardent un sens symbolique, tels les natures mortes de livres sur des étagères du Maître de l'Annonciation d'Aix (1442-43, Bruxelles, M. R. B. A., et Rijksmuseum), Iris et lys dans un vase par Memling (v. 1490, Madrid, fondation Thyssen), Bassin et broc en cuivre (école flamande, v. 1480, Rotterdam, B. V. B.), Armoire aux bouteilles et aux livres (école allemande, v. 1470-1480, Colmar, musée d'Unterlinden). Il s'agit de revers de panneaux avec des scènes religieuses ou des portraits, donc non indépendants, ou de portes d'armoires dont le décor décrirait sommairement le contenu. Souvent considéré comme la première vraie nature morte indépendante occidentale, le tableau montrant une Perdrix et un gobelet, accroché sur un faux bois, signé et daté " Jac. de Barbari, 1504 " (Munich, Alte Pin.), est lui aussi une porte d'armoire peinte.

   La nature morte se dégage enfin comme un genre isolé, au XVIe s., grâce à la synthèse de la puissance de conception italienne et du " poids accordé aux objets par le Nord ". On notera que, dans la peinture de fleurs, à côté du bouquet de pureté de l'Annonciation, intervient également une source profane : le style décoratif hérité de l'Antiquité des grotesques de Giovanni da Udine, qui, outre les Loges du Vatican, a décoré v. 1555 le château de Spilimbergo, ce qui peut expliquer l'apparition en Allemagne des bouquets de Ludger Tom Ring (Iris et lys, 1562, musée de Münster).