Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
V

vitrail et peinture (suite)

Maniérisme, Baroque et Classicisme

L'école de Fontainebleau et le mouvement d'artistes qu'elle a suscité dans les deux sens, des Flandres à l'Italie, interviennent dans le vitrail des Sibylles de Notre-Dame d'Étampes comme dans le vitrail de la Création du monde à Saint-Aspais de Melun. Au-delà de ces partis stylistiques, il faut accorder à des personnalités telles qu'Arnoult de Nimègue (vitrail de Saint Adrien à Sainte-Foy de Conches), Engrand Leprince (vitrail de Saint François d'Assise à la cathédrale de Beauvais), Romain Buron (vitraux de Gisors) un sentiment pictural dans le traitement des chairs, des draperies et du paysage, qui paraît alors absent de beaucoup d'œuvres peintes contemporaines du milieu français. Mais quand il s'agit de Mathieu de Bléville (milieu du XVIe s.) ou du maître anonyme des verrières offertes par Anne de Montmorency, la qualité du dessin, notamment dans les effigies des donateurs, appelle une comparaison avec Nicolas Rombouts, à qui l'on attribue les verrières du chœur de Saint-Gommaire à Lierre (Belgique).

   S'il n'est pas possible d'attribuer des verrières existantes à Jean Cousin, nous savons qu'il exécuta des cartons et que son fils dessina des vitraux pour Saint-Gervais à Paris, où il installa un atelier. Nous sommes largement renseignés sur le prestigieux ensemble de la chapelle royale de Vincennes (1556), où Philibert Delorme intervint pour l'ordonnance générale ; l'exécution fut le fait du " maître victrier " Nicolas Beaurain, mais les cartons doivent être donnés à Claude Badouin. Ce dernier avait participé simultanément, à Fontainebleau, à des ouvrages de tapisserie, de peinture et de stuc de 1535 à 1550 ; il avait peint, en 1548, les grisailles du château d'Anet. Une rupture intervient dès le deuxième tiers du XVIe s., lorsque le cadre architectural de la seconde Renaissance classique introduit une présentation scénique accusée par la perspective. Marcillat sacrifie au pittoresque dans sa verrière du dôme d'Arezzo (1524), et Pieter Coecke Van Aelst, à Hoogstraeten (1535), troue sa composition de la Cène dans un décor encore composite. C'est à Gouda, avec Dirk Crabeth, en 1561, que le nouveau style apparaît dans toute son ampleur, l'exécution de la verrière traduisant les rapports des valeurs déjà sensibles dans les cartons heureusement conservés. Cette nouvelle présentation en volumes dans une perspective apparaît dès 1544, à Écouen, dans la scène de l'Annonciation, avec une note d'intimisme.

   Louis Pinaigrier exécute, en 1607, avec Nicolas Chaumet, pour l'église Saint-Gervais de Paris, le vitrail très académique de Jésus parmi les docteurs. La dynastie des Pinaigrier maintiendra jusqu'au milieu du XVIIe s. ce style monumental, parfois hors d'échelle, dans la suite des vitraux de cette église, alors que, dans le chœur de Saint-Eustache, dès 1631, le verrier Soulignac, auquel on a associé à tort le nom de Le Sueur, atteint par ses architectures obliques une dimension pré-baroque.

   C'est à la cathédrale Sainte-Gudule à Bruxelles que nous pouvons suivre la volonté de survivre de cette nouvelle monumentalité. Dans la chapelle du Saint-Sacrement, les vitraux des souverains catholiques, exécutés par Barend Van Orley et Jan Haecth d'Anvers, en 1537, dégagent déjà largement les fonds et superposent les architectures. Les cartons avaient été donnés par Michel Coxcie. Tout en respectant cette ordonnance, un siècle plus tard, en 1649-50, Jean de La Baer exécute, à Sainte-Gudule, 4 verrières sur les cartons d'un élève de Rubens, Theodoon Van Thulden, dans une gamme plus restreinte, où les jaunes et les ocres dominent.

   Les verriers français du XVIIe s. font un choix parmi ces modèles venus des Flandres. Généralement, ils réduisent leur gamme dans les grandes verrières : c'est ainsi que procèdent Jean III Marcadet pour la Pentecôte à Saint-Nizier de Troyes (1613), Jean I et Jean II Barbarat à Saint-Pantaléon de la même ville, où l'emploi des émaux introduit une somptuosité égalant celle des verriers hollandais contemporains.

   Simultanément, les mêmes écoles exécutent à petite échelle, en recourant aux émaux, de véritables tableaux, comme les vitraux du charnier de Saint-Étienne-du-Mont à Paris (v. 1630) et la suite de Linard Gontier conservée au musée de Troyes (1621-1624).

   C'est à cette échelle que s'est développé en Suisse, dès le XVIe s. et au XVIIe, un vitrail civil, dont le musée de Cluny possède une incomparable collection, où se signalent, pour le XVIIe s., les Mürer de Zurich et Spengler de Constance, qui essaiment en Alsace, avec, notamment, les 3 frères Linck à Strasbourg. En Italie, Giovanni da Udine avait recouru à la même technique à la chartreuse de Florence dès 1560.

   L'architecture classique française élimine les grandes compositions pour s'en tenir aux vitreries géométriques, et l'intervention des peintres verriers se borne à l'exécution de bordures ou de monogrammes, dont les dessins sont confiés à des peintres : Jouvenet, Jean Lemoyne et, au début du XVIIIe s., Audran pour la chapelle du château de Versailles (v. 1710). Une technique qui reste monumentale — et qui apparaît, exceptionnellement, pour la France, à Paris à l'église Saint-Sulpice (1672-1674) — se limite à la peinture, à la grisaille et aux émaux, sur une trame de verres rectangulaires incolores ; elle s'était exprimée, à grande échelle, en Hollande, dans la suite des vitraux d'Edam, avec Claesz Van Swanenburgh, au début du XVIIe s. pour atteindre son sommet à la Nieuwe Kerk d'Amsterdam en 1650. En Angleterre, au XVIIIe s., Bernard Van Linge et son fils Abraham introduisent ce style à l'University College d'Oxford. La technique se perfectionne encore avec Henry et Edmund Gyles, alors que l'on assiste à un retour à la couleur avec William Peckitt à York (1762). Par contre, le prestigieux carton de Reynolds pour le New College à Oxford (1778) est desservi par une peinture à froid.

Académisme, Romantisme, Passéisme

L'affirmation de Brongniart (1770-1847), directeur de la manufacture de Sèvres en 1802, selon laquelle " l'art de la peinture sur verre n'était point perdu, qu'on avait tous les moyens de l'exercer " correspondait à l'intérêt porté au vitrail en France après les sauvetages du conventionnel Alexandre Lenoir (1761-1839). Toutefois, il faudra faire venir en France deux Anglais, Warren et Jones, qui traduiront les cartons d'Abel de Pujol pour l'église Sainte-Élisabeth à Paris (1828). Malgré l'opposition des archéologues — qui, depuis Lenoir, avaient préconisé l'emploi du verre teint dans sa masse et encouragé la restauration des vitraux du Moyen Âge, soutenus en cela par le chimiste verrier Bontemps à Choisy-le-Roi —, la manufacture de Sèvres poursuit sur des cartons de grands maîtres sa technique d'émail en faisant appel à Chenavard, à Devéria, à Ingres et à Delacroix. Seules les verrières de Devéria à la collégiale d'Eu ainsi que les suites d'Ingres pour la chapelle royale de Dreux et la chapelle Saint-Ferdinand de Neuilly expriment les unes une verve romantique, les autres une intensité colorée qui rappelle la veine préraphaélite d'Ingres. Dans la seconde moitié du siècle, une immense production, qui intéresse surtout le réveil du sentiment religieux, va de l'imagerie pieuse au pastiche, et l'on peut dire de ces vitraux que, s'il en est peu de bons, il en est quelques-uns de délicieux. L'école de Lyon, animée par Orsel, Janmot et H. Flandrin, a son reflet dans les vitraux de Paul Borel, qui sut attendrir Huysmans (église Saint-Bonaventure à Lyon).

   En Allemagne, l'atelier de Sigismond Franck, installé par Louis de Bavière à la Manufacture royale à Munich en 1826, fera appel, en 1836, à un élève d'Overbeck, Heinrich Hess, pour l'église de l'Au dans les faubourgs de la ville. Cornelius établit les cartons pour la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. En Belgique, Capronnier s'adresse à Henri de Groux pour les vitraux de la nef de Sainte-Gudule. L'école de Beuron introduit une nouvelle ascèse, dont le meilleur héritier sera, au début du XXe s., dom Bellot. Mais c'est en Angleterre que l'atelier fondé par William Morris traduira les œuvres marquantes des pré-raphaélites, Madox Brown, Rossetti (Saint Georges et le dragon) et les grands ensembles de Burne-Jones. Celui-ci, comme son contemporain le Suisse Grasset, établi en France, trouve dans la peinture sur verre la meilleure expression de son graphisme. A. Mucha donne le carton d'une verrière à la cathédrale Saint-Guy de Prague.