Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Jordaens (Jacob) (suite)

La période 1620-1630

Collaborateur de Rubens, il n'en poursuivit pas moins sa propre carrière. Avec des œuvres telles que Pan et Syrinx (Bruxelles, M. R. B. A.), le Satyre et le paysan (musée de Kassel), l'Adoration des bergers (Stockholm, Nm ; autres versions aux musées de La Haye et de Brunswick) ou les Portraits de famille de l'Ermitage et du musée de Brunswick, il atteint sa parfaite maturité ; son style trouve alors sa plus heureuse expression à ce moment et durant la décennie 1620-1630. Dans l'Adoration des bergers (Mayence, Mittelrheinisches Landesmuseum), le groupe de la Vierge, plein de grâce et d'idéalisation, et celui des bergers, vigoureux et réaliste, juxtaposent deux traditions, l'italienne et la flamande. Dans l'Allégorie de la Fécondité (v. 1622, Bruxelles, M. R. B. A.), les formes sont souples, la couleur est très claire, la facture moins lisse qu'à ses débuts. Les Quatre Évangélistes (Louvre, v. 1622-23), chef-d'œuvre d'art religieux baroque, opposent idéalisme mystique et réalisme humain dans une synthèse très inspirée. Le Martyre de sainte Apolline (1628, église Saint-Augustin d'Anvers ; esquisse à Paris, Petit Palais) est un grand tableau d'église dominé par l'influence de Rubens. Jésus chassant les marchands du Temple (Louvre), grand et joyeux tohu-bohu de personnages et d'animaux, atteste la vigoureuse santé picturale de l'artiste et sa stupéfiante aisance en même temps que son humour.

   Portraitiste, Jordaens fait preuve d'une autorité et d'une distinction proches de celles de Van Dyck dans le Jeune Homme et son épouse de Boston (M. F. A.) et dans le Portrait d'homme de Washington (N. G.).

Maturité et dernières années

La maturité (1630-1635) et les dernières années de Jordaens furent souvent, et bien à tort, critiquées. Pourtant, jusqu'à la fin de sa carrière, l'artiste réalisa des tableaux de la plus grande qualité. Le Piqueur et sa meute (1635, musée de Lille) reste l'un de ses plus beaux paysages, à la fois rubénien et italianisant. Le plafond avec les Signes du zodiaque, peint v. 1640 pour sa propre maison et auj. remonté au palais du Luxembourg à Paris, montre sa virtuosité dans les effets de perspective, typiques de l'illusionnisme baroque, les plus audacieux et les plus surprenants. L'Éducation de Jupiter (1635-1640, Louvre) est plus une scène de genre qu'une allégorie ; si les chairs y sont lourdes et les formes rebondies comme dans Suzanne et les vieillards (Bruxelles, M. R. B. A.), l'artiste évite toute rudesse de facture et les teintes un peu crues auxquelles il se complaît alors. Ces " défauts ", joints à un réalisme brutal, sont plus fréquents dans les deux thèmes chers au peintre, celui du Satyre et du paysan (musées de Bruxelles, de Budapest, de Saint-Pétersbourg, de Munich) et celui du Roi boit (v. 1638-1640, Louvre). Dans des thèmes analogues, comme le Concert de famille (musée d'Anvers) ou Les jeunes piaillent comme chantent les vieux (musée de Valenciennes), Jordaens finit par céder à la vulgarité, de même que dans Le roi boit (Vienne, K. M.). Son art religieux, débordant de mouvement et de vie, aux multiples points de vue perspectifs, assigne ses limites à l'esthétique religieuse baroque, comme en témoignent le tumultueux Jugement dernier (1653, peint pour l'hôtel de ville de Furnes, auj. au Louvre) ou Jésus parmi les docteurs (1663, Mayence, Mittelrheinisches Landesmuseum). De 1650 à la fin, il reste constamment sollicité entre l'équilibre, la grâce italienne (Marsyas châtié par les Muses, Mauritshuis ; le Sommeil d'Antiope, 1650, musée de Grenoble) et l'emphase des figures colossales (Neptune enlevant Amphitrite, Anvers, maison de Rubens) ou l'aspect conventionnel (la Paix de Münster, 1654, Oslo, Ng). Son chromatisme reste très clair et léger dans le Saint Yves, patron des avocats (1645, Bruxelles, M. R. B. A.). Le Triomphe du prince Frédéric Henri de Nassau pour la Huis ten Bosch de La Haye (1652, esquisses aux musées d'Anvers, de Bruxelles, de Varsovie) constitue la preuve de sa tendance finale à la démesure, typiquement baroque, et à une véhémence pathétique dans l'expression, qui apparaît dans ses dernières compositions religieuses : Montée au Calvaire (Amsterdam, église Saint-François-Xavier), le Christ chassant les marchands du Temple (1657, La Haye, Mobilier national). On se prend à regretter qu'il n'ait pas été plus vivement sollicité pour de grands décors, en voyant ces toiles dont l'animation, œuvre d'un grand décorateur, rappelle mais dans un autre ton celle de Rubens.

Dessins et cartons de tapisseries

Jordaens dessinateur reste célèbre autant par ses copies (de 1630 à 1640) des peintures ou des dessins de Rubens que par ses propres dessins. Éloigné du raffinement graphique et valoriste de Rubens, il pose rapidement de larges taches de blanc et de noir et trace d'abord, d'une ligne épaisse et d'un pinceau chargé d'encre, le contour extérieur des formes. Il pratique souvent le lavis et utilise plus le pinceau que la plume : Moïse faisant jaillir l'eau du rocher (v. 1617, Anvers, cabinet des Estampes). De nombreuses études de visages aux craies de couleur sont conservées au musée de Besançon ainsi qu'au Louvre et à la bibliothèque de l'E. N. B. A. à Paris. Jordaens utilise aussi l'aquarelle et la gouache (Scènes de la vie champêtre, British Museum).

   Peintre à la détrempe, il est l'auteur de nombreux cartons de tapisseries, dont l'Histoire d'Alexandre, une Suite de proverbes flamands et l'Histoire de Charlemagne, plusieurs fois tissées aux XVIIe et XVIIIe s. Le Louvre possède quatre des cartons peints originaux et le musée de Besançon plusieurs fragments. Une rétrospective a été consacrée à l'artiste (Anvers, M. R. B. A.) en 1993.

Jorn (Asger Jørgensen, dit Asger)

Peintre danois (Vejrum, Jutland, 1914  – Århus 1973).

Il commence à peindre à partir de 1930 (petits paysages et portraits) et prend connaissance de l'œuvre de Kandinsky par les publications du Bauhaus. À Paris en 1936, il travailla avec Léger, puis l'année suivante sous la direction de Le Corbusier (décoration du palais des Temps nouveaux à l'Exposition universelle). Après son retour au Danemark succèdent à ces influences celles, plus conformes à son tempérament, de son compatriote Jacobsen, de Klee, de Miró et des gravures d'Ensor. Jorn fonde à Copenhague pendant la guerre la revue Helhesten avec Bille, Perdersen, Jacobsen, qui se retrouveront dans Cobra. Son activité s'exerce désormais en faveur d'un art essentiellement spontané, dynamique et coloré (aquarelles des Didaska, 1944-45, Copenhague, S. M. f. K.), et l'artiste joue un rôle de premier plan dans plusieurs mouvements d'avant-garde : Cobra, 1948-1951 ; Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste, 1953-1957 ; Internationale situationniste, 1957-1960. En 1958 paraît Pour la forme. Ébauche d'une méthodologie des arts (Paris), recueil d'articles sur les positions esthétiques de Jorn depuis Cobra. Intéressé par toutes les techniques (gravure, céramique, tapisserie), Jorn a réalisé un œuvre que distingue une mobilité constante. D'abord surtout figuratif et d'une grande intensité expressive, celui-ci s'inspira de bonne heure du bestiaire fantastique de la mythologie scandinave et fut soumis à l'ordonnance de la spirale viking. L'expérience de Cobra lui insuffla une liberté nouvelle (" peintures historiques ", " visions de guerre ", dessins dits " Aganak "), au bénéfice des tableaux effervescents dans la meilleure tradition expressionniste (le Droit de l'aigle, 1950, musée d'Aalborg ; Lettre à mon fils, 1956-57, Londres, Tate Gal.). Les références surréalistes de Cobra le conduisent également à participer à des travaux collectifs (la Chevelure des choses, 1948-1953, " peinture-mots ", en collaboration avec Christian Dotremont). Un humour irrévérencieux se manifeste un peu plus tard au détriment de toiles " pompier " recueillies par l'artiste et sur lesquelles il repeint en y introduisant des créatures agressives (Modifications, 1959 ; Défigurations et Nouvelles Défigurations, 1961 et 1962). Jorn évoqua ensuite, à tous les niveaux de l'expérience, une poétique de l'échange entre le réel et le rêve, en souples balafres de couleur fluide (Au début était l'image, 1965, Louisiana Museum). À partir de 1956, il vécut beaucoup à Paris, où il exposa régulièrement gal. Rive gauche, puis gal. Jeanne Bucher, qui a montré ses derniers travaux (collages, affiches lacérées, gouaches). Jorn graveur ne le cède en rien au peintre. Ses trouvailles expressives annoncent tantôt Dubuffet, tantôt Alechinsky, et la fantaisie qui s'y donne libre cours est toujours aussi rebelle, irréductiblement, à tout dogmatisme (Von Kopf bis Fuss, 1966-67, 10 lithos couleur ; Entrée de secours, 1971, 9pointes-sèches ;Études etsurprises, 1971-72, 12 bois couleur). On lui doit encore de vastes ensembles décoratifs, céramiques et tapisseries (en collaboration avec Pierre Wemaere) pour le lycée d'Aarhus, des peintures murales (1967-68) pour une banque de La Havane. Jorn est bien représenté dans les musées danois, à Louisiana (près de Copenhague), à Aalborg, surtout à Silkeborg, richement pourvu par l'artiste lui-même, ainsi qu'à Vienne (musée du XXe Siècle) et à Paris (donation d'œuvres graphiques au M. N. A. M.). Une exposition lui a été consacrée (Copenhague, M. A. M.) en 1996.