Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
A

abstrait (art) (suite)

L'Art abstrait après 1945

Après la Seconde Guerre mondiale, l'expression abstraite change radicalement d'aspect et d'intentions. À côté de la tendance purement géométrique, qui, autour de 1950, connaît en France un grand succès (Vasarely) et en dehors de certains artistes qui parviennent à une vision personnelle en atténuant la rigueur géométrique (Poliakoff), d'autres formes d'abstraction apparaissent ne se rattachant plus aux origines de l'Art abstrait (œuvres lacérées de Fontana). Si dans le passé l'Abstraction était le résultat d'une construction méditée, progressivement mise au point, elle acquiert désormais pour certains peintres une valeur expressive d'autant plus forte qu'elle est livrée à l'instant même de son accomplissement (Hartung, Soulages), attitude qui conduit également à l'Abstraction calligraphique ou au Tachisme (Sam Francis), ou alors à une abstraction ambiguë (Wols) qui a été appelée " informelle ". Toutes ces œuvres visent à une expression totale et immédiate de ce que l'artiste porte de plus profond en lui. À ce niveau, la barrière entre Abstraction et Figuration tombe et très souvent le peintre éprouve le besoin de transgresser les moyens traditionnels en se servant d'une matière que la technique courante de la peinture exclut (Fautrier).

   Le cas le plus frappant de cette nouvelle tendance de l'Art abstrait a été aux États-Unis celui de Jackson Pollock. Par réaction contre la lenteur d'exécution que la peinture exige, dans une sorte de rage de peindre, il aboutit en 1947 au " dripping ", procédé où il n'a plus besoin de pinceaux parce qu'il emploie des couleurs industrielles (duco, vernis d'aluminium) qu'il laisse directement couler de la boîte sur sa toile posée à plat sur le sol. Son tableau se compose ainsi uniquement de ces traînées de couleurs, superposées en tous sens, qu'il a obtenues en se déplaçant autour de la toile, la boîte de couleur à la main. Cette forme d'expression qui repose sur le geste, adoptée d'une manière plus ou moins exclusive par de nombreux artistes américains et européens, est connue sous le nom d'Action Painting et elle caractérise au plus haut point la liberté de conception et la spontanéité d'exécution qui distinguent l'Art abstrait de l'après-guerre. Une telle ouverture de la sensibilité peut être rapprochée des conceptions picturales de la Chine et du Japon anciens, desquelles, du reste, certains artistes (Tobey, Julius Bissier) avaient déjà, au cours des années 30, tiré un enseignement. Mais pour définir ces formes, le partage rationnel entre Abstraction et Figuration ne suffit plus ; le nombre des artistes purement abstraits, dans l'ensemble, est assez restreint. Bien plus nombreux sont ceux qui ont été abstraits pendant un moment de leur évolution (de Stael, Guston), mais il y a surtout ceux que le grand public pourrait considérer comme tels (Vieira da Silva, Manessier, Bazaine) du fait que leurs tableaux ne représentent rien de " reconnaissable ", alors qu'ils ne le sont nullement.

   Au cours des années 60 l'apparition du pop art dans les pays anglo-saxons, suivi de la Nouvelle Figuration en France, marque une réaction contre l'Abstraction en général et plus particulièrement contre l'extrême subjectivité de certains peintres abstraits. Si l'Art abstrait n'occupe plus le centre de l'actualité, il ne cesse pas pour autant d'exister. Aux États-Unis s'impose ainsi, vers 1965, le Minimal Art, qui, à l'opposé de l'expressionnisme abstrait, évite toute redondance et insiste sur la simplicité fondamentale des moyens plastiques. Les principales recherches portent sur l'action perceptive de la couleur étalée en aplat sur la surface de la toile (Barnett Newman). Cette position limite de l'Abstraction, où la notion de forme s'estompe (Ad Reinhardt), n'est pas sans rappeler certaines expériences de Malévitch, notamment les formes blanches sur fond blanc. En France, une interrogation analogue des " unités minimales " de la peinture apparaît un peu plus tard (à la fin des années soixante) au sein du groupe Support-Surface. Nombreux sont les artistes qui, depuis les années 1985, restent marqués par l'abstraction : mentionnons Halley, Mangold, Ryman, Marden aux États-Unis, Armleder en Suisse, G. Richter en Allemagne, tandis qu'en France des peintres aussi différents que Soulages, Morellet, Aurélie Nemours, continuent leur œuvre dans une voie tracée depuis longtemps.

académie

Compagnie d'artistes, de fondation privée ou nationale, dont l'objet consiste le plus souvent à dispenser un enseignement ; ainsi, au XIXe s., les ateliers publics où l'on s'exerce à la pratique d'un art se nomment académies. Par extension : figure entière peinte ou dessinée d'après le modèle vivant ; à l'inverse de l'" étude du nu ", elle n'est pas destinée à s'intégrer dans la composition d'ensemble d'un tableau.

   Les académies se développent en Italie dans la seconde moitié du XVIe s. ; elles sont issues d'un large mouvement de caractère littéraire, philosophique et scientifique, amorcé à Florence sous l'impulsion néo-platonicienne de Marsile Ficin et qui s'étendit à Bologne, à Rome, à Venise et à Naples à partir de 1530. Ces premières académies d'art naissent par opposition aux corporations et confèrent à l'artiste un nouveau statut social distinct de celui de l'artisan. Depuis le XVe s., il est vrai, les artistes participaient aux réunions des académies de la société humaniste, mais sans en recevoir jamais la qualité de membre ; quant à l'Accademia del Giardino di San Marco de Florence, que Vasari situe en 1490, ou celle de Léonard de Vinci à Milan, il semble qu'elles aient été l'objet d'une simple extrapolation historique ; celle du Belvédère, elle-même, n'était encore au début du XVIe s. qu'un atelier. En fait, l'Accademia del Disegno, fondée en 1563 par Cosme de Médicis sous l'initiative de Vasari, fut la première institution qui rompit avec la vieille obédience de type médiéval. Par un décret de 1571, cette récente indépendance était rendue officielle et, six ans plus tard, le pape Grégoire XIII stipulait la création de l'Académie de Saint-Luc à Rome, prototype, en quelque sorte, des fondations européennes du XVIIe et du XVIIIe s. Elle s'appropriait le patronage de saint Luc, jusqu'alors réservé aux corporations, sans toutefois être l'objet d'un véritable monopole. L'appartenance aux académies de Florence et de Rome n'était pas obligatoire ; leur accès, possible même aux amateurs, était libre, et des relations avec les botteghe (ateliers) étaient entretenues. Les académiciens qui avaient abandonné le titre de " maître " pour celui de " professeur " dispensaient des cours d'anatomie et de géométrie ; Zuccari, cependant, tenta en vain d'imposer un programme doctrinal. Comme dans les ateliers, la copie des maîtres demeurait la formation essentielle du peintre. Face à ce principe, l'Académie de Bologne, fondée par les Carrache en 1585, érigea en doctrine le retour à la nature. Guido Reni, Dominiquin, l'Albane venaient y travailler. C'était la première académie privée importante, issue probablement de celle que le Flamand D. Calvaert avait fondée, à Bologne, en 1574. À Haarlem, malgré les toutes-puissantes gildes, Van Mander, assisté de Goltzius, avait lui aussi implanté une académie privée, inspirée de celle de Florence. Dès la fin du XVIe s., d'autres académies privées étaient également installées par des mécènes dans leur palais : celle du palais Ghislieri à Bologne, confiée à l'Albane et à Guerchin, ou celle de Crescenzi à Rome, dans laquelle, comme à Milan (1620), l'on commençait à dessiner d'après le modèle vivant. C'est à ce même mouvement de spécialisation progressive, qui se développa au sein des assemblées de beaux esprits, à la fin du XVIe s., que participe, en France, l'Académie royale de peinture et de sculpture. Sa fondation en 1648 succède à celle de l'Académie française, elle-même héritière de l'Académie de poésie et de musique d'A. de Baïf. Elle s'intègre dans un vaste ensemble élaboré par Richelieu, Mazarin puis Colbert. L'Académie des inscriptions et belles-lettres (ou " Petite Académie "), instituée en 1663, avait pour fonction de faire un choix des inscriptions accompagnant les statues, les peintures et les tapisseries devant décorer Versailles ; l'Académie de France à Rome, s'insérant, à partir de 1666, dans la politique de prestige du Grand Siècle, formait une élite de peintres initiés " à la manière des Anciens ". L'ascendant de l'Académie royale repose au XVIIIe s. sur les autres arts, mais aussi sur son monopole. Le droit d'enseigner et de " poser le modèle " lui est réservé, et c'est elle qui formule en doctrines les principes de l'art. Si quelques démêlés avec la maîtrise aboutirent à la création parallèle d'une Académie de Saint-Luc dominée par Vouet, et si quelques résistances, comme celle de Mignard, s'opposèrent à l'institution royale, l'absolutisme de l'État s'imposa à la production artistique sous le règne de Louis XIV. La France allait proposer l'organisation de son académie comme modèle à l'Europe. Cependant, les diverses situations sociopolitiques ne se prêtaient pas de façon égale à la création de telles institutions. En Flandres et en Hollande, notamment, les corporations restaient puissantes ; l'académie que D. Teniers le Jeune ouvrit à Anvers en 1665 était à cet égard exceptionnelle, encore qu'elle émanât de la gilde elle-même. La situation d'Anvers, comme celle de Venise, de Gênes, de Naples ou d'Augsbourg, resta longtemps dominée par une tradition corporative. La première entreprise de cour qui fut instituée après l'Académie royale de Paris fut celle de Berlin, dont Frédéric III et Sophie-Charlotte de Hanovre voulaient faire un centre d'idées modernes (1696-1701) ; puis celle de Vienne, fondée sur les assises de l'académie privée de P. Strudel (1704) ; enfin, Madrid en 1744.

   Dans la seconde moitié du XVIIIe s., de très nombreuses fondations privées et provinciales s'implantent partout en Europe ; les écoles privées sont fréquemment placées sous le patronage de l'État. Cette rapide ascension correspond au changement du goût dans ce siècle rationaliste, particulièrement intéressé par l'Antiquité. Fondée en 1766, la Royal Academy de Londres est, en dépit de sa charte, une institution privée, donc peu influençable par la politique officielle. En revanche, en France, le réseau régional des académies (celles de Montpellier ou de Reims par exemple) reste soumis à la tutelle gouvernementale, ainsi qu'en Allemagne, où la plupart des princes ouvraient des académies dans leur capitale. Les académies du XVIIIe s., même d'État, accueillaient penseurs et artistes d'avant-garde. Leur fonction majeure n'était plus seulement sociale, mais avant tout pédagogique. L'enseignement était généralement fondé sur la copie, le dessin d'après la ronde-bosse et le modèle vivant, l'anatomie, la géométrie, la perspective ; l'étude de la figure humaine demeurait essentielle. Il ne comprenait pas d'instruction méthodique de la peinture à l'huile. Le système médiéval de l'enseignement privé chez un maître, toutefois, était encore assez courant. En fait, l'école d'art publique comme unique établissement d'éducation pour un peintre est une innovation du XIXe s., qui, par réaction, mena peu à peu à la notion d'académisme. Aussi, les " écoles " postimpressionnistes, dont la démarche se plaçait essentiellement en marge de l'art officiel, se formèrent-elles dans les académies privées (Julian, Ranson, Carrière) et les ateliers libres. L'art vivant ne devait pourtant pas être totalement exclu des académies officielles : Kandinsky, comme Klee, travailla à l'Académie de Munich, puis professa à celle de Moscou.

   L'histoire des académies suit l'évolution de l'histoire de la peinture ; son cours, ponctué par le passage de personnalités, est plus ou moins continu ; il l'est particulièrement en France, hormis la brève rupture de 1793-1795. Elle est aussi significative de la modification du statut social du peintre : au XVIe et au XVIIe s., progressivement, le peintre se détache de son assimilation à l'artisan pour accéder, à la fin du XVIIe et au XVIIIe s., à un statut officiel, soit comme peintre de cour, soit comme peintre de la bourgeoisie et finalement s'affirmer dans toute son individualité avec le Romantisme. De plus, elle est profondément liée à la vie artistique en général : depuis leur création, en effet, les diverses académies ont constitué de riches collections, qui sont venues alimenter le fonds de nos musées actuels ou qui forment encore, comme à Venise (Accademia), à Milan (Brera) et à Madrid (Real Academia de Bellas Artes de San Fernando), des ensembles préservés ; elles ont d'autre part étroitement participé à cette vie artistique en organisant expositions et salons (les académies royales de Paris et de Londres, particulièrement).