Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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estampe (suite)

Graveurs originaux de métier

Au XVIIe s., des artistes se sont consacrés essentiellement à la gravure et ont inventé eux-mêmes les compositions de leurs planches. Au XVIe s., Goltzius et Agostino Carracci étaient peintres célèbres aussi bien que graveurs ; Jean Duvet était également peintre, et surtout orfèvre ; Callot, lui, ne fut jamais que dessinateur et graveur. Avec l'invention du vernis dur, il donna à l'eau-forte la netteté et l'élégance du burin tout en lui conservant sa souplesse, et arriva à maîtriser tout à fait les morsures multiples. Ses planches sont pour la plupart de très petites dimensions et font preuve d'un sens extraordinaire de l'observation, servi par la précision de la technique. Callot est le premier grand maître de la série gravée à l'eau-forte : les Caprices (1617) et surtout les Misères et malheurs de la guerre (1633). En Italie, où s'est déroulée la première partie de sa carrière, il eut un successeur en Stefano della Bella, qui l'imita dans sa manière et dans le choix des sujets. Son eau-forte est plus pittoresque, influencée par Rembrandt, et le XVIIIe s. l'a préféré à Callot lui-même. C'est au contraire le côté presque rigide de Callot et son imitation du burin par l'eau-forte que retint Abraham Bosse, dont les planches, très soignées, de sujets de genre dépassent de loin l'intérêt de simples documents sur l'époque de Louis XIII. Il eut des successeurs dans les Trouvain et les Bonnart, graveurs de sujets de mœurs sous Louis XIV, mais qui lui restent bien inférieurs. Callot influença également certains graveurs de paysages, comme les 3 Perelle, dont les eaux-fortes sont extraordinairement abondantes, et Israël Silvestre, qui fut surtout un graveur de topographie. Jean Lepautre, frère de l'architecte, a gravé un œuvre très abondant, comprenant surtout des séries ornementales et des paysages. Cette production française doit beaucoup à l'activité de quelques grands imprimeurs-éditeurs : Israël Henriet, de Nancy, Langlois dit Ciartes, Le Blon, la dynastie des Mariette. Citons encore Václav Hollar, né à Prague, qui travailla longtemps en Angleterre. Formé surtout en Allemagne, il a instauré une manière à l'eau-forte fine et personnelle, gravant des paysages, des costumes, des planches d'insectes et de célèbres Manchons de fourrure, d'un bel effet.

Le portrait français

À côté de ces graveurs professionnels, des graveurs portraitistes de l'école française ont interprété soit leurs propres dessins, soit l'œuvre d'autrui, mais en général avec une technique apparentée à celle des graveurs de reproduction. Leur tradition remonte au XVIe s. avec Thomas de Leu, dont les petits portraits sont d'une texture serrée. Jean Morin a agrandi le format et pratiqué une manière complexe à l'eau-forte et au burin, où il introduit beaucoup de pointillés dans les chairs. Claude Mellan, au contraire, met au point une manière aérée, où le burin est conduit largement. Nanteuil, le plus célèbre de ces artistes, s'est inspiré des deux précédents, mais aussi de la technique de l'école de Rubens, telle qu'on la trouve en particulier dans l'iconographie de Van Dyck. Ses tailles sont pourtant plus systématiques et donnent une impression de noble simplicité. Gérard Edelinck, qui gravait seulement d'après les autres, dépasse Nanteuil par le brillant du métier. La tradition s'est conservée durant tout le XVIIIe s., mais le style simple et puissant du XVIIe s. a disparu au profit d'une manière plus affectée. Ces portraits, collectionnés pour former des recueils, servaient aussi de frontispices aux livres et de décors pour les thèses gravées ; ils étaient alors en général de grand format.

La découverte de procédés nouveaux aux XVIIe et XVIIIe siècles

Lorsque les techniques du burin et de l'eau-forte furent au point, on en chercha de nouvelles, susceptibles de créer d'autres effets. L'effort se porta sur l'obtention de tons veloutés. Vers 1642, Ludwig von Siegen jetait les fondements du mezzo-tinto (technique dite " à la manière noire "). La méthode fut vite perfectionnée et connut une fortune particulière en Angleterre, où on l'employa constamment jusqu'au XIXe s., en particulier pour la gravure du portrait d'après Lely et Reynolds. En 1704, Le Blon expérimentait l'impression en couleurs au repérage des mezzo-tinto. Jean-Charles François, passionné par les progrès des techniques graphiques, s'était proposé de graver des fac-similés de dessins. Il parvint à mettre au point une méthode de " gravure en manière de crayon " assez complexe, combinant le vernis mou et la roulette. Sa méthode, mais sans vernis mou préalable, fut perfectionnée par L. M. Bonnet et Gilles Demarteau, qui publièrent de remarquables fac-similés en couleurs des pastels et crayons de Boucher. J.-C. François avait essayé un lavis d'eau-forte posé au pinceau, qui annonce déjà l'aquatinte, dont l'invention revient à J.-B. Le Prince, auteur de charmantes scènes exotiques. Mentionnons encore le " stipple ", ou gravure au pointillé, qui ne prospéra guère qu'en Angleterre, grâce surtout à Francesco Bartolozzi, et le perfectionnement de la gravure sur bois par Bewick. Enfin, la dernière invention du siècle fut celle de la lithographie, en 1797, mais ses applications appartiennent à l'ère romantique.

Gravure de métier et estampe originale au XVIIIe siècle

Le métier du graveur avait atteint, au XVIIIe s., un raffinement technique extrême, aussi bien pour l'eau-forte et le burin traditionnels que pour les procédés nouveaux. La gravure demande alors un tel apprentissage qu'elle reste le plus souvent entre les mains de graveurs professionnels, qui se contentent d'interpréter l'œuvre d'autrui, à l'exception de Moreau le Jeune et de Debucourt. Paris a le monopole de ce genre de gravure, au détriment de la province. Quelques peintres français sont eux-mêmes les auteurs de leurs eaux-fortes, comme Watteau, Fragonard et surtout Gabriel de Saint-Aubin, avec ses nombreuses petites gravures d'une facture extrêmement libre. L'estampe originale est bien plus abondante à Venise, où s'illustrèrent à partir de 1703 de brillants aquafortistes : Carlevarijs, Marieschi, Canaletto, les Tiepolo ; Piranèse, de formation vénitienne, s'installa à Rome ; dépassant le genre de l'estampe topographique et archéologique, dont la publication n'avait pas cessé depuis le XVIe s. et qui avait ses éditeurs spécialisés (Salamanca, Lafréry, Orlandi, les Rossi), ses Prisons et ses Vues romaines comptent parmi les chefs-d'œuvre du XVIIIe s. Goya, influencé par les Tiepolo, sut faire de l'aquatinte, jusqu'alors imitation du lavis, un moyen libre et expressif. Comme Dürer et Rembrandt, il fut peintre-graveur, et graveur accompli. À soixante-huit ans, il aborda la lithographie avec bonheur. En Angleterre, les aquafortistes sont des satiristes qui gravent leurs cuivres rapidement, avec liberté et violence ; le plus célèbre est Hogarth, gravé le plus souvent par d'autres, qui combattit pour la protection des droits d'auteur. Ses successeurs les plus importants, Rowlandson, dont les satires sont surtout morales et sociales, et Gillray, davantage tourné vers la politique, ont gravé beaucoup d'eaux-fortes coloriées, mais les épreuves, en noir surtout, permettent d'apprécier leur liberté expressive. Gillray est aussi un pionnier de l'aquatinte.

Le XIXe siècle et la lithographie

Le XIXe s. a connu une transformation totale des arts graphiques, liée à l'évolution de l'art en général et due plus directement à l'invention de la photographie et des moyens de reproduction photomécaniques. Le développement de deux techniques nouvelles, la gravure en bois de teinte et surtout la lithographie, contribua à donner à l'estampe du XIXe s. ses traits particuliers.

   La gravure de reproduction s'est maintenue dans tout le siècle. Dans les premières décennies, elle continue celle du XVIIIe s. Prud'hon, qui s'intéressa beaucoup à la gravure, fut aussi l'artiste le plus souvent gravé. Il forma deux excellents praticiens, Copia et Roger, graveurs au pointillé. Mais plus tard certains graveurs sur bois photographieront le sujet à graver sur le bloc. Deux tendances sont à distinguer dans la gravure d'alors ; l'une consiste à entrer en compétition avec les moyens photographiques et à les dépasser en exactitude et en sensibilité, comme le fit F. Gaillard, qui grava ses propres compositions. L'autre s'en sépare radicalement en produisant des gravures d'un style assez relâché et " artiste ", comme Léopold Flameng.

   Malgré ces efforts, la gravure de reproduction était condamnée. Pour survivre, les arts graphiques devaient développer leurs richesses propres. On peut distinguer plusieurs périodes. La première, qui précède la photographie, est liée à l'introduction de la lithographie en France (v. 1815). Très vite, d'éminents artistes se sont intéressés à cette technique nouvelle, rapidement perfectionnée par de grands imprimeurs, surtout Charles de Lasteyrie et Engelmann. Entre 1817 et 1825 paraissent de nombreuses feuilles, dues notamment à J.-B. Isabey, Géricault, Prud'hon, Goya, Delacroix. D'autres artistes vont se consacrer à la lithographie : Charlet, Raffet, Gavarni et, le plus grand de tous, Daumier. Les imprimeurs tiraient rapidement des pierres des éditions très nombreuses, ce qui permettait de répandre ces feuilles dans un large public. L'art s'est adapté à ces conditions nouvelles, et c'est ainsi que l'épopée napoléonienne et la satire morale et politique ont pu atteindre à une expression parfaite, faisant se rejoindre l'imagerie et l'art le plus élevé.