Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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romane (peinture) (suite)

La miniature

Toutes les savantes et multiples recherches sur les rapports de la miniature et de la peinture murale peuvent amener aux mêmes conclusions de méthode : une coïncidence n'est pas une preuve, dès que l'on a arbitrairement éliminé l'une des composantes de l'œuvre, que ce soit l'iconographie, le style ou l'échelle. Cependant, il y a là une voie fructueuse, à condition d'en connaître les limites. La miniature peut donner l'explication de sources iconographiques : des exemples peuvent être cités parmi les recherches récentes, comme l'analogie des peintures de Saint-Julien de Tours avec un manuscrit du Pentateuque de cette même ville.

   Ce peut être soit une simple analogie, soit une inspiration plus directe, que l'on peut imaginer par les rapports des clercs et des peintres.

   Il peut être question d'une convergence plus vaste, celle du style. On a souvent parlé — parfois avec excès — de la comparaison à faire entre la peinture murale de l'ouest de la France et 2 manuscrits de vies de saints : ceux de Saint-Aubin d'Angers et de Sainte-Radegonde de Poitiers. À Montoire, il n'est pas exclu de penser à tel manuscrit de la Trinité de Vendôme. Surtout, les manuscrits ottoniens et anglo-saxons ont donné lieu à de multiples réflexions : ils reflètent souvent une transmission de formes anciennes et, au-delà même, une certaine interprétation de la figure et une composition de l'image qui se retrouvent dans la peinture murale. Cela a paru sensible à bon droit dans la nef de Saint-Savin. La racine carolingienne de beaucoup de peintures de l'ouest de la France s'éclaire aussi en feuilletant les manuscrits carolingiens et, plus encore, ceux de tradition carolingienne des scriptoria de cette région.

La création

Manuscrits et peintures reflètent ensemble la double démarche artistique de l'époque romane : l'attachement à la tradition, la naissance d'un style propre à la nouvelle époque. Mais on admettra que ces indispensables comparaisons ne résolvent pas le problème fondamental, celui de la création artistique. C'est peut-être en songeant essentiellement à celle-ci que pourraient être tentées d'autres recherches. À l'intérieur de tout un système de conventions de l'image, qui forme un ensemble analogue à celui de toutes les grandes époques artistiques, les historiens de l'art ont depuis longtemps distingué des types de structure stylistique, c'est-à-dire d'interprétation de ces conventions. Jusqu'ici, le travail de recherche a été essentiellement une besogne d'érudition qui s'efforce, avec patience, parfois avec succès, parfois avec témérité, de déterminer les cheminements obscurs d'influences et de filiations pour remonter jusqu'à de possibles origines. Un autre point de vue, celui qui va regarder les œuvres en tant que telles dans leur vie intrinsèque de création artistique, semble pouvoir, à condition d'éviter les rapides généralisations, donner des résultats.

   La définition du dessin roman permet de distinguer plusieurs types de création. Dans un premier groupe figure ce que l'on peut appeler le dessin représentatif. L'exemple le meilleur paraît être les puissantes figures de saints du soubassement de Berzé-la-Ville près de Cluny : elles sont dessinées avec un souci de vérité psychologique évident, une précision du trait qui recrée, à partir du schéma nécessaire au mosaïste, de véritables portraits. Il existe certes des variantes plus sèches, d'une qualité moins grande, mais le principe en reste le même (Cantorbéry). À ce type, qui au-delà du modèle byzantin retrouve sans doute des structures plus anciennes, s'oppose le dessin allusif où le graphisme ne sert plus à la vision du réel, mais à son évocation. C'est la prestigieuse main de l'artiste de l'abside orientale de Montoire qui est sans doute l'exemple le plus saisissant. Mais on distinguera assez facilement le dessin au trait et le dessin de couleur, c'est-à-dire l'emploi de contours colorés qui indiquent les formes. L'exécution même de la peinture murale exige une rapidité de vision et d'exécution qui transforme ce dessin allusif en une création de formes très originale. On retrouvera aussi cette peinture, semble-t-il, dans la peinture prégothique, que ce soit au Liget, à Schwarzrheindorf ou à Saint-Géréon de Cologne, mais alors sous la forme d'un dessin à la fois précis et elliptique, plus constructeur de formes.

   Ces deux types s'opposent vigoureusement à une famille de grande dispersion géographique et de formes particulières, d'ailleurs assez diverses. C'est la famille du dessin-cerne. Généralement, les formes y sont tracées par des traits noirs épais qui enferment littéralement les couleurs. Mais cela ne suffit pas à définir cette famille, car ce dessin est généralement une forme de simplification puissante ou caricaturale. Cela n'est pas un procédé roman proprement dit, car les marges byzantines le montrent dans le monde subcaucasien, dans l'ensemble cappadocien ou dans la branche copte en Égypte. Cet aspect, marginal en Orient, permet de penser qu'il s'agit d'un expressionnisme rustique dont les rapports avec le grand art apparaissent comparables à ceux du baroque urbain et aristocratique et de ses expressions des campagnes de toute l'Europe. Il est malheureusement difficile, en l'absence d'études proprement stylistiques et surtout en raison de la rareté statistique des peintures murales, de savoir si cette analogie est totalement fondée. Les peintures catalanes sont certes les exemples les plus extraordinaires de cet emploi du cerne, qui va de pair avec une exagération des procédés stylistiques communs à tout l'art roman, par exemple la représentation des draperies ou des anatomies ; l'emploi d'une gamme de couleurs très vives, l'outrance du geste achèvent de donner à ce type de schéma une violence expressionniste. Mais la Catalogne n'est pas le seul exemple : Vicq a depuis longtemps étonné par son aspect similaire et a posé d'insolubles problèmes, comme Aoste. Les peintures danoises ont certains aspects de ce type. C'est peut-être dans ce type de traduction des formes qu'une étude purement artistique, sans souci des rapprochements et filiations possibles, serait la plus utile. Il s'agit dans cette démarche de considérer l'œuvre romane en elle-même, ce qui n'exclut pas, au contraire, la démarche précédente et parallèle de la mise en place historique. Ces deux types de méthodes de travail constituent, par leur constant jumelage, l'originalité de l'histoire de l'art. La peinture murale romane en est certainement un des sujets les plus intéressants et révélateurs d'une civilisation.