Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Nazaréens (les)

Ce groupe de peintres allemands vivant à Rome au début du XIXe s. est né d'une réaction contre le Classicisme prôné par Winckelmann et contre l'enseignement académique de Füger, professeur à l'Académie de Vienne. De jeunes artistes prirent comme modèles Dürer, Raphaël et les primitifs, désirant donner à l'art de nouvelles bases religieuses et patriotiques.

   L'ouvrage de Wackenroder les Effusions d'un frère convers ami des arts (1797) ainsi que les œuvres de son ami Tieck, les conférences et les écrits de Schlegel révélèrent le Moyen Âge et les débuts de la Renaissance. D'après Schlegel, le peintre, désormais, " devait être comme les primitifs, fidèle de cœur, innocent, sensible et réfléchi, et ne rechercher aucune habileté dans l'exécution de ses œuvres ".

   Grâce à l'Histoire de la peinture en Italie des frères Riepenhausen, qui vivaient à Rome depuis 1805, des peintures du trecento et du quattrocento (Cimabue, Giotto, Pérugin, Raphaël) sont révélées au public allemand et plus particulièrement à Overbeck, qui en prend connaissance à l'âge de quinze ans, ce qui oriente définitivement sa vocation de peintre.

La confrérie de Saint-Luc (Lukasbund)

L'étude des primitifs par Overbeck et par son ami Pforr, tous deux élèves de l'Académie de Vienne, ainsi que leurs discussions changèrent radicalement leur façon de peindre en 1808-1809. Pforr était attiré plus particulièrement par les sujets historiques et Overbeck par les sujets religieux. Ils attachèrent beaucoup d'importance à la technique du trait, surtout après avoir étudié les reproductions des primitifs italiens exécutées par les frères Riepenhausen.

   Les deux jeunes peintres firent la connaissance d'Eberhard Wächter, originaire de Souabe ; élève de Regnault à Paris, Wächter avait travaillé à Rome, où il s'était fixé, et les confirma dans leur détermination. Puis quatre autres élèves de l'Académie de Vienne vinrent se joindre à Overbeck et Pforr : Ludwig Vogel et Johann Konrad Hottinger, suisses tous deux, Josef Wintergerst, souabe, et Joseph Sutter, autrichien. Ils se fixèrent comme règle de se réunir régulièrement et de critiquer mutuellement leurs œuvres. Petit à petit, ils se détachèrent de l'enseignement académique et le 10 juillet 1809, jour anniversaire de leur première rencontre, ils firent le serment de rester toujours fidèles à la vérité, de combattre avec acharnement la manière académique et de faire revivre l'art, qu'ils jugeaient décadent, par tous les moyens. La première association de peintres des Temps modernes était créée. Cette confrérie devait prendre le nom de saint Luc, l'évangéliste, et Overbeck dessina un emblème qui devait être fixé au dos de chaque tableau qu'ils jugeaient bon. Cet emblème montrait saint Luc encadré dans une arche avec les lettres HWP-OVS à l'intérieur (Hottinger, Wintergerst, Pforr-Overbeck, Vogel, Sutter), dans les deux coins, en haut, une épée et la torche de la vérité, et au milieu, en haut, un grand " W " pour Wahrheit (" vérité "). En bas, l'inscription " 10 Heu Mond (c'est-à-dire juillet) 1809 ".

   Les Nazaréens avaient pour modèle Fra Angelico. Ils voulaient ainsi réconcilier l'idéal et la réalité, exprimer les sentiments purs et véritables, rechercher la beauté dans la nature. Les préoccupations des frères de Saint-Luc étaient principalement morales et religieuses, et les problèmes artistiques secondaires.

   Encouragés par l'expérience de Wächter et poussés par le désir qu'éprouve tout artiste allemand de se rendre dans le Sud, ils décidèrent d'aller à Rome. Le 20 juin 1810, Overbeck, Pforr, Vogel et Hottinger arrivèrent à Rome, qui était alors occupée par les Français. Grâce au directeur de l'Académie de France, ils obtinrent de loger dans le monastère proche de S. Isidoro, église et collège des franciscains irlandais fondés au XVIe s. et qui étaient désaffectés. On les appela bientôt les " fratelli de S. Isidoro ".

La vie au couvent de S. Isidoro

La vie au couvent de S. Isidoro était celle de religieux. Chacun avait sa cellule ; les occupations consistaient en partie à vaquer aux besognes ménagères et à peindre. Les " frères " se réunissaient dans le réfectoire pour prendre leurs repas et travailler ; le soir ils discutaient de leurs tableaux ; ils posaient le plus souvent les uns pour les autres lorsqu'ils désiraient avoir un effet de draperie, travaillaient en principe de mémoire et ne peignaient jamais de modèles féminins d'après nature (Overbeck surtout s'y refusa toujours ; mais par la suite sa femme devait lui servir de modèle). Ils ne traitaient pas de sujets mythologiques (par opposition à l'Académisme, et surtout en raison de leur profond sentiment religieux) non plus que d'événements historiques contemporains, mais de sujets tirés de l'Ancien ou du Nouveau Testament, ou encore de la Légende des saints.

   La doctrine des Nazaréens s'efforce de revenir à l'idéal chrétien du Moyen Âge ; l'art est une prière, un sacerdoce, et il fallait retrouver la sainte maladresse des primitifs. Les deux personnalités marquantes du groupe furent alors Overbeck et Pforr. Mais Pforr, qui était d'une santé précaire, mourut de phtisie à Albano en 1812, et sa disparition marque la fin de l'isolement monacal de la confrérie.

Peter Cornelius

En septembre 1811, peu de temps avant la maladie de Pforr, qu'il admirait beaucoup, Cornelius et son ami Xeller arrivent à Rome. Overbeck a pris la direction du mouvement, mais c'est en fait Cornelius qui le dominera. Ce dernier avait un esprit clair, dominateur, perspicace, et le génie de l'organisation ; il était déjà connu en Allemagne par ses illustrations du Faust de Goethe, qu'il terminera en 1816 à Rome. C'est à ce moment que naquit chez Goethe son hostilité envers les Nazaréens, et il écrira à son ami Sulpiz Boisserée : " C'est la première fois dans l'histoire de l'art qu'on voit des talents distingués comme Overbeck et Cornelius se plaire à marcher à reculons ; à retourner dans le sein de leur mère pour fonder ainsi une nouvelle époque de l'art. "

   Après la mort de Pforr, Overbeck traversa une grave crise spirituelle, chercha un refuge dans la religion et se convertit en 1813 au catholicisme, ce qui effraya le père de Vogel, qui rappela son fils en Suisse. Hottinger quitta Rome également.

   En raison de cette attirance pour le catholicisme, du côté rigide et monastique de leur mode de vie ainsi que de leur grande cape et de leurs cheveux longs, ils reçurent le sobriquet de Nazaréens. Ce fut le peintre Koch qui les désigna ainsi par dérision.

   L'exemple des Nazaréens semblait être prometteur pour les jeunes artistes allemands mécontents de l'enseignement académique, et plusieurs d'entre eux prirent le chemin de Rome. Wilhelm Schadow et son frère Rudolf arrivèrent en 1813, puis les deux frères Johannes et Philipp Veit, les deux fils de Dorothea Schlegel, beaux-fils de Friedrich Schlegel. Johannes fit 2 longs séjours à Rome, l'un de 1811 à 1819, l'autre de 1822 à 1854, date de sa mort, entra en relation avec les Nazaréens, mais n'en fit pas partie directement ; son frère Philipp, qui venait de participer à la guerre de libération contre Napoléon, arriva à Rome en 1815, s'associa au groupe, y apportant un élément de patriotisme dans un milieu indifférent aux événements extérieurs. De nouveau, le groupe subit une forte influence de la Renaissance italienne et présente quelques affinités avec le Classicisme davidien (Ramboux, qui plus tard fit partie des Nazaréens, était un élève de David ; Catel, qui travailla avec eux, avait été aussi élève à l'Académie de peinture).

Les fresques de la Casa Bartholdy

Les Nazaréens allaient enfin s'affirmer aux yeux de leurs compatriotes et de l'Europe dans un travail collectif. Pour Cornelius et ses amis, la condition du salut de l'art allemand était en effet le rétablissement de la peinture à fresque.

   Cette occasion allait aussi les sauver de la quasi-misère dans laquelle ils vivaient. En 1815, Jacob Salomon Bartholdy (1779-1825), consul général de Prusse à Rome, voulait faire décorer une salle de sa résidence, le Palazzo Zuccari (actuellement salon de réception de la bibl. Hertziana). Cornelius saisit l'occasion et eut l'idée de traiter un sujet dramatique tiré de la Bible : l'Histoire de Joseph. Cornelius exécuta Joseph explique le songe du pharaon et Joseph reconnu par ses frères, qui est considéré comme la meilleure création du peintre. Joseph est représenté sous les traits de Bartholdy. Overbeck peignit Joseph vendu par ses frères ainsi que la lunette représentant les Sept Années maigres ; Schadow la Tunique tachée de sang et Joseph en prison. Philipp Veit peignit les Sept Années grasses et Joseph et la femme de Putiphar. Catel fut chargé d'exécuter les paysages.

   Les fresques furent détachées en 1887 et se trouvent à la N. G. de Berlin.

   Plus de 500 artistes allemands visitèrent Rome entre 1800 et 1830, et la plupart d'entre eux eurent des contacts avec les Nazaréens : Julius Schnorr von Carolsfeld, à Rome en 1818 ; Führich, originaire de Bohême, à Rome de 1827 à 1829. Quant au " vieux " Koch, qui avait fait plusieurs séjours à Rome, il y revint en 1815 et y resta jusqu'à sa mort ; s'il ne fit pas partie des Nazaréens, il leur prodigua ses conseils et les fit profiter de son expérience de paysagiste. Horny et Fohr, s'ils n'appartinrent pas directement au groupe, gravitèrent autour de lui et collaborèrent à certains de ses travaux.

   Carl Philipp Fohr, natif de Heidelberg, étudia à l'Académie de Munich, où il rencontra Koch et prit connaissance des primitifs allemands. Lorsqu'en 1816, grâce à la générosité de la princesse de Hesse, il put se rendre à Rome, il entra dans le cercle de Koch. Il devait mourir deux ans plus tard, en 1818, à l'âge de vingt-trois ans, en se noyant dans le Tibre. Il était considéré par les autres peintres comme le plus doué de sa génération. Dessinateur exceptionnel et bon paysagiste, il a laissé d'excellents portraits dessinés.