Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Corrège (Antonio Allegri, dit il Correggio) (suite)

Les tableaux peints vers 1524-1526

Durant les années 1524-1526 (entre la coupole de S. Giovanni et celle de la cathédrale), Corrège exécute un grand nombre de tableaux révélateurs d'une nette évolution stylistique : le rythme devient frénétique, la couleur forte, les sentiments exacerbés. Ces œuvres, qui annoncent le Baroque, furent prisées par les artistes du XVIIe s., surtout la Déposition et le Martyre de saint Placide et de sainte Flavie (Parme, G. N.), qui appartiennent respectivement au début et à la fin de cette période intermédiaire. L'étude psychologique, le caractère pathétique, la composition décentrée de la Déposition étaient bien propres à plaire à Annibale Carracci, qui la copia. De ces années datent nombre de chefs-d'œuvre du maître : le Noli me tangere (Prado), la Vierge adorant l'Enfant (Offices), l'Ecce Homo (Londres, N. G.), la Vierge au panier (id.), le Mariage mystique de sainte Catherine (Louvre), qui présente une composition circulaire à laquelle correspond une couleur vive et contrastée, ainsi que deux œuvres mythologiques, l'Éducation de l'Amour (Londres, N. G.) et Vénus, satyre et Cupidon, dit Antiope (Louvre), où le rythme est donné non plus par l'agitation des figures, mais par les taches de lumière. La Madone de saint Sébastien (v. 1525, Dresde, Gg) montre une composition " da sotto in su ", inspirée de l'Assomption des Frari de Titien et des enchaînements rythmiques que l'on retrouve dans la décoration de la voûte du chœur de S. Giovanni Evangelista. Ces œuvres annonciatrices de la Contre-Réforme, tant en peinture qu'en sculpture (Bernin), sont autant de pensées préparatoires à la grande œuvre décorative que sera la fresque de la coupole de la cathédrale.

Les fresques du Dôme (1526-1529)

En 1522, alors qu'il travaillait encore à S. Giovanni Evangelista, Corrège reçut la commande de la décoration du chœur, de la coupole et des arcs voisins de la cathédrale de Parme. De cette vaste entreprise, il n'a exécuté, de 1526 à 1529, qu'une partie : les fresques de la coupole (Assomption de la Vierge), des pendentifs représentant les quatre saints protecteurs de la ville (saint Jean-Baptiste, saint Hilaire, saint Thomas apôtre et saint Bernard) et des arcs-doubleaux figurant des mimes et des danseuses en monochrome. C'est sans doute par dépit devant l'incompréhension locale qu'il n'exécuta pas la décoration du chœur et de l'abside, qui fut confiée à sa mort à Giorgio Gandino del Grano (1535), puis, à la disparition de ce dernier (1538), à Girolamo Mazzola Bedoli. La décoration de la coupole de la cathédrale marque le point culminant de l'activité de Corrège ; elle est la suite logique des recherches faites à la Camera di S. Paolo et à S. Giovanni Evangelista. Cependant, le problème à résoudre était différent, en raison des proportions imposantes de la coupole, fort profonde, à base octogonale percée de 8 oculi. Corrège parvint à suggérer un espace infini et lumineux, en liant intimement tambour et coupole par un thème et une couleur unifiés, et en estompant les arêtes : le tambour prend l'aspect d'une balustrade devant laquelle se tiennent les grandes figures des apôtres debout, tout entiers tournés vers le ciel. Mais sur la terre, symbolisée par le bord du parapet, se déroulent les Funérailles de la Vierge, tandis que, sans solution de continuité entre le tambour et la calotte, un tourbillon d'anges élève la Vierge au ciel, entraînant avec elle des saints et des personnages bibliques jusqu'à saint Michel, qui descend à sa rencontre.

   Par la forme concentrique donnée à l'ensemble, en dépit de sa section octogonale, cette coupole annonce le grand décor plafonnant baroque et montre l'évolution suivie depuis S. Giovanni Evangelista : d'une évocation du ciel par des têtes de chérubins à une savante concentration d'anges et de saints en mouvement.

Les tableaux de la dernière période

Cette recherche rythmique où les corps sont en mouvement dans la lumière se retrouve dans les peintures religieuses ou mythologiques qu'il exécuta parallèlement : la Madone de saint Jérôme (1527-28, Parme, G. N.), appelée parfois le Jour ; l'Adoration des bergers ou la Nuit (1530, Dresde, Gg), œuvres construites sur les jeux d'obliques et de lumières ; la Vierge à l'écuelle (1529-30, Parme, G. N.) ; 2 détrempes représentant Saint Joseph et un Dévot (Naples, Capodimonte) ; enfin la Madone de saint Georges (1531-32, Dresde, Gg). À partir de 1530, Corrège fut chargé par le duc de Mantoue, Federico Gonzaga, de représenter la série des Amours de Jupiter pour l'empereur Charles Quint (Danaé, Rome, Gal. Borghese ; Léda, musées de Berlin ; Io et Ganymède, Vienne, K. M.). C'est aussi à cette époque qu'il peignit " a tempera " les 2 allégories du Vice et de la Vertu pour le studiolo d'Isabelle d'Este (Louvre). Dans toutes ces œuvres, on retrouve des motifs et des formes inaugurés à la coupole du Dôme et dans lesquels triomphe une ligne ondoyante alliée à la couleur.

Les dessins

L'œuvre dessiné de Corrège a été catalogué en 1957 par A. E. Popham, et il comprend 91 numéros (24 au Louvre) ; ce sont surtout des études préparatoires à la sanguine pour les tableaux ou les grandes décorations.

Corrente

Mouvement artistique italien qui se développa à Milan entre 1938 et 1943. Il représente une prise de position polémique contre la discipline esthétique du Novecento, en faveur de nouveaux moyens d'expressions libres de tout dogme formel et d'une peinture " cri expressif et manifestations de colère, d'amour, de justice aux coins des rues... plutôt que dans l'air triste du musée... ". Corrente reflétait l'exigence d'une rupture avec la rhétorique officielle, sans tomber, pour autant, dans des formes d'art gratuites et dépourvues d'un contenu précis. Le thème de la place de l'artiste dans la société et de ses responsabilités politiques et sociales fut l'un des motifs essentiels de ce mouvement. " Nous voulons fonder le langage pictural sur une base révolutionnaire... Au moyen de la peinture, nous voulons hisser les drapeaux. " Contre l'autonomie culturelle du régime fasciste et la rhétorique de la " tradition italique ", Corrente représenta un moment important de la peinture italienne, en raison de sa tentative pour se rattacher à un plus large courant culturel, renvoyant et se référant à la peinture romantique française, à Van Gogh, à Ensor, aux expressionnistes allemands, aux fauves. Les débuts théoriques de Corrente se trouvent dans le journal Via Giovanile, fondé en 1938 à Milan par le peintre Ernesto Treccani et dans lequel étaient exprimés les principes qui donnèrent la vie au mouvement. Ce dernier était formé par un groupe de peintres dont la plupart résidaient à Milan : Birolli, Cassinari, Migneco, Arnaldo Badodi, Sassu, Italo Valenti, Guttuso, Morlotti, Treccani, Vedova, Peverelli ; il comptait aussi quelques sculpteurs : Sandro Cherchi, Luigi Broggini, Giovanni Paganin et les critiques Raffaele de Grada, Marchiori et Morosini. Si leur but commun était la lutte contre l'art officiel, l'affirmation d'une liberté expressive, consciente de ses droits et prête à soutenir celle-ci à l'intérieur même du mouvement, se dessinèrent aussitôt deux tendances : l'une, plus réaliste, orientée vers l'engagement politique et social (Guttuso, Morlotti, Treccani), l'autre recherchant plutôt une forme d'expressionnisme lyrique et poétique (Birolli, Cassinari, Valenti). D'autres artistes représentèrent, au sein de Corrente, une interprétation fantastique et surréelle de l'Expressionnisme, très proche de l'" école romaine " (Sassu et Arnaldo Badodi, mort très jeune en 1942). La première exposition de Corrente eut lieu en 1939, au palais de la Promotrice à Milan. De nombreuses expositions furent organisées ensuite à la Bottega di Corrente, galerie qui fut le centre du mouvement et qui connut aussi une activité littéraire en publiant une série de monographies, ainsi que la revue Corrente (oct. 1938-mai 1946) porte-parole du mouvement. La participation des artistes de Corrente au prix Bergamo de 1940 et de 1942 fit de cette manifestation un important point de jonction entre la ligne " libérale " du régime fasciste et les artistes de Corrente. C'est en 1942 qu'eut lieu la polémique au sujet du prix (le deuxième) accordé à la célèbre Crucifixion de Guttuso : la traduction d'une iconographie traditionnelle dans une langage brutal, violemment expressionniste, et la transposition du sujet religieux dans l'actualité dramatique de la guerre font de ce tableau une sorte de manifeste figuratif ; les œuvres présentées à l'exposition de Guttuso à la gal. Barbaroux de Milan (1941) en contenaient déjà, d'ailleurs, les signes précurseurs. À partir de 1942, c'est le Gal. della Spiga de Milan qui devint le centre du mouvement ; mais les artistes se dispersèrent, la plupart d'entre eux participant aux événements politiques contemporains. Les œuvres de ces années sont, en réalité, vivement conditionnées par cet engagement politique et social (série de dessins sur les horreurs de la guerre, de Guttuso et Birolli, 1944). Par la suite, les artistes de Corrente se retrouvèrent dans un groupe élargi, le Fronte nuovo delle arti : la première exposition de l'après-guerre, qui réunissait les artistes du Fronte et tout l'ex-groupe de Corrente, date de 1947 à Milan. Le problème, déjà posé par Corrente, de l'engagement social de l'artiste et la recherche d'une figuration qui puisse correspondre le mieux à de telles exigences en caractérisèrent l'orientation générale. Pendant ces mêmes années, une forte influence de l'expressionnisme picassien joua un rôle déterminant sur les artistes liés précédemment à Corrente.