Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Bassano (Jacopo da Ponte, dit Jacopo) (suite)

1560-1570

La Crucifixion de S. Teonisto (musée de Trévise), proche de l'Épiphanie, est une œuvre qui constitue le point de repère essentiel (1562) dans la chronologie, difficile à reconstituer, de Bassano. Le Christ est sur la croix, isolé sur un ciel très haut assombri d'épais nuages traversés de lueurs, tandis que, plus bas, sur les collines où se dresse la croix et où se tiennent Marie et Jean, la lumière est froide et limpide. Cette nouvelle et extraordinaire vision bouleversera Greco, mais aussi Véronèse. Désormais Bassano se dégage des fantasmes maniéristes et se tourne vers un naturalisme plus large. La puissance expressive du Christ résulte d'un luminisme intense, vigoureux, coloré ; certaines parties des figures distribuées sur les surfaces claires appellent, par l'orchestration des tons froids, les passages " impressionnistes " peints dix ans plus tard. Poursuivant et approfondissant la même expérience, Bassano atteint, dans son Saint Jérôme (Venise, Accademia), à une vérité qui annonce Borgianni et le réalisme du XVIIe s. L'Adoration des bergers (1568, musée de Bassano) détermine une nouvelle phase de son évolution, qui s'affirme dans un ensemble de grands tableaux d'autel. Délivré de l'imaginaire halluciné des années précédentes, le peintre s'abandonne au lyrisme de la lumière, à la magie de la touche, à une peinture tout à la fois naturelle et artificielle. Le fondement des compositions est narratif, qui échelonne les figures en diagonale. L'intonation est souvent crépusculaire afin que la poésie réside tout entière dans la vibrante texture lumineuse, où jouent simultanément ruptures et croisements des touches d'ombre et de lumière sur les demi-teintes (Baptême de sainte Lucile, musée de Bassano). L'inspiration, bucolique et pastorale, se retrouve dans les tableaux illustrant les pages les plus diverses de la Bible : cycles du Déluge, vie et passion du Christ. Tous ces sujets sont exposés à travers palais et cuisines dans un cadre champêtre, souvent nocturne, où le jeu des lumières, flambeaux, chandelles, charbons ardents, assume un rôle important (Départ pour Canaan, Venise, Palais ducal ; Annonce aux bergers, musée de Prague). L'inspiration champêtre de cette période se précise dans une série d'allégories des mois et des saisons, qui illustre la vie agreste et domestique aux différentes époques de l'année.

Diffusion des scènes bibliques et pastorales

Ce nouveau genre biblico-pastoral est largement diffusé par l'atelier de l'artiste et, surtout v. 1570), par son fils Francesco, auquel se joignent ensuite ses autres fils. Ces tableaux eurent beaucoup de succès auprès des collectionneurs vénitiens et à l'étranger. L'afflux des demandes obligea Bassano à faire exécuter de nombreuses répliques de ses originaux, et il est difficile d'identifier leurs auteurs parmi les fils de l'artiste.

Dernières œuvres

Vers 1580, le goût de Bassano se modifie de nouveau ; dans son Saint Martin (musée de Bassano), l'apparition soudaine, sur le fond sombre de la grotte, du saint en armes monté sur un cheval blanc rompt avec l'harmonie des compositions antérieures et introduit un souffle d'inquiétude. Cette orientation nouvelle s'affermit. L'interprétation des scènes de la Passion est plus tragique. L'ordonnance lumineuse est bouleversée par un sentiment angoissé, par un regain de fantaisie hallucinée. Fruit des expériences de jeunesse les plus hardies et né d'une confrontation avec les dernières méditations de Titien et de Tintoret (Suzanne et les vieillards, 1585, musée de Nîmes), l'exagération du contraste entre le clair et l'obscur, le langage intériorisé et dramatique de ses dernières œuvres est tout nouveau.

   L'artiste vécut paisiblement toute sa vie dans sa ville natale, travaillant pour les églises de Bassano et de ses environs, loin de Venise, où triomphèrent Véronèse et Tintoret. Il est pourtant, avec ces deux peintres, un des novateurs du Maniérisme vénitien. Il occupe à ce titre une position toute personnelle. Son art oscille entre deux tendances : l'une imaginaire et hallucinée, qui se retrouvera chez Greco ; l'autre naturaliste et luministe, à propos de laquelle on a parfois prononcé le nom de Velázquez et celui des Impressionnistes. Une rétrospective concernant l'artiste a été présentée (Bassano ; Fort Worth, Texas) en 1992-1993.

Les fils Bassano

Bassano eut quatre fils qui pratiquèrent la peinture : Francesco (Bassano 1549 – Venise 1592), Leandro (Bassano 1557 –Venise 1622), Gerolamo (Bassano 1566 – Venise 1621), Giambattista (Bassano 1553 – id. 1613). Deux d'entre eux connurent la notoriété. Francesco, établi à Venise en 1579, continua la production de scènes domestiques et champêtres. Il entreprit ensuite plusieurs œuvres dans la tradition de l'école de Tintoret (toiles dans les salles du Grand Conseil et du Scrutin au Palais ducal de Venise). Leandro, arrivé à Venise quelques années plus tard, se distingua dans le portrait et adapta la manière paternelle au goût de Venise à la fin du XVIe s. (série des Mois, Vienne, K. M.).

Bassetti (Marcantonio)

Peintre italien (Véronne 1586  – id.  1630).

Élève de F. Brusasorzi à Vérone, il se rendit ensuite à Venise, où il s'intéressa surtout à Tintoret. Un séjour à Rome, entre 1616 et 1620 environ, fut déterminant pour la formation de sa personnalité, qui mériterait bien plus d'attention qu'on ne lui en a accordé jusqu'ici. Dès sa première œuvre romaine, en effet, il montra une réaction toute personnelle aux principes du Caravagisme (Complainte sur le Christ mort, Rome, Gal. Borghèse), auquel il parvint sans doute par l'intermédiaire de Borgianni et de Saraceni, qui l'avait accueilli dans son cercle et avec qui il collabora, en compagnie de Turchi, à la décoration à fresque de la Sala Regia au Quirinal. Le dépassement de la tradition maniériste, aussi bien celle de Vérone que celle de Venise, n'est pas pour lui, comme pour beaucoup d'autres caravagesques, un processus laborieux de libération ; il s'agit d'un acte polémique accompli en premier lieu sur les schémas que cette même tradition lui avait transmis, qu'il adopte volontairement pour les opposer à la nouvelle vision et, en quelque sorte, les caricaturer. Il en résulte un langage violent, très proche, dans son chef-d'œuvre, les Cinq Évêques de Vérone (Vérone, S. Stefano), de 1619, de celui du maître lombard. Lorsque Bassetti retourna dans sa ville, son ton se fit plus rustique, atteignant parfois des accents brutaux dans la recherche d'une puissante expressivité (Incrédulité de saint Thomas, Vérone, Castel Vecchio), ou bien sobre et contrôlé, dans certains portraits dont la force psychologique a été, non sans raison, comparée à celle de Rembrandt (Saint Antoine lisant un livre ; vieillard avec un livre, id.). Dans le Couronnement de la Vierge de Sant'Anastasia de Vérone (vers 1628), il rejoint la grande tradition vénitienne. Avec Turchi et Ottino, ses compatriotes, il fit de Vérone l'un des principaux foyers caravagesques de l'Italie du Nord ; il fut, de ce trio, la personnalité la plus forte.