Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
I

imagerie en Europe (suite)

Pays-Bas

L'image représentant la Vierge, entourée des saintes Catherine, Barbe, Dorothée et Marguerite, découverte à Malines, collée dans un coffre, date-t-elle de 1418 ? Ce point a soulevé bien des controverses. Il est certain que l'on trouve aux Pays-Bas plusieurs centaines d'images imprimées av. 1500. Celles-ci ont, pour la plupart, un caractère religieux. Certaines d'entre elles portent le nom des couvents qui les éditaient et où, peut-être, on les gravait. On doit aux carmélites déchaussées de Liège, réfugiées au couvent de Notre-Dame-de-la-Consolation à Vilvorde, près de Bruxelles, des images gravées sur bois, belles et bien mises en page, telles qu'une Vierge à l'Enfant et une Sainte Famille. Un encadrement de fleurs, de fruits et d'emblèmes entoure les images ; il se retrouvera dans des figurations d'esprit similaire aux XVIe et XVIIe s. Des images plus simples étaient gravées au couvent de Béthanie à Malines.

   Les images retrouvées dans les 25 manuscrits de la bibl. de Liège, provenant de l'abbaye des Bénédictins de Saint-Trond, dans le Limbourg belge, sont d'une inspiration et d'une technique différentes. La matière employée est autre ; c'est le cuivre qui semble avoir été préféré. Le bois n'est pas pour autant complètement abandonné.

   Cette tradition de la gravure sur cuivre pour représenter le Christ, la Vierge, les saints va se maintenir fidèlement dans la partie des Pays-Bas restée catholique après la Réforme, à Anvers surtout, au XVIe et jusqu'au XVIIIe s. La vente cesse d'être le monopole des couvents : elle passe aux mains des marchands. Ce n'est pas le hasard qui fait d'Anvers la principale ville où se fabriquent les images de dévotion. Il s'était établi autour de l'imprimerie de Christophe Plantin des ateliers de gravure sur cuivre. Ces ateliers vont fournir des images de saints de petit format, richement enluminées et entourées de fruits, de fleurs et d'emblèmes peints à la main dans un encadrement dépassant parfois en importance la gravure. Sous l'impulsion des Jésuites, ces images sont imprimées par milliers ; il en figure 81 900 sur l'inventaire fait à la mort de Jan Galle en 1676. Ces images sont propagées en Hollande, en Allemagne, en Hongrie, en Espagne et en Amérique du Sud. Leur production est l'œuvre de familles de graveurs. Les Galle, Philipp (v. 1570), Theodor (jusqu'en 1640), Jan (en 1676), les Van Merlen, les Wierix et les Bouttats sont les plus célèbres. Leurs femmes leur sont associées comme coloristes ou comme chefs d'atelier. La vogue de ces images subsistera jusqu'à la fin du XIXe s. sans que de nouvelles soient gravées, les cuivres continuant à servir. Coloriées alors sans invention, employées à toutes fins pieuses, ces images perdront leur importance. Bouttats, au milieu du XVIIIe s., abandonne l'imagerie religieuse et traite les thèmes de l'époque : l'Opération céphalique, le Degré des grands, le Combat pour la culotte. En ce même temps, les Pays-Bas de Hollande, acquis aux idées de la Réforme dès 1518, refusent les feuilles de saints et manifestent leurs croyances dans des images bibliques, destinées à l'édification et à l'éducation. Les artistes exploitent au profit des idées nouvelles les grands thèmes que l'on retrouve à la même époque en Allemagne, en France, en Italie : la Roue de la Fortune, le Degré des âges, des grandes figures de grotesques, la Bataille des rats contre les chats, le Temps présent, la Truie qui file. Les meilleures pièces sont des images de combat, satiriques et pleines de verve. Elles ont des couleurs belles et franches. Au XVIe s., on peut retenir le nom de cinq de leurs éditeurs : deux à Amsterdam, Cornelis Anthonisz Theunissen et Jan Ewoutsz, un à Kampen, Peter Warnesoen, et deux à Anvers, Jehan Liefrinck (v. 1538) et Sylvester Van Parys.

   Au XVIIe  s., c'est Amsterdam qui devient le centre de production d'images le plus important de l'Europe avec Theunis Lootsman entre 1607 et 1650, son gendre Van der Putte, dont la firme utilisera les mêmes bois pendant cent cinquante ans, Michel de Groot (de 1634 à 1680), son fils Gysbert (1660-1692), et, jusqu'au milieu du XVIIIe s., Jost Broerz (1634-1647), Paulus Mathysz (1640-1684), Jan Boumann (1642-1673) et ses descendants. On voit apparaître, d'abord timidement au XVIe s., puis de plus en plus fréquemment, les images compartimentées racontant en plusieurs illustrations sur une seule feuille, soulignées ou non d'un texte, des épisodes de la Bible, des récits d'aventures légendaires, des soldats, des métiers, des animaux. Gysbert de Groot édite de cette façon la Tentation du Christ par le diable, le Mât de cocagne, des oiseaux, et Van der Putte la Vie de saint Paul, les Boiteux, les Saisons. Au XVIIIe s., la vogue et, par conséquent, la demande s'accroissent ; les ateliers de Deventer, de Haarlem, de Leyde, de Bois-le-Duc prennent de l'importance. Leur production est d'un esprit fort semblable à celui de la littérature de colportage, du théâtre populaire et du théâtre de marionnettes. À partir de 1750, Rynders, à Amsterdam, édite un très grand nombre de ces images avec un bonheur inégal. Ses héritiers ne feront plus qu'une imagerie narrative, adaptée à la jeunesse dans un but didactique : Robinson Crusoé, les Fables de La Fontaine, les Contes de Perrault. Au XIXe s., la maison Brepols de Turnhout inondera de sa production d'images l'Europe jusqu'à la Russie. Jacques Brepols, le fondateur (1778-1845), avait racheté des bois à J.-H. Le Tellier de Lierre († 1809). Il en acquit d'autres de provenances diverses et en fit graver beaucoup. Il les imprima et les fit colorier de façon si agréable qu'il s'en vendit un grand nombre. Commerçant habile, il sut exploiter le succès dû à son talent en s'adjoignant de nombreux revendeurs, dont certains avaient leur nom imprimé en place du sien. Son catalogue de 1 395 numéros comporte 73 histoires avec des légendes en français et 73 autres en néerlandais. Sa fille, veuve de J. J. Dierck, continua la fabrication des images, qu'elle imprima jusqu'en 1860 sous la marque " B et D " ou " B ". Jean-Guillaume Dierck, son fils, épousa en 1860 Joséphine Dessauer, qui, lorsqu'il mourut, se remaria avec Arthur Dufour, dont les descendants ont dirigé les établissements Brepols jusqu'en 1930. Leurs estampes sont parmi les meilleures images imprimées de cette époque.

Italie

En 1441, le Sénat de Venise doit prendre un décret pour protéger " les arts et métiers de cartes et images qui se font à Venise ". Des rapports étroits entre imprimeurs allemands et néerlandais et imprimeurs italiens existent et se perpétueront. En 1476, Erhardhus Ratdolt et Bernardus Pictor d'Augsbourg s'établissent à Venise, et, en 1497, L. Pachel et M. Schinzenzeller à Milan. Au XVIe s., Antoine Lafrery vient à Rome et Nicolas Beatrizet, au XVIIe s., y vient aussi. Les étrangers sont attirés par la culture humaniste et par la liberté d'expression, que ne limitent ni les statuts corporatifs ni les réglementations policières ; seule la figuration des images religieuses est strictement ordonnancée par les autorités ecclésiastiques. Autre séduction, celle de l'édition et de la vente des estampes dans un pays où l'œuvre raffinée de l'artiste connu voisine avec l'image populaire. Ainsi, le catalogue de Lafrery propose des gravures de Michel-Ange et de Raphaël en même temps que les Âges de l'homme.

   Rien, ni cet apport étranger, ni les divisions politiques, ni les dominations successives, ne peut modifier le caractère traditionnel de l'imagerie italienne, qui est l'émanation de la vie et de l'esprit du peuple. Le savant est mêlé au populaire, le sacré au profane, et cette dualité se retrouve dans les thèmes et dans les techniques.

   La première image connue, la Madonna del Fuoco, serait antérieure à 1428. Un Saint Thomas imprimé à Venise en 1450 et un Saint Bernardin de Sienne à Ferrare en 1470 sont des gravures sur bois, ainsi que le Singe qui file, l'Homme déguisé en renard, la Dispute du mort et du vivant et bien d'autres sujets allégoriques. À la même époque, Maso Finiguerra utilise à des fins d'impression la gravure sur cuivre apprise dans les ateliers d'orfèvre ; il illustre la série des Planètes (1450-1455).

   La technique de la gravure sur cuivre prévaudra au XVIe s. Quelques artistes excellent en cette manière. Ferranti Bertelli et son fils Cristoforo, établi à Rome, signent le Degré des âges de l'homme et le Degré des âges de la femme ; Nicolo Nelli, à Rome, grave en taille-douce Vénérable Poltroneria reine de cocagne en 1565, Ferranti Bertelli, à Venise, le Triomphe de Carnaval au pays de cocagne en 1569, son fils Cristoforo, le Degré des âges de l'homme et de la femme, Antony de Paulis, à Rome, les Tricheries du monde. Le tournant décisif de l'imagerie italienne est pris en 1630. À cette date, l'édition, la vente et sans doute la gravure seront monopolisées par quelques familles seulement, et ce jusqu'à la fin du XIXe s.

   L'œuvre des Mitelli de Bologne (1634-1718) a la plus grande importance dans ce changement ; elle est le trait d'union entre le XVIe et le XVIIe s. Mitelli a succédé en 1634 à Giulio Cesare Croce. Ses images représentent la vie quotidienne du peuple italien au moment où elle est en train de se transformer. Elles décrivent les fêtes, les carnavals, les jeux, les personnages de foire et de comédie avec un réalisme sans outrance. Mitelli décrit aussi une actualité éphémère : la guerre contre les Turcs, la disette de Bologne, l'envahissement de 1709 par Catinat, et il le fait avec des jeux de mots et beaucoup d'ironie. L'ensemble de son œuvre est connu par les retirages qu'en fit Lelio dalla Volpe en 1736.

   Dans les mêmes années, les Soliani (1640-1870) s'installent à Modène. Leur catalogue, comme celui de Lafrery (1572) ou celui des frères Vaccari (1604-1614) avant le leur, énumère, à côté des œuvres de maîtres, des gravures populaires. Ils proposent les grandes planches imprimées d'après des bois du XVe s. qu'ils ont rachetés (la Madone de Lorette, le Singe qui file), des feuilles illustrées de bois du XVIe s. (les Paladins, l'Arbre de fortune), de nombreux sujets populaires, des alphabets, des calendriers, des almanachs. Cet ensemble comprend 1 653 bois, dont 851 sont des sujets religieux et 802 des sujets profanes. Ils sont actuellement conservés au Castello Sforzesco de Milan, après avoir été rachetés par le collectionneur Achille Bertarelli à un marchand milanais qui, vers 1890, en refaisait encore des tirages.

   Une autre famille, les Remondini de Bassano (1650-1860), occupe la place la plus importante dans l'imagerie italienne. Son fondateur, Giovanni Antonio, est un ferronnier qui devient imprimeur v. 1650. Lui et ses descendants ont un très large éventail de publications et ils font montre d'un sens commercial très développé. Giuseppe Remondini exporte ses estampes dans le monde entier : en Russie et dans les autres pays d'Europe, en Amérique du Sud ainsi que dans certaines régions d'Asie et d'Afrique. Les textes et les légendes sont imprimés en italien, en latin, en français, en espagnol, en allemand, en russe, en grec, en arménien. Il installe des succursales à Augsbourg et rue Saint-Jacques à Paris. Les Remondini publient de nombreux catalogues ; le plus riche étant celui de 1784, qui comporte une liste de 6 352 images et estampes variées, dont le plus grand nombre sont populaires.

   Les activités des Soliani et des Remondini se maintiennent après l'arrivée de Bonaparte en Italie en 1796, mais les guerres et les remaniements du territoire se répercutent dans la représentation des thèmes traditionnels. De plus, l'influence de l'imagerie française se fait particulièrement sentir et est déterminante.

   Bartolomeo et Achille Pinelli renouvellent complètement le genre au XIXe s. Ils l'introduisent dans la vie politique, sans abandonner pour autant les descriptions de la vie de chaque jour. Leurs gravures, assez médiocres, sont accompagnées, pour beaucoup d'entre elles, de chansons et de textes dont un certain nombre est consacré aux événements vécus du Risorgimento. Des chanteurs vendent ces images dans les rues. La grande vogue de ce témoignage du romantisme populaire adapté à l'événement subsistera jusqu'après la Première Guerre mondiale. Adriano Salani, à Florence, et G. Campi, à Foligno, publient des almanachs et des chansons inspirées des fumetti, que l'on entend encore de nos jours.