Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Delahaut (Jo)

Peintre belge (Vottem 1911  – Liège 1992).

Delahaut effectue ses études de 1928 à 1934 à l'Académie de Liège ainsi qu'à l'université, où ses études d'histoire de l'art le conduisent jusqu'au doctorat. À partir de 1940, ses débuts sont marqués par le Fauvisme. Installé à Bruxelles en 1945, il réalise ses premières œuvres abstraites et fait partie, l'année suivante, du groupe de la Jeune Peinture belge. Dès 1947, il expose au Salon des Réalités Nouvelles à Paris : sa manière est alors influencée par celle de Herbin et de Magnelli. À partir de 1949, et pour une période d'une dizaine d'années, il collabore à la revue parisienne Art d'aujourd'hui. En 1952, il est cofondateur du groupe " Art abstrait " à Bruxelles. Il trouve véritablement son style à partir de 1953, en utilisant notamment une forme qui lui sert de module, un demi-cercle ou un rectangle dont un angle est arrondi, dans des compositions fondées sur l'horizontale et la verticale où les couleurs utilisées par l'artiste sont peu nombreuses et disposées en aplat (Rythmes incas, 1954, Bruxelles, M. R. B. A.). À partir de 1960, il conduit son art vers la simplification en ayant recours à un petit nombre restreint de formes, de surfaces et de couleurs : Infini (1960, Bruxelles, M. R. B. A.) est seulement composé d'un cercle rouge coupé par les bords du tableau, le reste de la surface étant de couleur violette. Son art est alors très proche du Hard Edge américain dont Ellsworth Kelly fut un des pionniers (Émerzude — vert et gris, 1991). L'artiste réalise aussi à ce moment de nombreux reliefs et transpose ses recherches dans le domaine architectural : il décore ainsi une station de métro à Bruxelles en 1975. Jo Delahaut a été professeur à l'École nationale supérieure d'architecture et d'art visuel de Bruxelles. Il est représenté dans tous les musées belges. En 1982, une rétrospective de son œuvre a été organisée à Bruxelles aux M. R. B. A.

Delaroche (Hyppolyte, dit Paul)

Peintre français (Paris 1797  –id. 1856).

Né dans une famille fortunée, il fut élève de Watelet, puis de Gros. Il débuta au Salon de 1822 avec Joas sauvé par Josabeth (musée de Troyes), qui lui valut les compliments de Géricault, et exposa ensuite régulièrement au Salon : Filippo Lippi et Lucrezia, Salon de 1824 (Dijon, musée Magnin), la Prise du Trocadéro, Salon de 1827 (Versailles), la Mort d'Élisabeth d'Angleterre, Salon de 1827 (Louvre). Vite acquise, sa notoriété s'accrut encore après la révolution de 1830 : Cromwell et Charles Ier, Salon de 1831 (musée de Nîmes), Richelieu et Cinq-Mars sur le Rhône, la Mort de Mazarin, Salon de 1831 (Londres, Wallace Coll.), les Enfants d'Édouard, Salon de 1831 (Louvre, esquisse à la Wallace Coll. de Londres), le Supplice de Jane Grey, Salon de 1834 (Londres, N. G.), l'Assassinat du duc de Guise, Salon de 1835 (Chantilly, musée Condé ; esquisse à la Wallace Coll.), œuvres dont le romantisme s'arrête au sujet pour se figer dans une facture probe et retenue, qui étaient bien faites pour séduire une société bourgeoise parvenue au pouvoir, éprise de " juste milieu ". Le souci d'un tel équilibre l'entraîna vers un académisme qui affaiblit aussi bien ses tableaux de chevalet que ses décorations murales (Hémicycle de l'École des beaux-arts, Paris, peint de 1837 à 1841 ; première esquisse au musée de Nantes). Auteur d'une des plus célèbres images de la légende napoléonienne, le Bonaparte franchissant les Alpes (1848, Louvre), il exécuta aussi des tableaux religieux : Vierge à l'Enfant (1844, Londres, Wallace Coll.), la Jeune Martyre (1855, Louvre ; esquisse à l'Ermitage), Sainte Véronique (1856, Louvre), et fit œuvre de portraitiste : le Marquis de Pastoret (musée de Bayonne ; Boston, M. F. A.) ; le Duc d'Angoulême, 1828, Versailles ; le Prince de Carignan, id. Le Louvre conserve un bel ensemble de dessins préparatoires à ses compositions peintes.

Delaunay (Jules-Élie)

Peintre français (Nantes 1828  – Paris 1891).

Formé dans les ateliers de Lamothe et d'Hippolyte Flandrin, prix de Rome (1856), artiste d'un éclectisme adroit hérité de l'Ingrisme, il se consacra principalement à la peinture d'histoire (la Peste à Rome, 1869, musée d'Orsay ; le Serment de Brutus, 1861, musée de Tours ; Ixion à son supplice, 1876, musée de Nantes ; David triomphant, 1874, id.) et au portrait. Auteur de décorations murales à Paris (Conseil d'État, Hôtel de Ville, Panthéon, Opéra et hôtels particuliers), il est représenté au musée de Nantes par une importante série de portraits, souvent remarquables (la Mère de l'artiste, 1869), et de compositions. Une exposition lui a été consacrée en 1988-89 (Nantes, musée des B.-A. ; Paris, musée Hébert).

Delaunay (Robert)

Peintre français (Paris 1885  –Montpellier 1941).

L'aventure esthétique qui mena Robert et Sonia Delaunay de Gauguin et Cézanne à l'Abstraction, dont ils furent parmi les pionniers, est, sans nul doute, l'une des plus représentatives de l'évolution de l'art contemporain.

La période " destructive "

Robert Delaunay fut d'abord touché par l'Impressionnisme, puis par la période bretonne de Gauguin. Il subit ensuite, en 1906, une forte influence du Néo-Impressionnisme, mais c'est la leçon de Cézanne qui devait donner l'impulsion décisive à son esprit créateur en l'amenant notamment à poser le délicat problème de la non-coïncidence entre le volume et la couleur, un des problèmes clefs du Cubisme, qu'il résolut du reste de manière très personnelle, en particulier dans son célèbre Autoportrait de 1909 (Paris, M. N. A. M.). Son cubisme fut au demeurant extrêmement original. Dès 1906, le peintre avait entouré les motifs les plus éclairés par une sorte de halo lumineux. Dans la série des Saint-Séverin (1909-10, New York, Guggenheim Museum ; Philadelphie, Museum of Art ; Minneapolis, Inst. of Art ; Stockholm, Nm), qui ouvre sa période cubiste, la lumière incurve les lignes des piliers et brise celles de la voûte et du sol. Ce processus de désintégration de la forme s'accentue encore dans les nombreuses Tour Eiffel que l'artiste peint entre 1909 et 1911 (New York, Guggenheim Museum ; musée de Bâle). Le schéma constructif traditionnel du tableau est alors définitivement désarticulé. Sous l'action dissolvante de la lumière qui fuse de partout, l'image descriptive éclate en fragments distincts, obéissant à des perspectives différentes et parfois opposées. Aussi, la composition ne consiste-t-elle plus désormais à agencer les divers éléments figuratifs de manière harmonieuse, mais à obtenir une synthèse d'éléments formels juxtaposés, à laquelle l'indépendance relative des parties apporte un caractère de mobilité inconnu jusqu'alors.

   Delaunay s'était d'ailleurs rapidement convaincu que le dessin linéaire était un héritage de l'esthétique classique et que tout retour à la ligne devait fatalement ramener à un état d'esprit descriptif, erreur qu'il dénonçait chez les autres cubistes, dont les toiles analytiques lui semblaient " peintes avec des toiles d'araignées ". C'est pourquoi, après l'avoir brisée, il s'efforce de la faire disparaître totalement. Dans les Villes de 1910-11 (Paris, M. N. A. M.), il revient à la touche divisée de sa période néo-impressionniste, qui lui permet de délimiter les formes sans recourir au dessin, puis, dans ses paysages de Laon, du début de 1912 (id.), il adopte une technique essentiellement chromatique qu'il n'abandonnera plus. Désormais, en effet, la forme est donnée par la seule juxtaposition des plages colorées, et l'espace rendu uniquement par les différences de tonalité des couleurs, à l'exclusion de tout tracé linéaire. L'immense toile de la Ville de Paris (1909-1912, id. ; dépôt au M. A. M. de la ville de Paris) résume et clôt cette période, que Delaunay appelait sa " période destructive ".

La période constructive. L'Orphisme

C'est en 1912, avec la série des Fenêtres (musée de Grenoble ; Philadelphie, Museum of Art), qu'il eut " l'idée d'une peinture qui — disait-il — ne tiendrait techniquement que de la couleur, des contrastes de couleur, mais se développant dans le temps et se percevant simultanément, d'un seul coup ". Aucun artiste en France, même chez les fauves, n'avait encore osé faire de la couleur l'unique objet de la peinture, et c'est ce que Delaunay voulait exprimer lorsqu'il affirmait que la couleur avait toujours été considérée avant lui comme un " coloriage ". Pour lui, au contraire, elle pouvait se suffire à elle-même. Désormais, elle remplace tous les autres moyens picturaux — dessin, volume, perspective, clair-obscur. Non que le but auquel ces moyens permettaient d'atteindre soit lui-même totalement aboli, mais c'est par la couleur que Delaunay comptait y arriver. C'est elle qui donne à la fois la forme, la profondeur, la composition et même le sujet. Et c'est en cela que réside le caractère révolutionnaire de son œuvre, car, ainsi qu'il aimait à le répéter, " pour vraiment créer une expression nouvelle, il faut des moyens entièrement nouveaux ". Dans les Fenêtres, l'espace n'est plus rendu par la perspective linéaire ou aérienne, mais par des contrastes de couleurs qui créent une profondeur délivrée de tout recours, même voilé, au clair-obscur. Avec la série des Formes circulaires (1912-13, New York, M. O. M. A. ; Amsterdam, Stedelijk Museum), Delaunay découvre une autre qualité de la couleur : son pouvoir dynamique. Il remarque, en effet, qu'en juxtaposant les couleurs il obtient des vibrations plus ou moins rapides selon leur voisinage, leur intensité, leur superficie, et qu'il peut donc créer des mouvements, les contrôler à son gré, les faire entrer en composition. Ce qui distingue son dynamisme de celui des futuristes, c'est qu'il ne s'agit pas d'une description du mouvement, mais d'une mobilité purement physique des couleurs.

   Très personnelle également est sa conception de l'Abstraction. Si le Disque et les Formes circulaires sont des œuvres entièrement non figuratives qui le classent indubitablement parmi les pionniers de la peinture abstraite, sa conception, toutefois, n'a rien de systématique. Ce qui est important à ses yeux, en effet, ce n'est pas que le tableau soit délivré de toute référence visuelle à la nature extérieure, mais que sa technique soit " antidescriptive ". C'est le cas dans l'Équipe de Cardiff de 1912-13 (Paris, M. A. M. de la Ville) et l'Hommage à Blériot de 1914 (Paris, M. N. A. M. ; musée de Grenoble), dont les sujets n'ont qu'une importance subsidiaire, mais dont la technique marque un net progrès dans la maîtrise de la couleur. Les contrastes sont plus expressifs, les rythmes s'enchaînent sans solution de continuité. Dans l'Hommage à Blériot, enfin, les rythmes hélicoïdaux des Formes circulaires se transforment en disques, disposition formelle permettant une meilleure utilisation des contrastes et une plus grande continuité dans l'expression du mouvement.