Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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fauvisme

Comme l'Impressionnisme et le Cubisme, le Fauvisme — mouvement pictural dont les débuts se situent vers 1899 et qui se termine vers 1905 — doit son nom au mot de Louis Vauxcelles à propos de la salle du Salon d'automne de 1905, où s'étaient groupés les artistes du mouvement et au milieu de laquelle le sculpteur Marque exposait un torse italianisant ; le critique, répétant peut-être un mot qui courait déjà, avait écrit dans son compte rendu : " La candeur de ce buste surprend au milieu de l'orgie des tons purs : Donatello parmi les fauves " (Gil Blas, 17-10-1905). Cette " Cage aux fauves " réunissait, dans la salle VII, les œuvres de Camoin, de Flandrin, de Matisse, de Marquet, de Rouault, tous les élèves de G. Moreau, et, dans la salle contiguë, celles de Derain, de Van Dongen, de Vlaminck. Exposaient également, mais dispersés, d'Espagnat, Friesz, Laprade, Puy et Valtat (précurseurs, proches ou futurs fauves). Ni Braque, ni Dufy n'étaient représentés cette année-là.

   En réalité, le Fauvisme, qui réunit pour quelques années quelques-uns des principaux peintres du XXe s., correspond plus à une phase commune de recherches, en quelque sorte scellée par le succès de scandale, qu'à un véritable mouvement esthétique doté d'un programme. Le Salon d'automne de 1905 consacre une peinture existant de fait depuis près de cinq ans, œuvre de jeunes artistes qui, souvent, ne se connaissaient pas. Cette peinture s'était affirmée par poussées successives, " d'abord discontinues, intermittentes, qui finalement convergent et s'embrasent en brève et somptueuse flambée " (Jean Leymarie).

   Si l'on veut définir ce qu'ont de commun et de nouveau les toiles fauves, on parvient à des données très simples : exaltation de la couleur pure, rejet de la perspective et des valeurs de l'art classique, rejet également de l'espace, de la lumière et du naturalisme impressionnistes. Pourtant, plus que d'une explosion spontanée, le Fauvisme naît au point de rencontre de trois traditions apparemment contradictoires du Post-Impressionnisme : Gauguin, le Néo-Impressionnisme et Van Gogh.

Les sources

C'est en effet la leçon de Gauguin que Derain, Vlaminck et Matisse vont porter à son épanouissement ; à vrai dire, il s'agit surtout de l'interprétation de Gauguin, diffusée dans les ateliers v. 1890 auprès des futures Nabis par Sérusier, muni du fameux Talisman (Paris, musée d'Orsay), ou des réflexions théoriques de l'artiste, car les harmonies sourdes et suaves du peintre des tropiques restent bien souvent en deçà de ses déclarations sur la couleur pure. Mais il demeure dans de nombreuses toiles fauves, surtout celles de Matisse et de Derain, un écho de son cloisonnisme, de son organisation de la couleur en aplats ou cernée d'arabesque (Derain : l'Estaque, trois arbres, 1906), de son arbitraire poétique dans le coloris et souvent un hommage à ses thèmes édéniques (Matisse : la Joie de vivre, 1905-1906, Merion, Penns., Barnes Foundation).

   L'influence du Néo-Impressionnisme est historiquement plus nette, non pas celle du divisionnisme poético-mathématique de Seurat, mort depuis dix ans, mais celle, plus contemporaine, des mosaïques violemment colorées de Cross et de Signac. D'autre part, l'ouvrage didactique de Signac, paru en 1899, D'Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme, histoire de la libération progressive de la couleur, avait particulièrement intéressé les jeunes artistes à la fin du siècle. Matisse et Marquet s'étaient déjà essayés au Pointillisme en 1898, mais c'est surtout au cours de l'été de 1904, passé à Saint-Tropez, près de Cross et de Signac, que Matisse s'astreindra méthodiquement à la touche pointillée et au jeu des couleurs pures complémentaires (Luxe, calme et volupté, 1904, Paris, M. N. A. M., dépôt au musée d'Orsay). Derain donnera du Néo-Impressionnisme une version moins dogmatique et plus haute en couleur (Collioure, 1905, Troyes, musée des B.-A., donation P. Lévy ; Reflets sur l'eau, 1905-1906, musée de Saint-Tropez).

   Un autre artiste, Valtat, installé, comme Cross et Signac, dans le sud de la France, envoyait au Salon des indépendants, dès la fin du siècle, des paysages à larges touches et aux couleurs violentes, qui, sans être encore divisionnistes ou déjà fauves, ne manquèrent pas d'être remarqués par les jeunes artistes. Son rôle de précurseur et de compagnon de route des fauves semble aujourd'hui de plus en plus évident. Et, pourtant, l'esprit même des toiles fauves de Derain, de Vlaminck et surtout de Friesz a sa source dans l'art de Van Gogh, dont la grande rétrospective chez Bernheim-Jeune en 1901 eut, pour beaucoup, l'effet d'une révélation. Le Fauvisme a donc mûri très diversement. Un des hauts lieux de sa naissance est, curieusement, l'École des beaux-arts de Paris, où un professeur très libéral, Gustave Moreau, sut encourager des tendances pourtant bien éloignées de ses préciosités symbolistes. " N'affirmait-il pas à ses élèves qu'en art plus les moyens sont élémentaires, plus la sensibilité apparaît ? " Dans l'atelier de Moreau, qui enseigna de 1892 à sa mort, en 1898, furent inscrits régulièrement Piot (1891), Lehmann (1893), Marquet (1895) et Camoin (1898). D'autres peintres étaient inscrits chez Élie Delaunay, mais ils quittèrent cet atelier pour celui que fréquentaient Bussy, Bonhomme, Rouault. Matisse, lui, y alla en élève libre. De cette période datent des tableaux déjà " fauves " par leurs couleurs vives et leurs touches violemment contrastées, comme le Paysage de Corse de Matisse (1898, musée de Bordeaux) et le Nu fauve de Marquet (id.). Après cette période préfauve, Matisse et Marquet vont, de 1900 à 1903, orienter leurs recherches plutôt vers les problèmes de composition et de simplification de l'espace que vers celui de la couleur.

L'école de Chatou

À la même époque, deux très jeunes peintres travaillant à Chatou, Derain et Vlaminck, élaboraient spontanément un art coloré et violent. Le premier connaissait déjà les tentatives de Matisse, qu'il avait vu peindre à l'Académie Carrière, et le second, " fauve d'instinct ", s'était si bien identifié à un style qui correspondait à son exubérante et truculente vitalité qu'il a pu s'écrier plus tard en toute bonne foi : " Ce qu'est le Fauvisme ? C'est moi, c'est ma manière de cette époque, ma façon de me révolter et de me délivrer ensemble " (dans Tournant dangereux, Paris, 1929). La rétrospective Van Gogh de 1901 lui inspirera d'emblée un expressionnisme fiévreux et affectif, dont le meilleur s'épanouira de 1904 à 1907 (Portrait de Derain, 1905 ; la Partie de campagne, 1905 ; les Arbres rouges, 1906, Paris, M. N. A. M.) et dont il décrit lui-même, toujours en 1929, la technique : " Je haussais tous les tons, je transposais, dans une orchestration de couleurs pures, tous les sentiments qui m'étaient perceptibles. " Derain, dont la période fauve est peut-être la plus heureuse et, en tout cas, la plus puissante de son œuvre, trouva dans ses paysages de Collioure et de Londres (Westminster et Reflets sur l'eau, 1905-1906, musée de Saint-Tropez), un équilibre très personnel entre la fougue de Vlaminck et la science de Matisse.

   Ce dernier, après une brève mais fructueuse phase néo-impressionniste en 1905, se livre à une expérimentation méthodique des possibilités de la couleur pure, soumise à une construction rigoureuse (Portrait à la raie verte, 1905, Copenhague, S. M. f. K.), avant d'être davantage attentif à la ligne et au rythme à partir de 1906 (la Joie de vivre, Merion, Penns., Barnes Foundation) ; Marguerite, 1906-1907 (Paris, musée Picasso, anc. coll. Picasso).

   La même organisation décorative sous-tend le jeu des couleurs pures dès 1906 chez Raoul Dufy et Albert Marquet, mais avec un respect de la lumière traditionnelle qui fait d'eux en quelque manière des " fauves impressionnistes ", en particulier dans les paysages de Fécamp (1904) et de Sainte-Adresse, près du Havre (1905-1906), où ils travaillent côte à côte sur le motif.

Braque et Friesz

Braque adopte le Fauvisme en 1906 à Anvers, où il peint aux côtés d'Othon Friesz, mais ses toiles fauves souveraines datent de l'année suivante (Paysage à La Ciotat, Troyes, musée des B.-A., donation P. Lévy ; La Ciotat, Paris, M. N. A. M.). Sa production fait alors preuve d'une puissance, d'un sens organique et analytique des formes qui se situent très loin des frénésies de Vlaminck, des effets décoratifs de Derain ou de la sensibilité atmosphérique et de l'humour d'un Marquet ou d'un Dufy.

   Ainsi, dès 1906-1907, peut-on parler de peintres fauves plus que d'une peinture fauve : chaque artiste oriente peu à peu dans une direction différente la fièvre coloriste qui les avait rapprochés. Au même moment, le mouvement prend une extension européenne avec Die Brücke, à Dresde, puis se développe dans un sens expressionniste, qui était, à travers Vlaminck et Van Dongen, une de ses composantes, et enfin, avec le Blaue Reiter, débouche sur l'Abstraction (1911).

   Bien qu'il n'ait pas été soutenu par une véritable théorie ou même des intentions nettement formulées, le Fauvisme répond parfaitement à la sensibilité de ce début du XXe s. À la nouvelle et quotidienne poésie de l'électricité, de la vitesse, de l'intensité et du dynamisme modernes correspondent dans la peinture fauve l'exaltation de la couleur pure et la violence de la touche, comme la rapidité de l'exécution ; au nouvel universalisme contemporain, où les civilisations exotiques provoquent un intérêt nouveau qui n'est plus seulement celui du pittoresque ou de l'ethnographie, répondent la " découverte " de l'art nègre par Derain, Matisse, Picasso et Vlaminck ou celle de l'art musulman par Matisse.

   Ce nouveau style des environs de 1905, simplifié, sensualiste et exubérant, n'allait pas tarder à entraîner, souvent chez ceux-là mêmes qui avaient participé au mouvement, une réaction ascétique ; celle-ci sera synthétique chez Matisse, néo-classique chez Derain, cubiste chez Braque. Mais le Fauvisme aura été l'explosion la plus généreuse et la plus joyeuse de l'art contemporain et répond à la prophétie que Gustave Moreau avait faite au seul Matisse : " Vous allez simplifier la peinture. "