Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Manuel Deutsch (Niklaus)

Peintre suisse (Berne  1484  – id.  1530).

Après son mariage en 1509 avec Katarina Frisching, il prit pour patronyme le prénom de son père, Emmanuel Allemann, apothicaire natif de Chieri, dans le Piémont, et ne conserva la traduction germanique de son nom que dans la composition de son monogramme : un poignard surmonté des initiales N. M. D. Dès 1512, il est député au Grand Conseil de Berne et, pendant quelques années, accompagne des troupes de mercenaires en Italie. De retour à Berne, il déploie une prodigieuse activité créatrice avant de rejoindre, en 1522, les armées d'Albrecht von Stein. Blessé à la main au siège de Novare, il assiste à la défaite de La Bicoque et rentre définitivement en Suisse. Bailli de Cerlier en 1523, il se jette dans les querelles politiques, diplomatiques et confessionnelles, délaissant son chevalet. En 1528, il entre au Petit Conseil.

   Nous ignorons tout des lieux et étapes de sa formation ; mais il semble que son éducation artistique ait été fort sommaire. L'artiste réalise v. 1508 les premières œuvres qui nous soient parvenues : quelques dessins et peintures sur verre de sujets guerriers à la manière d'Urs Graf (pour la plupart au musée de Bâle). Les difficultés financières pesèrent, semble-t-il, sur ses débuts, le contraignant à accepter indistinctement toutes les commandes, notamment la peinture de la voûte du chœur de la cathédrale de Berne et la fameuse Danse des morts du couvent des dominicains, que nous ne connaissons que par les médiocres copies d'Albrecht Kauw (1649, Berne, Musée historique). Ces œuvres, exécutées vers 1515-1516, ouvrent la phase la plus féconde de sa brève carrière artistique. Poète inventif et sensible, il souffrit de la précarité de sa formation. Aussi se dégage-t-il de la multiplicité des techniques, matériaux et thèmes qu'il aborda un style assez hétérogène. Il fit ses premières armes sous le signe du Gothique expressionniste de Hans Fries (Saint Luc peignant la Vierge, avec, au revers, la Naissance de la Vierge, musée de Berne). La composition, les couleurs, le rendu de l'espace sont ceux du maître fribourgeois, mais, au lieu du décor traditionnel, Manuel introduit des motifs renaissants glanés en Italie — amours, têtes ailées, guirlandes —, faisant ainsi, dans une certaine mesure, œuvre de novateur. Comme chez Hans Leu, le paysage prendra, au cours des années, une importance accrue : mélange de réalisme et de merveilleux dans une composition comme Pyrame et Thisbé (musée de Bâle), poétisé par la fraîcheur de la " tempera " ; sa conception impressionniste le rend plus atmosphérique que topographique. Les rapports organiques du terrain, ses détails, les personnages même, dans leurs attitudes maladroites, sont absorbés dans les nuances d'un clair-obscur à la fois tendre et sauvage. Par ailleurs, la maladresse du peintre à rendre les effets de perspective confère aux œuvres un caractère de tapisserie très frappant dans le Jugement de Pâris (musée de Bâle), dont le décor de feuillage sombre, sans profondeur, sert de repoussoir aux figures du premier plan, claires et colorées. Le chef-d'œuvre incontesté est une Décollation de saint Jean-Baptiste (v. 1520, musée de Bâle). Une atmosphère nocturne déchaînée, traversée d'éclairs sanglants, fait un écho poignant à l'intensité dramatique de la scène. Manuel rejoint ici la spiritualité d'un Dürer ou d'un Grünewald. Son œuvre dessiné, influencé par Dürer, puis par Baldung, est fort important, notamment les dessins à la pointe d'argent du carnet d'esquisses conservé au musée de Bâle : thèmes religieux et renaissants, figures populaires, soldats ou paysages, croqués sur le vif avec une grande liberté et un humour piquant, parfois évocateur de la calligraphie désinvolte d'Urs Graf. Des gravures sur bois nous n'avons conservé qu'une série d'illustrations de la parabole des Vierges sages et vierges folles (v. 1518, musée de Bâle). Vers 1522, Manuel Deutsch abandonne pratiquement toute activité artistique au profit de son œuvre de poète populaire, s'affirmant un défenseur ardent et un propagandiste polémique de la Réforme (le Pape et sa prêtrerie, " moralité de Carnaval " jouée en 1522, ou, de la même année, la satire Richard Malice, marchand d'indulgences). L'iconoclasme protestant influença certainement cet abandon de la peinture et ne manqua pas de plonger le virulent prosélyte dans un certain désarroi, ainsi que le suggère sa Plainte des pauvres idoles boutées hors des églises et des chapelles et brûlées, expression d'une des multiples contradictions de cette époque de violence et de poésie, déchirée dans ses aspirations morales et esthétiques entre l'héritage gothique et la Renaissance, transition douloureuse héroïquement incarnée par ces personnalités à facettes que furent Hans Leu, Urs Graf ou Manuel Deutsch.

Manzoni (Biagio)

Peintre italien .

Découvert par la critique, Manzoni se rattache au groupe des suiveurs provinciaux de Caravage, qui travaillèrent dans toute l'Italie et divulguèrent dans la première moitié du XVIIe s. les différents motifs de l'art du grand naturaliste lombard. On ne connaît qu'un petit nombre de ses peintures, dont un Martyre de saint Eutrope (Pin. de Faenza) et un Martyre de saint Sébastien (Louvre).

Manzoni (Piero)

Peintre italien (Soncino, Crémone, 1933  – Milan 1963).

Après ses premières œuvres, réalisées en 1956, Manzoni découvre en 1957, à Milan, les peintures monochromes d'Yves Klein, dont il fait aussi la connaissance. Manzoni va exécuter alors à partir de cette date des peintures intitulées Achromes, tableaux uniformément blancs, dont la particularité est d'être trempés dans une solution de plâtre et de colle et dont les formes sont données par le plissé ou la texture de la toile. Ses œuvres, qui ne sont pas éloignées de l'esprit de celles de Lucio Fontana, ne montrent rien que leur propre existence et n'ont pour Manzoni aucune signification symbolique. Manzoni se montre ainsi très proche des préoccupations du groupe hollandais Zero, avec lequel il exposera quelque temps plus tard. S'étant lié avec Enrico Castellani, il va publier une revue, Azimut, en 1959, puis ouvre à la fin de l'année, à Milan, une galerie du même nom, dont la manifestation inaugurale sera constituée par la présentation de lignes continues, qui mesurent parfois plusieurs kilomètres de long et sont tracées sur des rouleaux de papier enfermés dans un cylindre. La galerie cessera son activité à la fin de 1960. À ce moment, Piero Manzoni, dont l'attitude provocatrice évoque beaucoup celle des dadaïstes (il présente en 1961 des boîtes de conserve qui renferment ses excréments et qu'il intitule Merde d'artiste ; le Socle du monde de la même année est constitué d'un cube posé au sol avec l'inscription " Socle du monde " écrite à l'envers ; ses " sculptures vivantes " sont des personnes sur le corps desquels il a apposé sa signature et à qui il a délivré des " certificats d'authenticité "), se trouve proche des Nouveaux Réalistes français, en particulier d'Yves Klein, d'Arman et de Tinguely. Il entreprend, en 1960, une nouvelle série de tableaux, aussi intitulés Achromes, beaucoup plus neutre encore que la précédente et conçue avec des matériaux très divers (tampons de coton hydrophile, tiges de blé, laine de verre, carrés de tissu blanc cousus entre eux).

   Piero Manzoni meurt prématurément, en 1963, en laissant une œuvre inachevée mais qui témoigne de son audace, de sa capacité d'invention et de sa faculté de prémonition. Une rétrospective lui a été consacrée (M. A. M. de la ville de Paris) en 1991.