Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
R

romane (peinture) (suite)

Les écoles régionales

La notion d'école régionale, issue de la volonté de classification du XIXe s. et analogue à celles de l'architecture et de la sculpture, a semblé répondre à certaines réalités de technique et de style. Mais elle se heurte, si l'analyse des œuvres devient plus précise, à de sérieux obstacles : la chronologie incertaine en est le plus grave. On risque de vouloir, comme le fit autrefois Laffilée pour la vallée du Loir en France, arbitrairement grouper des œuvres différentes dans le temps et donc d'inflexions stylistiques contrastées. Les 3 absides de Saint-Gilles de Montoire ou les peintures de Saint-Jacques des Guérets le démontrent fortement.

   Cependant, il a souvent semblé que les critères techniques restaient permanents dans une région et devaient permettre au moins de définir de grands groupes.

   Trois procédés peuvent être ainsi distingués. Le premier est celui de la fresque proprement dite, c'est-à-dire de la peinture sur mortier frais. C'est le plus connu, et on parle souvent à tort de la " fresque romane " pour désigner des peintures murales réalisées avec d'autres techniques que le " buon fresco " italien. Dans la peinture " à la grecque ", le mur, préalablement piqué, est revêtu de plusieurs couches d'enduit ; la dernière de celles-ci est grasse (par exemple de la graisse de porc) et elle est soigneusement polie. On peut alors exécuter des fonds, généralement en noir ou en bleu, et le dessin est esquissé à l'ocre. Puis viennent les couleurs — mate à la colle, brillante ensuite à la cire — d'une gamme étendue : blanc, noir, bleu, jaune, brun, vert, ocre, cinabre. Enfin, le centre-ouest de la France a rendu célèbre une formule originale et facilement reconnaissable. Le mortier est réhumidifié au moment de l'exécution. Sur ce support sont indiqués des fonds clairs par une peinture à la colle. Le dessin étant indiqué à l'ocre, viennent les couleurs d'une gamme restreinte : ocres rouge et jaune, vermillon, vert, noir et blanc, beaucoup plus rarement bleu. Certains rehauts sont posés à sec et ont souvent disparu depuis — tels ceux qui figuraient les yeux. On appelle cette peinture le plus souvent " mate à fonds clairs " et parfois, par erreur ou approximation, " à la détrempe ". Nous retrouvons ces divers procédés décrits par les quelques traités théoriques qui nous sont parvenus, comme celui du moine Théophile, la Schedula diversarum artium, du début du XIIe s.

   Cette classification technique peut paraître séduisante, en particulier pour distinguer de grands groupes dans la peinture française. Il ne faut pas se dissimuler qu'elle repose sur des bases fragiles. Comme l'avait remarqué, dès 1912, Ernst Berger, les analyses scientifiques, en particulier celles des mortiers, sont extrêmement peu nombreuses et pas toujours concluantes, au moins pour reconstituer le processus de création. On discute par exemple pour savoir dans quelle mesure les Italiens ont employé la véritable fresque avant le XIVe s. Toute analyse précise dans un groupe donné tend à révéler du point de vue qui nous occupe de fortes différences : tel est le cas de Saint-Gilles de Montoire ou de l'ensemble catalan. Nos connaissances restent donc fragmentaires, et leur lente progression semble aboutir à plus de différenciation que d'unité. Ces impressions se confirment lorsque l'on cherche à établir les rapports des techniques et du style, afin d'y trouver la preuve de grands courants d'influence.

L'influence byzantine

Si, en effet, il est malaisé de distinguer — du moins de façon absolue — des unités géographiques stylistiques, même s'il existe des dominantes dont l'intérêt reste absolument incontesté et même primordial, s'attacher à pénétrer le jeu des grands courants d'influence est une tâche aussi difficile que nécessaire. Les discussions tournent ici autour de quelques problèmes fondamentaux.

   Le plus évident est celui de l'influence byzantine. Mais celle-ci reste le plus souvent diffuse. D'abord, il est difficile de définir la peinture murale byzantine du XIe s. : celle de Constantinople a pratiquement disparu. Or, de la mosaïque à la peinture murale subsiste une différence profonde, comme le prouvent d'ailleurs les peintures et les mosaïques de Rome du début du XIIe s., en particulier celles de Saint-Clément. C'est pourquoi on attachera un intérêt tout spécial aux fresques, récemment mises en valeur, de Sainte-Sophie d'Ohrid en Yougoslavie, fondation d'un envoyé de Basile II dans le premier quart du XIe s. L'œil y retrouve les types byzantins des visages dans leur solennelle fixité, mais les mouvements du corps, les draperies à l'envol déchiqueté des anges sont d'un autre monde. Les aspects plus narratifs, plus naïfs de l'histoire d'Abraham augmentent encore cette impression de diversité. Ainsi apparaît que, dès la Macédoine, l'art d'origine byzantine se transmute et s'anime. Or cet exemple extérieur et ancien se retrouve dans la plupart des peintures d'Occident, où est manifeste la marque de Byzance. On le retrouverait sans aucune peine à Novgorod dans des peintures contemporaines de celles d'Occident : nourrie de pensée et d'images byzantines, la fresque échappe rapidement aux règles que la mosaïque, art plus artisanal d'exécution, suit plus fidèlement. La main du peintre crée et, fait troublant, on peut observer des démarches parallèles à des milliers de kilomètres, de la part d'artistes qui n'avaient aucun contact possible. Il reste nécessaire d'étudier avec soin, comme cela a été souvent fait, de rechercher le reflet plus ou moins déformé des archétypes byzantins, mais cela est difficile parce qu'il s'y mêle des notions iconographiques, des aspects stylistiques, mais aussi la notion indispensable de la diversité des fonds byzantins tant dans l'espace que dans le temps. Il y a donc dans cette étude une double nécessité : celle de la connaissance des mondes artistiques byzantins, du centre aux franges, mais aussi celle de l'appréciation de la puissance de transformation de l'Occident. C'est pourquoi l'étude comparative de l'Occident et des marges byzantines de Russie ou de Yougoslavie par exemple peut être très enrichissante, parce qu'elle permet de comparer les processus de remodelage que subit le modèle commun.

   On voit ainsi la complexité irritante d'un autre problème parallèle au précédent, celui de l'art italo-byzantin et de sa possible diffusion vers les pays germaniques comme vers la France capétienne. Si l'on compare Knechtsteden et Berzé-la-Ville, on voit tout de suite l'importance du facteur de création à partir d'éléments byzantinisants sans doute communs. L'aboutissement d'un courant possible peut donc être fort différent selon les cas. Et si Berzé peut être comparé à quelque autre œuvre, ce serait à Salzbourg (vers 1154) à cause du graphisme nerveux qui transfigure le schéma byzantin. L'Italie elle-même offre trop de points d'interrogation. Sans remonter jusqu'à Castelseprio et aux incertitudes chronologiques qui subsistent au sujet de ces admirables fresques, on remarquera les difficultés d'interprétation stylistique des fresques de Galliano, bien datées pourtant de 1007, dont on a parfois essayé de faire une des bases d'explication de la peinture romane française par simple rapprochement de conventions de représentation. Et les différences d'appréciation chronologique au sujet de Saint-Pierre de Civate sont assez considérables pour illustrer la difficulté de fixer les traits principaux d'une évolution, dont l'Italie et l'Allemagne offrent les étapes indécises au cours du XIe s.

   L'hypothèse d'un style " bénédictin " issu du Monte Cassino et semblable aux rythmes puissants de S. Angelo in Formis englobe difficilement d'autres types d'expression, que ce soit le formalisme géométrisant de Castel Sant'Elia ou la puissance de transformation des peintres romains de la première moitié du XIIe s. (Saint-Clément, Sainte-Marie du Transtévère). La diversité extraordinaire de la peinture murale italienne résiste d'ailleurs aux tentatives de classement rigoureux. N'y trouve-t-on pas l'expressionnisme d'Aoste à côté d'autres traditions plus proches du grand art byzantin, comme c'est, très tardivement, le cas de la crypte d'Aquilée. Dans celle-ci, d'ailleurs, un dessin nerveux et moderne de chevaliers au combat contraste avec l'hiératisme traditionnel de l'ensemble de la composition.

   Que Byzance — sous des formes d'ailleurs différentes selon les régions considérées de l'Empire et selon les périodes historiques — ait été la grande inspiratrice de formes n'est guère douteux. Mais la création du peintre disloque très vite le schéma d'influences et en rend aléatoire l'affirmation trop générale, rendant nécessaire la nuance des jugements et réservée l'affirmation des influences au moins directes.