Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
T

Tournier (Nicolas)

Peintre français (Montbéliard 1590 – Toulouse 1638 ou 1639).

Les parents de Tournier, protestants originaires de Besançon, étaient réfugiés à Montbéliard. Son père, André, peintre, n'est peut-être pas l'auteur des portraits des consuls de Narbonne de 1600 et 1603, qu'on lui attribuait jadis ; son séjour narbonnais, comme celui de son fils, n'est donc pas certain, et le problème de la formation du jeune peintre demeure. Différents documents (entre 1619 et 1626) attestent son séjour à Rome ; il habite, en 1619, la même maison que le peintre caravagesque liégeois Gérard Douffet. Tournier fut à Rome, selon la tradition rapportée par l'historiographe toulousain Bernard du Puy du Grez, l'élève de Valentin. Il imite en effet ses tableaux et ceux de Manfredi : sujets de taverne, manière contrastée et dramatique, types naturalistes mais marqués par un goût d'élégance et de romanesque, tous éléments issus des tableaux de Caravage. On lui attribue même des copies d'après Manfredi (2 Buveurs de la Pin. Estense de Modène, Réunion de buveurs du musée du Mans). Les œuvres romaines de Tournier, longtemps confondues avec celles de Valentin, se distinguent en fait de ces dernières par la netteté du dessin, qui insiste sur les effets stylisés et linéaires, et par la sobriété du traitement des formes ; l'esprit, plus prosaïque, diffère de celui, mystérieux et lyrique, de Valentin : ainsi le Sinite Parvulos de la G. N., Gal. Corsini, de Rome, les 2 Concerts du musée de Bourges et du City Art Museum de Saint Louis, le Joueur de flûte de la Pin. de Brescia ou le Reniement de saint Pierre du Prado. Tournier rentre ensuite en France : nous le trouvons dès 1627 à Carcassonne et en 1632 à Toulouse. Il partagera désormais son existence entre Toulouse et Narbonne, et, à côté de thèmes caravagesques, peindra de nombreux tableaux à sujets historiques et religieux.

   Son style témoignera dès lors d'une stylisation encore plus nette, affirmant un art sobre et apaisé, d'un austère classicisme. En témoignent les œuvres du musée de Toulouse : Christ porté au tombeau, Vierge et Enfant, Christ descendu de la Croix, et surtout la prodigieuse Bataille des Roches Rouges (victoire de Constantin sur Maxence), chef-d'œuvre qui évoque Piero della Francesca ; celles du Louvre : Concert, monumental Calvaire provenant du maître-autel de l'église des Minimes de Toulouse (1644 ?), proche de celui de l'église Saint-Serge de Narbonne ; celle de la cathédrale de Narbonne : Tobie et l'Ange.

   Les tableaux de Tournier, aussi bien ceux qui furent peints à Rome que ceux qui furent peints en France, posent encore de délicats problèmes d'attribution : on peut citer le Corps de garde de Dresde, proche de Manfredi, et les Pèlerins d'Emmaüs du musée de Nantes, toujours discutés. Un Judas et Joseph, daté de 1655 (cathédrale de Narbonne), signé Fournier (plutôt que Tournier), a longtemps fait croire que le peintre était mort après 1655.

Tournières (Robert Le Vrac, dit)

Peintre français (Caen 1668 – id. 1752).

Après des études dans sa ville natale, il est élève à Paris de Bon Boullogne, est reçu à l'Académie, d'abord en 1702 comme portraitiste (Portrait de P. Mosnier, Versailles), puis en 1716 comme peintre d'histoire, avec un petit tableau (Dibutade, Paris, E. N. S. B. A.) qui le montre très influencé par les Pays-Bas (la Cantatrice, Ermitage), comme ses contemporains Raoux et Grimou. Auteur de portraits allégoriques mêlés à des fleurs (l'Été, 1717, musée de Rouen ; l'Automne, 1718, id.), il a peint également des portraits de famille (la Famille Maupertuis [1715] et autres exemples datés de 1721 et de 1724 au musée de Nantes ; M. de Cannat et ses enfants, musée de Marseille), d'une composition laborieuse mais pleins de vigueur. Ses portraits individuels (exemples aux musées de Caen et de Cherbourg ; Marquis de Beauharnais, 1748, musée de Grenoble ; Chancelier d'Aguesseau et sa femme, Paris, musée des Arts décoratifs ; Chancelier Pontchartrain, musée de Dijon), très soignés, font la part belle aux draperies frissonnantes et décoratives.

Towne (Francis)

Peintre britannique (Exeter ? 1739/1740 – Londres 1816).

Il se forma avec Shipley ou avec William Pars et, en 1759, obtint un prix à la Society of Arts, où il exposa de 1762 à 1773 ; quoique la majeure partie de ses œuvres aient été exécutées à l'huile (Vue de Haldon Hall, près d'Exeter, 1780, Londres, Tate Gal. ; la Vallée de la Teign dans le Devonshire, 1780, musée de Leicester), il est surtout connu comme aquarelliste. Il exposa pour la première fois à la Royal Academy en 1775. Il visita le pays de Galles en 1777, l'Italie en 1780 (importante série d'aquarelles romaines au British Museum) et, en 1786, peignit la région des Lacs : la Vallée de St John du côté de Keswick (1786, Leeds, City Art Gal.).

   Le meilleur de son œuvre, exécuté en Italie et en Suisse, se caractérise par une technique synthétique procédant par aplats, où les taches de couleur sont cernées par un trait incisif : la Source de l'Arveiron avec vue sur le Mont-Blanc (1781, Londres, V. A. M.). Towne se distingue de ses contemporains par la sensibilité de son dessin, qui rappelle les bois gravés japonais : Hyde Park, étude d'un arbre (1797, Toledo, Ohio, Museum of Art).

Toyen (Marie Čermínová, dite Marie)

Peintre tchèque (Prague 1902 – Paris 1980).

Elle fait ses études à l'École des arts et métiers de Prague. En 1922, elle rencontre J. Štyrský, dont elle partagera le destin artistique. En 1925, ils s'installent pour quatre ans à Paris, où ils participent la même année à l'exposition « l'Art d'aujourd'hui ». En 1923, elle adhère au groupe d'avant-garde Devětsil. Ses premières recherches partent du cubisme. En 1925, Toyen s'engage avec Štyrský dans la voie de l'« artificialisme », qui se veut une peinture poétique. Cette période donne des œuvres aussi variées que le Toboggan (1926, musée de Prague), qui représente une tendance vers l'abstraction géométrique, la Fata morgana (1926, Hluboká, Gal. Alès), où la couleur s'émancipe, le sujet du tableau n'étant suggéré que par quelques signes sobres, la Fumée de cigarette (1927), faite d'un tissu immatériel, de lumières et d'ombres. Mais, bien vite, l'artiste abandonne ces féeries pour exprimer, à travers une pâte brute et des textures ravinées, le monde géologique soumis à l'action d'usure des eaux (le Marais, 1928). À partir de 1931, son œuvre se peuple d'objets insolites, flottant dans un espace évocateur de paysages nocturnes ou sous-marins (Gobi, 1931, musée de Hradec Kralové). Le lyrisme y fait place à la plongée dans le subconscient, d'où l'artiste ramène d'obsédantes images. En 1934, Toyen adhère au groupe des surréalistes de Tchécoslovaquie. En 1936, elle exécute, en collaboration avec Štyrský, un cycle de collages fantastiques consacrés à la mémoire du poète K. H. Mácha. Elle en retient la méthode des rapprochements fortuits d'éléments disparates (Rencontre matinale, 1937, id.). Elle sait susciter des visions troublantes par d'autres moyens : mariages suggestifs de l'irréel et du déjà-vu (la Tanière abandonnée, 1937, id.), spectres et fantômes (cycle des Fantômes du désert, 1937). L'atmosphère d'angoisse de ses œuvres ira s'amplifiant pour atteindre au paroxysme dans le cycle Cache-toi, guerre ! (1944), vision d'un monde dévasté et dépeuplé. Ce climat inquiétant se prolonge dans les œuvres d'après-guerre, où cependant résonnent des accents d'espoir, comme dans l'Avenir de la liberté (1946) ou dans le Chant du jour (1950). Installée en France après son exposition de 1947, à la gal. Denise René, Toyen a participé à toutes les expositions internationales du surréalisme.