Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Fouquières (Jacques)

Peintre paysagiste français (Anvers v.  1580/1590  – Paris 1659).

Formé à Anvers sous l'influence de Jan Bruegel et de Joos de Momper, il vint en France en 1621, où il fut naturalisé et plus tard anobli. Chargé de peindre pour la grande galerie du Louvre les vues des principales villes du royaume, il fit à cet effet un voyage en Provence (1627-28). Il eut, au moment du séjour de Poussin en France (1640-1642), quelques démêlés avec celui-ci. Les paysages de Fouquières (tableaux au Fitzwilliam Museum de Cambridge [1617] ; aux musées de Nantes [1620], de Gand, de Senlis, de Bordeaux ; dessins au Louvre, à l'Ashmolean Museum d'Oxford, à l'Albertina) montrent d'étroits rapports avec ceux de ses compatriotes comme J. d'Arthois ou L. de Vadder.

Fracanzano (Cesare)

Peintre italien (Monopoli 1612  – Naples v.  1656).

Élève de Ribera, il travailla à Naples, puis dans différentes villes des Pouilles, en particulier Barletta, où il termina sa carrière. Ses œuvres (Adoration des bergers, cathédrale de Pouzzoles ; Hercule et Antée, Prado ; fresques de l'église de la Sapienza à Naples) montrent que, comme beaucoup de Napolitains de sa génération, il est à la fois tenté par le Naturalisme caravagesque et l'Académisme.

 
Son frère Francesco (Monopoli 1612 – Naples v. 1656) fut, aux côtés de Giovanni Do et de Bartolomeo Passante (le Maître de l'Annonce aux bergers ?), l'un des meilleurs représentants de la veine naturaliste d'origine caravagesque, dont Ribera fut le champion à Naples. Des toiles comme Saint Grégoire l'Arménien dans la citerne et Un miracle de saint Grégoire (v. 1635, Naples, église S. Gregorio Armeno), Saint Paul (dôme de Pouzzoles), le Retour de l'enfant prodigue (Naples, Capodimonte), Jésus parmi les docteurs (musée de Nantes) révèlent une forte densité picturale, des effets puissants de luminisme et une profonde humanité. Durant sa dernière période (2 Scènes de la vie de Moïse, Naples, église SS. Severino e Sossio ; Mort de saint Joseph, 1652, Naples, église de la Trinita dei Pellegrini), il évolue, sans se renier, vers une manière plus classique, sous l'influence de Stanziono.

Fragonard (Jean Honoré)

Peintre français (Grasse 1732  – Paris 1806).

Considéré comme l'un des grands maîtres du XVIIIe s. européen et le représentant d'un certain " esprit français " atteignant sur le marché international les cotes les plus élevées, Fragonard a vu ses œuvres vulgarisées à l'infini par la gravure et le chromo. Mais cette gloire ne date que du milieu du XIXe s. (étude des frères Goncourt, 1865). D'abord encensé par ses contemporains, Fragonard fut vite critiqué par eux, puis quasiment oublié (fin du XVIIIe, première moitié du XIXe s.). De sorte que les légendes sont venues recomposer sur le modèle des œuvres une biographie livrée aux vulgarisateurs : les amours avec la Guimard, danseuse à la mode, avec les sœurs Colombe, actrices du Théâtre-Italien, avec Marguerite Gérard, belle-sœur de l'artiste, qui occupent l'essentiel des vies romancées, semblent de pure invention. En même temps, le catalogue (qui varie largement d'un auteur à l'autre) s'est gonflé de multiples copies et de la production de plusieurs contemporains plus ou moins oubliés (Taraval). Il faut ramener le peintre et son œuvre aux éléments sûrs ; on s'aperçoit alors que Fragonard n'est pas simplement l'incarnation séduisante et quelque peu fade de l'esprit " rococo " : il exprime avec une sensibilité exceptionnelle les recherches et les hésitations de ce demi-siècle de peinture qui va du Versailles de Louis XV au Paris napoléonien : c'est ce qu'a parfaitement démontré la grande exposition de 1987.

Les apprentissages (v. 1746-1761)

Né en 1732 à Grasse, dans une famille modeste, mais à son aise, Fragonard se retrouve à Paris dès l'âge de six à sept ans. C'est abusivement qu'on a fait de lui un " peintre provençal " : le Midi lui a donné le physique (petit homme brun, trapu et qui devient vite chauve et replet) et le tempérament (vif, jovial et foncièrement sociable), mais la formation est toute parisienne. Destiné à devenir clerc de notaire, l'enfant s'éprend de la peinture, se voit repoussé de l'atelier de Boucher, écourte chez Chardin un apprentissage qui semble avoir laissé peu de traces, revient chez Boucher, qui, cette fois, pressent son génie, fait de lui son élève favori, le pousse au concours de Rome (premier prix, 1752). Fragonard entre alors à l'École des élèves protégés, dirigée par Carle Van Loo, où il peut, avant de gagner l'Italie, compléter une culture peut-être négligée (1753-1756). Durant cette période de jeunesse (soit avant vingt-quatre ans) ont été placées quantité d'œuvres d'une inspiration artificielle, d'un style très proche de Boucher et déjà très sûr (env. 90 numéros sur 545 dans le catalogue Wildenstein, 1960). En fait, les œuvres certaines, le Jéroboam sacrifiant aux idoles présenté pour le concours de Rome (1752, Paris, E. N. B. A.), le Lavement des pieds commandé par la confrérie du Saint-Sacrement de Grasse (1754-55 ; demeuré à la cathédrale), montrent un effort scolaire vers la " grande manière ", un style brillant mais sage, hésitant entre les maîtres contemporains et les modèles du XVIIe s. Les collections parisiennes durent permettre dès ce temps la connaissance des écoles du Nord (Rembrandt notamment : copie de la Sainte Famille Crozat), mais la personnalité semble encore mal se dégager.

   Ce sera le résultat des années italiennes. Fragonard est accueilli (fin de 1756) à l'Académie de France par Natoire, d'abord inquiet, puis séduit au point de le laisser prolonger son séjour jusqu'en 1761. Désemparé par les premiers contacts, le jeune peintre a tôt fait de choisir ses modèles. Il est aidé par deux amitiés décisives : celle d'Hubert Robert, à Rome depuis deux ans déjà, et celle de l'abbé de Saint-Non, jeune et riche amateur, qui arrive en 1759, lui voue aussitôt une admiration passionnée, l'emmène travailler à Tivoli (1760), puis à Naples (hiver de 1760-61) et l'accompagne dans le retour à Paris par Bologne, Venise et Gênes. Des leçons cherchées auprès des maîtres les plus divers — des Carrache à Véronèse, de Solimena à Tiepolo — témoignera une belle série d'eaux-fortes publiée au retour (1764). Ces années enthousiastes comptent parmi les plus fécondes : paysages sensibles, construits sur d'habiles contrastes de valeurs (le Petit Parc, v. 1760, Londres, Wallace Coll.), parfois animés d'un mouvement dramatique (l'Orage, 1759, Louvre), scènes de genre complexes, conduites avec un " fa presto " désinvolte, mais où la bambochade est mise en scène à la manière de la " grande peinture " (la Lessive, Saint Louis, Missouri, City Art Gal. ; la Famille italienne, Metropolitan Museum). Les principaux thèmes se dégagent, le pinceau a désormais acquis toute sa promptitude et sa sûreté.

La seconde période parisienne (1761-1773)

Revenu à Paris en septembre 1761, patronné par Saint-Non, Fragonard est accueilli comme un peintre accompli : son morceau d'agrément à l'Académie (Corésus et Callirhoé, Louvre), longuement médité (esquisse au musée d'Angers), est exalté par Diderot (Salon de 1765) et acquis par le roi. Il obtient une commande pour les Gobelins (non exécutée), un atelier au Louvre. Il épouse en 1768 une jeune fille de vingt-deux ans, Marie-Anne Gérard, venue elle-même de Grasse et pratiquant la peinture : union solide et heureuse, quoi qu'on en ait écrit. Pourtant, la carrière prend une inflexion inattendue : Fragonard se détourne des honneurs de l'Académie, ne peint pas le morceau de réception demandé, abandonne assez vite la " peinture d'histoire " et la grande décoration (Projet de plafond, musée de Besançon), au profit des tableaux de cabinet, que les amateurs couvrent aussitôt d'or : sujets piquants comme l'Escarpolette (1767, Londres, Wallace Coll.), scènes de genre aimables ou galantes qui continuent directement Boucher, paysages où Fragonard se retourne volontiers vers les leçons nordiques (Paysage aux laveuses, musée de Grasse). Le pinceau atteint le paroxysme de la vitesse et de la liberté avec les portraits dits " de fantaisie " (une quinzaine, peints vers 1769, dont 8 auj. au Louvre, parmi lesquels l'Étude, la Musique, Diderot) et les 2 pendants inspirés par l'histoire de Renaud et Armide (Paris, coll. Veil-Picard). Tous ces prestiges se résument dans les 4 panneaux commandés par Mme du Barry pour le pavillon de Louveciennes, qui marquent le sommet de la carrière (1770-1773, New York, Frick Coll.). Le succès est immense : mais déjà cet art apparaît dépassé. Dans ces mêmes années s'affirme à Paris la tendance au Néo-Classicisme, et le groupe des jeunes peintres fidèles au " goût moderne " est très attaqué. À peine installée, la décoration de Louveciennes est raillée dans un violent pamphlet (Dialogues sur la peinture, attribué à Renou) qui la dénonce comme l'exemple même du " tartouillis " en vogue auprès des ignorants : retirés (et repris par l'artiste), les panneaux sont remplacés par 4 compositions de Vien. Fragonard semble durement touché par les critiques. Son ami le financier Bergeret l'emmène avec sa femme pour une lointaine randonnée (1773-74) dans le midi de la France, puis en Italie (séjours à Rome et à Naples) avec retour par l'Autriche : c'est l'occasion d'une série de sanguines et de lavis (études de paysages ou de types populaires) qui comptent parmi les plus belles pages de l'œuvre dessiné.